Procès d'Alexandre Benalla : selfie avec une arme, passeports diplomatiques, manifestation du 1er-Mai... Ce qu'il faut retenir des audiences
Jugé notamment pour des violences commises le 1er mai 2018, l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron a vu le parquet requérir à son encontre 18 mois de prison avec sursis, jeudi.
Trois ans après le scandale, il a livré ses explications devant la justice. Alexandre Benalla est jugé depuis le 13 septembre par le tribunal correctionnel de Paris. L'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron, âgé de 30 ans, comparaît pour des violences commises en marge d'une manifestation le 1er mai 2018, utilisation frauduleuse de passeports diplomatiques et port d'arme illégal. A ses côtés sur le banc des prévenus, son ami Vincent Crase, ancien gendarme de 48 ans, et deux policiers gradés de la préfecture de police de Paris.
Jeudi 30 septembre, le parquet a requis 18 mois de prison avec sursis à l'encontre d'Alexandre Benalla. Retour sur les temps forts de ce procès qui s'achève vendredi.
Sur le selfie avec une arme : une "saynète idiote de trois secondes"
Dès le premier jour du procès, la magistrate Isabelle Prévost-Desprez, pugnace, est entrée dans le vif du sujet, en questionnant Alexandre Benalla sur son parcours, puis sur l'un des délits pour lesquels il est poursuivi : port d'arme illégal. En septembre 2018, dans le sillage des révélations en cascade provoquées par son dérapage initial lors de la manifestation du 1er-Mai, Mediapart exhume un selfie pris en avril 2017 pendant l'entre-deux-tours, dans un restaurant de Poitiers (Vienne).
Une serveuse, tout sourire, est entourée par deux membres du service d'ordre d'Emmanuel Macron et par Alexandre Benalla, qui la vise dans le cou avec ce qui semble être un pistolet Glock. La photo s'affiche en grand sur l'écran de la salle d'audience. Alexandre Benalla avait évoqué pendant l'instruction "un montage" puis "un pistolet à eau".
A la barre, il a maintenu, en regardant l'image, qu'il s'agissait d'une "arme factice" sortie pour une "saynète idiote de trois secondes". "Je n'ai jamais eu dans ma main une vraie arme en dehors des autorisations", a soutenu le prévenu. Pointant l'écran au-dessus d'elle, Isabelle Prévost-Desprez est sceptique. "Monsieur, pardonnez-moi mais s'il y a un neuneu qui sort un pistolet à eau qui a l'air d'un Glock, qui joue avec ça, personne ne s'en souvient ? Il atterrit dans votre main avec ce geste parfaitement inadapté et vous ne vous souvenez pas de ça, franchement ?" "C'est plus moi le neuneu dans l'histoire", a tenté Alexandre Benalla.
Sur ses fonctions à l'Elysée : un homme "au statut particulier"
Au deuxième jour du procès, le tribunal a essayé de comprendre quel était le rôle exact d'Alexandre Benalla auprès du président. Recruté en mai 2017 après avoir assuré la sécurité du candidat Emmanuel Macron, l'homme a une nouvelle carte de visite : chargé de mission, adjoint au chef de cabinet de l'Elysée. Ses missions, telles qu'il les a décrites ? "Organisation des déplacements, coordination des services de sécurité lors des événements, déplacements privés du couple Macron et gestion des présents diplomatiques", a détaillé Isabelle Prévost-Desprez.
Alexandre Benalla était une "autorité" sur le terrain, a déclaré à la barre Maxence Creusat, commissaire à la préfecture de police de Paris, poursuivi pour lui avoir transmis des images de vidéosurveillance, juste après la révélation des violences à la manifestation. "Alexandre Benalla était un très bon joueur entre les lignes", a-t-il ajouté.
Oui, il avait un "statut particulier" lié à sa "proximité avec le président de la République et son épouse", a justifié l'intéressé. "C'était suffisamment clair pour que ça se passe bien et ça s'est bien passé jusqu'au 1er mai 2018", a encore estimé Alexandre Benella. Ce jour-là, il envoie un SMS au président pour le prévenir de "l'incident" de la place de la Contrescarpe. Un message envoyé depuis son téléphone personnel, qu'il a assuré avoir "perdu" depuis. "Ici on peut mentir comme on veut, mais quand ça coince, ça coince", a prévenu la présidente.
Sur les passeports diplomatiques : "J'ai commis cette faute, c'était une bêtise"
Le troisième jour, Alexandre Benalla a été interrogé sur l'utilisation frauduleuse de ses passeports diplomatiques. Ces derniers lui avaient été délivrés par le ministère des Affaires étrangères. En quoi avait-il besoin de ces documents dans ses fonctions ? Il s'agissait d'un "outil de travail" "pour des missions préparatoires, en tant que précurseur" pour des "déplacements privés" du président de la République, a-t-il affirmé à la barre. Invité à se lever, l'ancien chef de cabinet de l'Elysée, François-Xavier Lauch, s'est montré très sceptique.
Il a raconté avoir "découvert après coup" que son subordonné avait deux passeports : Alexandre Benalla a fait "trois déplacements à l'étranger" dans le cadre de ses missions, a-t-il déclaré. "On est face à un agent qui n'avait pas pour mission initiale de faire de l'international." D'autant plus après la suspension de 15 jours dont il avait écopé, après la manifestation du 1er-Mai. C'est pourtant à ce moment-là qu'il demande le renouvellement d'un de ses passeports diplomatiques. Une requête incohérente pour François-Xavier Lauch, car ses missions étaient alors "réduites" aux événements "à l'intérieur du Château".
Durant l'audience, l'air a été glacial entre les deux hommes, qui se sont échangé des piques au fil des questions de la présidente. "Je regrette profondément son comportement, j'ai eu le sentiment d'être trahi", a cinglé l'ancien chef de cabinet.
Maroc, Tchad, Cameroun, Turquie, Bahamas... des tampons bien postérieurs à son licenciement figurent sur les pages de ces passeports. "J'ai commis cette faute, c'était une bêtise", a reconnu Alexandre Benalla. Avant d'ajouter : "Dans mon état d'esprit, ça ne me paraît pas illégal parce que pendant dix ans, j'ai vu des hommes politiques" le faire.
Sur la manifestation du 1er-Mai : des "gestes techniques ratés" versus "On m'a plaqué au sol"
Les faits lors de la manifestation du 1er mai 2018 ont été abordés plusieurs fois au cours du procès. Au troisième jour, le tribunal s'est ainsi penché sur le statut "d'observateur" du chargé de mission de l'Elysée et de son acolyte Vincent Crase. C'est en cette qualité qu'ils participent aux opérations de maintien de l'ordre lors du défilé de la Fête du travail à Paris, accompagnés par un major de la préfecture de police. Problème : ils ne sont pas censés intervenir ni porter un brassard de police. Encore moins porter une arme, comme l'a fait Vincent Crase. Invoquant le "risque terroriste", ce dernier lance : "On ne m'a pas dit : 'Ton rôle, c'est strictement d'observer'." En fait, on ne lui a "strictement rien dit" sur son rôle ce jour-là, a-t-il admis.
Les deux hommes sont notamment jugés pour avoir brutalisé trois manifestants au Jardin des Plantes et un couple place de la Contrescarpe. Simon D., qui s'était réfugié dans le parc parisien alors que le cortège dégénérait, a affirmé à la barre, le jeudi 23 septembre, avoir été "plaqué au sol par derrière", "bras croisés" et "maintenu au sol avec soit un coude, soit un genou". A la barre, Alexandre Benalla et Vincent Crase ont juré qu'ils n'étaient pas les auteurs de ces gestes.
Le lendemain, à l'audience, des vidéos ont été projetées : les images de la place de la Contrescarpe, qui ont déclenché l'"affaire Benalla". On y voit Vincent Crase attraper Georgios D., le compagnon de Chloé P., et le traîner sur plusieurs mètres, puis Alexandre Benalla le saisir par le cou et lui porter un coup à la tête. "C'est une tentative de maîtrise de ma part qui a été très brouillonne, mais je n'ai pas mis de coups volontaires pour lui faire mal", a commenté l'ex-chargé de mission. L'interrogatoire a ensuite tourné au ping-pong sémantique avec Isabelle Prévost-Desprez. Des "coups" ? Des "gestes techniques ratés". Un "étranglement" ? Une "clé au cou" qui "n'a pas marché parce qu'il était trop excité". Une "balayette" ? Une "tentative de la ramener au sol". Pour ces faits, Alexandre Benalla encourt sept ans de prison et 100 000 euros d'amende.
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