: Récit Présidentielle : entre doute et impatience, les derniers jours de campagne d'Emmanuel Macron avant le premier tour
Outsider quand il a présenté sa candidature, Emmanuel Macron est, au fil des jours, devenu le favori de cette élection. Un statut précaire et difficile à gérer. Franceinfo a suivi la dernière semaine de campagne du candidat.
Jusqu'au bout, Emmanuel Macron aura fait campagne. Donné favori du premier tour de l'élection présidentielle par les sondages, le candidat d'En marche ! a poursuivi son effort, multipliant meetings, déplacements et interventions médiatiques, avec l'objectif de ne pas flancher dans la dernière ligne droite. Récit d'une semaine entre doutes et espérances.
Lundi, en meeting à Bercy : "Il n'y en a plus pour longtemps"
Bercy ressemble à une boîte de nuit en plein jour. Partout dans les tribunes de l'Accorhotels Arena, des tee-shirts roses, bleu turquoise et jaune pétant. Pendant deux heures, les "marcheurs", ces militants d'Emmanuel Macron, se déhanchent sur de la musique dance en attendant leur champion. Et quand celui-ci prend enfin la parole, il est constamment interrompu par les applaudissements et les encouragements de ses supporters. "La salle chauffe la salle, sourit Christophe Castaner. Pour la plupart, ce ne sont pas des anciens militants, ils sont simplement heureux d'être là."
Ce proche d'Emmanuel Macron fait le tour de Bercy, tentant de prendre la température. Et celle des sondages, qui indiquent un resserrement une semaine avant l'échéance ? "A part celui d'Opinionway, il n'y a pas de resserrement", assure-t-il. Et pour prouver qu'il ne s'agit pas de méthode Coué, il sort son smartphone et montre une série de sondages, dont le dernier, pas encore rendu public, est favorable à son candidat. Christophe Castaner veut même croire que ce "resserrement" sera profitable aux "marcheurs". "Cela sert le vote utile, ça va nous permettre d'assécher un peu plus Benoît Hamon et Mélenchon aussi fera moins. Les gens veulent en sortir, ils en ont assez de la campagne." On lui demande s'il parle des électeurs... ou des membres d'En marche !. Les militants ne cachent pas leur fatigue. Et le statut de favori est bien lourd à porter cette année. Les primaires, à droite comme à gauche, ont éliminé tous les favoris.
Pas de quoi inquiéter le député. "Les Français aiment gagner, être du bon côté, or celui qui est gagnant est là, en bas, dit-il en faisant un signe de la tête vers la fosse, d'où Emmanuel Macron s'exprime. Les indécis voteront pour celui qui doit gagner." Il y a quinze jours pourtant, au moment des débats, Christophe Castaner était tendu. Mais les bonnes audiences télé de son champion et le "terrain, qui est bon", lui ont permis de se rassurer.
Ecoutez-le, il est dans la peau d'un président qui décrit la France sous Emmanuel Macron, pas dans celle d'un candidat.
Christophe Castaner, député proche d'Emmanuel Macronà franceinfo
Juste avant la fin du discours, on croise un très proche conseiller du candidat et on s'enquiert de sa forme. "Impeccable, répond-il. Il n'y en a plus pour longtemps". Une semaine encore à tenir.
Mardi, dans une "usine Potemkine" : "J'espère que je pourrai revenir... avec d'autres habits"
"Vous êtes une entreprise de l''en même temps' !" Emmanuel Macron affiche un grand sourire, pas mécontent d'avoir une nouvelle fois repris à son compte ce qui semble être devenu son expression fétiche, pourtant moquée sur les réseaux sociaux. "Vous êtes efficaces socialement et, en même temps, vous avez de bons résultats économiques." Il est presque 17 heures quand le candidat s'adresse à une centaine de salariés de l'opticien Krys, dont il vient de visiter l'usine de Bazainville (Yvelines).
Dans une campagne où aucun thème ne s'est imposé, où les candidats n'ont quasiment pas confronté leurs propositions pour lutter contre le chômage, l'ancien ministre de l'Economie veut rappeler ses mesures et sa philosophie sur le sujet. A 6 heures ce matin-là, il a donc visité le marché de Rungis (Val-de-Marne), un incontournable de campagne, pour se proclamer "le candidat du travail". Pour l'après-midi, il fait le choix d'"une entreprise qui marche" et "qui a relocalisé de la production dans l'industrie, là où tout le monde pense que nous avons perdu la bataille, à tort".
"Les gens sont contents ici, poursuit Emmanuel Macron, en tout cas tous ceux que j'ai vus... à moins que ce soit une usine Potemkine ?" Et c'est vrai que cette visite a un petit côté "Potemkine", c'est-à-dire factice. Dès son arrivée, le candidat visite les ateliers de surfaçage et de traitement du verre de cette entreprise qui emploie 400 salariés. Ces derniers sont bien là, mais alors que les chaînes tournent, aucun verre de lunette ne circule dessus. Comme si l'entreprise tournait à vide. Renseignement pris auprès de la communication, la production a en effet été mise à l'arrêt le temps de la visite… pour éviter toute casse au passage de la meute de journalistes.
Qu'importe, la visite se passe au mieux, du moins en apparence. Pour introduire le candidat, le directeur général raconte qu'il a pris l'engagement auprès de ses salariés d'inviter le futur président. "Pour que la prophétie se réalise, on avait invité d'autres candidats, mais vous êtes le seul à être venu", plaisante-t-il.
Emmanuel Macron sourit et se lance dans un plaidoyer en faveur des machines, qu'en France on voit parfois comme "un ennemi du salarié". Allusion à Benoît Hamon, qui prévoit une taxe sur les robots dans son programme. Au contraire, assure Emmanuel Macron, la machine "permet de relocaliser de l'emploi, de le garder en France ou de le recréer".
Le fondateur d'En marche ! descend de son estrade pour se mettre au niveau des salariés et répondre à leurs questions. C'est le délégué du personnel qui s'y colle.
"Comment comptez-vous relancer le pouvoir d'achat ? Depuis Sarkozy et Hollande, les riches s'enrichissent et les pauvres sont plus pauvres.
- Je n'ai pas de solution miracle. En tout cas, je ne veux pas du 'travailler plus en gagnant moins', suivez mon regard."
Après avoir ainsi taclé Fillon, le candidat d'En marche ! déroule ses mesures en faveur du pouvoir d'achat. L'échange se poursuit pendant quelques minutes, puis Emmanuel Macron conclut : "Merci de votre accueil, j'espère que je pourrai revenir avec la même volonté... mais avec d'autres habits".
Les salariés sont-ils convaincus par ce candidat en campagne dans leur entreprise ? Céline, ingénieure, trouve que sa façon de voir les choses est plus "proche d'un entrepreneur que d'un politique, avec une notion d'efficacité" qu'elle partage. Pour autant, elle ne sait toujours pas pour qui elle va voter. Liliane, qui a montré au candidat avec beaucoup d'enthousiasme comment on fabrique des verres de couleur, est elle aussi dubitative. "Il a de bonnes idées, mais il y a un truc qui bloque, même s'il est très agréable. Il faudrait qu'il prenne les bonnes idées un peu partout". Elle aussi assure ne pas avoir encore fait son choix.
Mercredi, à Nantes : "Il ne faut pas fanfaronner..."
Dans le TGV duplex qui les conduit à Nantes (Loire-Atlantique), Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian ont pris place à l’étage. Le candidat et le ministre de la Défense s’esclaffent en surjouant quelque peu leur complicité. Daniel Cohn-Bendit, qui doit prendre la parole au meeting de Nantes, tombe dans les bras du président de la région Bretagne. Chose inhabituelle, et malgré l’important dispositif policier déployé dans le train, la communication d’En marche ! laisse les photographes et cameramen accéder à l’intérieur du wagon, pour immortaliser longuement cette rencontre annoncée depuis des semaines.
Ce soir, Jean-Yves Le Drian ne prendra pas la parole, arguant de son devoir de réserve. Si le ministre de la Défense a annoncé son soutien à Emmanuel Macron il y a un mois déjà, la photo des deux hommes ensemble n’arrive qu’aujourd’hui, à quatre jours du premier tour. "Ce n’est pas plus mal, finalement", estime ce conseiller. Car la menace terroriste vient de s’inviter dans la campagne. Et même si la majorité des sondages continuent de placer Macron en tête du premier tour, l’issue semble toujours incertaine.
Le soir, au Zénith de Nantes, alors que la salle patiente avec la même bande-son assourdissante que lundi à Bercy, Richard Ferrand s’approche des journalistes. Le député du Finistère, socialiste et macroniste de la première heure, affiche toujours un certain flegme, les yeux rieurs derrière ses fines lunettes. "Le match n’est pas fini, je ne suis ni optimiste ni pessimiste, mais déterminé. Il ne faut pas fanfaronner... mais travailler. Vous savez, l’élection est une machine à rendre modeste."
Dans la pénombre de la salle qui se remplit lentement, le numéro deux d’En marche ! confie pourtant un sentiment nuancé à l’approche du premier tour.
Cela me rappelle les résultats du bac. On a le sentiment d’avoir rendu une bonne copie, mais plus vous approchez du tableau de résultats, plus vous doutez de la teneur de votre copie.
Richard Ferrand, numéro 2 d'En marche !à franceinfo
Ce doute, on le retrouve aussi dans une partie du public de Nantes. Est-ce parce que le meeting a commencé en retard ? Parce qu’il y a un match de foot à la télé ? Ou par lassitude ? En tout cas, avant la fin du discours d’Emmanuel Macron, certains quittent la salle. C’est le cas de trois quarantenaires, Anne-Laure, Olivier et Stéphane. Ce dernier, marchand de biens, était convaincu par le candidat avant de venir. Mais Anne-Laure et Olivier, eux, sont restés sur leur faim.
– Olivier : "Je m’attendais à plus de mordant. Il n’y a pas de matière, on ne parle de rien."
– Stéphane : "Ce n’était pas le sujet, il était là pour rassembler ses troupes."
– Anne-Laure : "Il ne prend pas de risques, il était fatigué. Il a beaucoup parlé d’Europe et d’économie, mais ça manque de social."
Anne-Laure repart décue. Elle ne sait toujours pas pour qui elle va voter dimanche.
Jeudi, pendant le grand oral des candidats sur France 2 : le terrorisme s'invite à la télé
II est 22 heures passées, dans le studio de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) où est tournée en direct l'émission "15 minutes pour convaincre", l'utime grand oral télévisé des candidats avant le premier tour. Sur le plateau, Emmanuel Macron est en train de se faire équiper de micros-cravates. Il semble trépigner, comme un sprinter avant de courir un 100 mètres. Tout sourire, il plaisante avec le technicien. Il y a quelques minutes, pourtant, une fusillade a été annoncée sur les Champs-Elysées, à Paris.
C'est par ce sujet que le candidat commence son intervention à l'antenne. Une façon de tenter de ne pas se laisser déborder par l'actualité. Emmanuel Macron sait que le régalien a longtemps été perçu comme un de ses points faibles, domaine dans lequel son manque d'expérience est souligné par ses adversaires. D'où l'importance de s'être affiché, la veille, en compagnie du très respecté ministre de la Défense.
Cet attentat pourrait-il faire basculer la campagne ? Dans les couloirs du studio, un conseiller du candidat veut croire que non.
Les gens vivent avec la menace, ils ont intégré ça. Cela ne va rien changer à la campagne. Fillon ne pourra pas se refaire la cerise là-dessus. Il a déjà essayé avec les deux hommes arrêtés à Marseille, mais ça ne marchera pas.
Un conseiller d'Emmanuel Macronà franceinfo
Et pourtant, François Fillon passe l'essentiel de son intervention à parler du terrorisme. Dans leurs conclusions, tous les candidats font référence à l'attentat. A la sortie du plateau, Emmanuel Macron se montre plus prudent. Quel impact sur la campagne ? "Nul ne le sait, en tout cas il ne faut pas instrumentaliser ce qui s'est passé." Quant à son programme pour le lendemain, dernier jour de campagne, il est en suspens.
Les meetings prévus à Rouen (Seine-Maritime) et Arras (Pas-de-Calais) ce vendredi sont finalement annulés. L'épilogue symbolique d'une campagne comme aucune autre.
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