"On ne veut ni l'un ni l'autre" : la très catholique Vendée hésite entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen
Alors que les milieux proches de la Manif pour tous envisagent difficilement de voter pour l'ancien ministre de François Hollande, la plupart des fidèles comptent faire barrage à la candidate FN.
Les cloches de la petite église de La Pommeraie-sur-Sèvre annoncent la messe. Ce dimanche 30 avril, entre deux averses, les villageois pressent le pas pour assister à l'office. On ne s'attarde guère pour commenter le choix crucial que la France devra faire le 7 mai, dans tout juste une semaine. Dans cette petite commune du bocage vendéen, au premier tour de l'élection présidentielle, François Fillon est arrivé en tête (33,3%), loin devant Emmanuel Macron (20,8%) et Marine Le Pen (16,7%). Alors forcément, le casting du second tour ne ravit pas tout le monde.
Face à nos questions, certains tracent leur route sans un regard. D'autres prennent quelques secondes pour exprimer leur désarroi. "Ça me dégoûte de voir ça… On était pour Fillon, on est bien déçus", se lamente une fidèle avant de franchir la porte de l'église. "Le Pen ou Macron ? On ne veut ni l'un ni l'autre. C'est des candidats qui ne nous conviennent pas. Je ne sais même pas si je vais aller voter, c'est pour vous dire..." Une autre, les cheveux teints en noir, peine à trouver ses mots. "C'est difficile, voilà. Voilà, voilà..." bégaie-t-elle par peur d'en dire trop.
"Chacun se décide soi-même. Mon vote ? Ah, je ne vous le dis pas !" sourit pudiquement un septuagénaire, caché sous sa casquette. Après quelques secondes, il finit par donner un indice : "Ce sera peut-être bien pour elle", assure-t-il, sans citer le nom de Marine Le Pen. "Moi je vous le dis tout de suite, je suis pour Macron !" lâche une dame dans un chuchotement assuré avant de s'engouffrer dans l'église.
"Les consignes de vote, c'est dépassé"
Il n'y a pas qu'à La Pommeraie que le duel Macron-Le Pen gêne aux entournures. A La Roche-sur-Yon, préfecture de ce département très conservateur, une militante active du mouvement Sens commun se montre d'abord réticente à aborder la question. "Tout ce que je peux vous dire tient en trois mots : 'liberté de conscience'", dit-elle au téléphone. Au lendemain du premier tour, le mouvement politique, issu de la Manif pour tous et affilié aux Républicains, a publié un communiqué renvoyant les deux candidats dos à dos : "Nous continuons à croire que l’un et l’autre programmes seront dévastateurs pour notre pays : nous ne souhaitons ni le chaos de Marine Le Pen, ni la déconstruction d'Emmanuel Macron."
Je ne suis pas du tout à l'aise avec cette configuration, mon choix n'est pas arrêté. Il y a trois solutions, toutes les hypothèses sont envisageables.
Une militante de Sens communà franceinfo
Cette Vendéenne tient d'ailleurs en horreur les initiatives appelant à faire barrage au Front national : "Le vote de dimanche, c'est le libre choix de chacun. Chacun discerne en son for intérieur. Les consignes de vote, c'est dépassé, c'est périmé !"
La tentation du vote blanc
"On ne se retrouve pas dans les candidats du second tour", confirme Jean Legrip, membre des Jeunes républicains de Vendée et responsable départemental de Sens commun auprès des jeunes et des étudiants. "Macron, c'est le retour à cinq ans de hollandisme, pendant lesquels la France a tant souffert. Et Marine Le Pen, c'est délicat sur l'économie, elle a le même programme que Mélenchon !"
Comme la plupart des Jeunes républicains de Vendée, il hésite encore. Et relaie "un sentiment partagé par la droite de l'électorat Fillon".
Après avoir pris le temps de peser le pour et le contre, je pense que je ne voterai pas pour elle.
Jean Legripà franceinfo
"Mais je ne me vois pas voter Macron après l'avoir combattu pendant toute la campagne", poursuit le jeune militant, indécis.
"Quand on combat les gens, ce n'est pas pour les soutenir juste après", abonde Caroline Rouillier. Responsable vendéenne du Parti démocrate-chrétien (fondé par Christine Boutin et présidé par Jean-Frédéric Poisson), elle se dit "très surprise de l'attitude de François Fillon" après le premier tour. Son choix de voter Macron, "annoncé aussi rapidement, sans recul, moins d'une heure après les résultats", Caroline Roullier l'a vécu comme "une trahison".
Dans son cercle militant, elle perçoit "une très forte opposition à Emmanuel Macron", en raison de "son rapport à l'argent", de "sa façon de dire tout et son contraire" et de son intention de reconnaître les enfants nés d'une gestation pour autrui. Autour d'elle, "peu voteront pour lui. Les autres se partageront entre le vote Le Pen, et le vote blanc".
Une partie de la droite rejette le Front national
Le département jadis tenu par Philippe de Villiers, qui avait estimé en février dans le JDD que Marine Le Pen avait "une carrure présidentielle", est-il prêt à apporter une majorité de suffrages à la candidate frontiste au second tour ? Rien n'est moins sûr : avec 18,52% des voix, elle fait moins bien ici qu'au plan national. Quant à Macron, il a viré en tête au soir du premier tour, devançant François Fillon de moins d'un point. Un petit événement dans ce terroir habitué à voter à droite.
L'ancien ministre de François Hollande s'est même payé le luxe de terminer premier aux Herbiers, ville de l'indéboulonnable villiériste Véronique Besse, élue maire haut la main en 2014 et candidate à un quatrième mandat consécutif de députée. Un véritable pied de nez qui, à quelques kilomètres seulement du Puy du Fou, n'a pas surpris Laetitia Chenoir. Cette jeune quadragénaire de gauche qui milite à Amnesty International multiplie dans la ville les initiatives pour combattre l'extrême droite.
Son dernier coup d'éclat : une pétition sur internet pour prouver que non, les Herbetais ne veulent pas tous voter Marine Le Pen, contrairement à ce qu'avait laissé entendre Philippe de Villiers il y a quelques semaines. "Historiquement, c'est plutôt une ville de centre droit", souligne-t-elle. Et si l'Eglise est encore bien implantée dans la région, il ne faut pas s'y tromper : "Beaucoup de catholiques se réclament plutôt d'une droite humaniste et tolérante", observe-t-elle.
"Les évêques nous disent de voter en notre âme et conscience"
A la sortie de la messe à Chambretaud, village voisin qui a massivement voté Fillon, André, un quinquagénaire dégarni, semble lui donner raison. "Je ne voterai pas pour Marine Le Pen à cause de ses convictions extrémistes", clame haut et fort ce fervent européen, outré que "lors de sa conférence de presse commune avec Nicolas Dupont-Aignan, elle n'ait installé derrière eux qu'un drapeau français et pas de drapeau européen". Cet électeur de François Fillon regrette aussi que les évêques de France n'aient pas osé appeler clairement à voter pour Emmanuel Macron. "L'Eglise a dû avoir peur de se mettre à dos des fidèles qui votent pour l'extrême droite", commente-t-il.
Le lendemain, lundi 1er mai, la place principale de Saint-Laurent-sur-Sèvre a des allures de dimanche matin. Devant la boulangerie, où la file d'attente s'allonge à vue d'œil, Michèle et Claude, deux anciens conseillers municipaux de cette commune qui a placé François Fillon en tête le 23 avril, évoquent le second tour à venir. "Je voterai Macron sans problème", assure Michèle, qui s'était portée sur François Fillon au premier tour. Claude, lui, est conquis par Emmanuel Macron depuis plusieurs mois. Il s'agace quand on évoque le vote frontiste :
Je connais des gens qui votent FN mais je ne comprends même pas pourquoi, il n'y a pas un immigré ici !
Claudeà franceinfo
Dans ce haut lieu du catholicisme vendéen, à l'ombre du clocher de la basilique qui attire 25 000 visiteurs par an, Marie-Odile est l'une des rares fidèles rencontrées en ce week-end d'entre-deux-tours à assumer ouvertement son vote pour Marine Le Pen. "Franceinfo ? Ah, c'est le pire", lance d'emblée cette sexagénaire en sortant de la librairie religieuse qui fait face à l'édifice. Cette nostalgique des guerres de Vendée, qui opposèrent les royalistes aux républicains pendant la Révolution française, préfère s'informer sur des "sites de réinformation catholiques". "Tous mes aïeux sont morts pour moi", explique-t-elle. Son vote sera à la fois identitaire – "parce qu'il y a trop d'immigration" – et religieux. "Les évêques nous disent de voter en notre âme et conscience. C'est dans la prière qu'on sera éclairés", pense-t-elle.
Sur le parvis battu par les rafales de vent, Corinne, au détour d'une courte pause dans la journée de prières à laquelle elle participe dans la basilique, est "très étonnée" que des catholiques puissent voter en faveur du Front national. "Comme la famille a été attaquée sous le quinquennat de Hollande, certains deviennent obnubilés par ce thème. Ils en oublient le reste, l'économie, et la doctrine sociale de l'Eglise."
Dans le village, tout le monde se perd en conjectures sur ce que peuvent bien penser les bonnes sœurs de la communauté de la Sagesse. "A mon avis, elles ont voté Fillon au premier tour et voteront Macron au second", avance un habitant. On n'en saura pas plus, la mère supérieure ayant poliment refusé de s'aventurer sur le terrain politique.
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