De gauche à droite, pourquoi tout le monde s'arrache Jean Jaurès
Cent ans après son assassinat, la quasi-totalité des partis politiques sont séduits par sa stature intellectuelle et politique, et son image de héros républicain.
"Jaurès, l'homme du socialisme, est aujourd'hui l'homme de toute la France, on se l'arrache, on se le dispute." Le constat est signé François Hollande et date du mois d'avril, lorsque le président de la République était allé lui rendre hommage dans son fief ouvrier de Carmaux (Tarn).
Cent ans après l'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, tous les partis politiques se disputent l'héritage du leader socialiste. François Hollande a de nouveau salué sa mémoire, mercredi 31 juillet, au Café du Croissant , 146 rue Montmartre à Paris, lieu où il fut abattu.
De l'extrême gauche à l'extrême droite, chacun essaie de le récupérer. Rien de plus normal à gauche, Jean Jaurès ayant été l'un des cofondateurs de la SFIO en 1905, un an après avoir créé le journal L'Humanité. Plus surprenant, à droite, quand Nicolas Sarkozy s'en était réclamé pendant la campagne de 2007. Même le FN s'y est mis, en 2009, en imprimant une image de campagne détournant l'une de ses citations.
Socialistes et communistes se disputent son héritage
Le Parti communiste revendique l'exclusivité du legs de Jaurès. Dans une vidéo publiée le 22 juillet, un acteur jouant un Jaurès ressuscité demande aux socialistes dans "quel fossé ils ont jeté leur courage". "Taisez-vous et laissez parler Jaurès", lance son secrétaire national, Pierre Laurent, dans une déclaration à l'adresse des "libres interprètes contemporains de gauche ou de droite, voire d'extrême droite, qui cherchent à l'enrôler, pour ne pas dire à l'usurper".
Même tonalité chez Jean-Luc Mélenchon, le coprésident du Parti de gauche, qui termine une tribune dans le dernier numéro du Journal du dimanche par un "Jaurès, reviens ! Ils ont changé de camp !", visant ceux qu'il désigne souvent par le sobriquet de "solfériniens". Sur RTL, mercredi, il affirme que Jaurès "est le contraire de François Hollande". Quant à sa récupération par tout l'échiquier politique, c'est "une autre manière de l'assassiner".
Pour une autre partie de la gauche, Jean Jaurès apparaît au contraire comme un "réformiste progressiste". Il ne se résout pas à abandonner le marché au capitalisme, mais considère que la bourgeoisie peut participer au progrès social dans l'intérêt de tous. "Dans un pays où les classes moyennes ont pris une grande importance, cette pensée reprend une grande force aujourd'hui", explique Jean-Noël Jeanneney, ex-président de la Bibliothèque nationale de France et coauteur du documentaire Jaurès est vivant !.
Le Parti socialiste a en tout cas multiplié les hommages : projections-débats à Solférino, expositions, hommage de l'hebdo du parti, lancement d'un concours photo pour gagner un "chargeur universel Jean Jaurès", un mug ou un tee-shirt à l'effigie du député du Tarn, et création d'une police de caractères qui porte son nom, détaille Le Point.
"Il y a le républicain, le laïque et le rebelle"
Homme de dialogue, passé des républicains aux socialistes, qu'il unifie au sein de la SFIO en 1905, Jean Jaurès est devenu une icône républicaine, plus encore que Georges Clemenceau. Y compris à droite. Mais "tout le monde ne fait pas référence au même Jaurès", tempère Gilles Candar, président de la Société d'études jaurésiennes : "Il y a le républicain, le laïque et le rebelle, avec sa vision revendicatrice. Depuis la visite du général de Gaulle à Carmaux, en 1960, on cite aussi Jaurès comme un patriote".
En 2009, lors de la campagne des élections européennes, le candidat FN Louis Aliot avait placardé une affiche à l'effigie de Jean Jaurès, accompagné de cette citation, prononcée en 1920 et sortie de son contexte : "A celui qui n'a plus rien, la patrie est son seul bien." Suivie de la mention : "Jaurès aurait voté Front national."
"Mais si on s'intéresse à Jaurès, à sa défense de la République, à ses combats pour l'émancipation et à son internationalisme, la contradiction apparaît vite. On ne récupère pas Jaurès si facilement", commente Gilles Candar dans une interview au Monde.
Pour Jean-Noël Jeanneney, les partis viennent d'abord chercher une bénédiction républicaine auprès de ce martyr de la paix, panthéonisé en 1924. De plus, "comme Jean Jaurès n'a jamais été au pouvoir, les grands principes qu'il a défendus n'ont jamais dû être affrontés".
Dans ses textes, Jaurès montre un "vrai sens de l'évolution et de l'histoire", face à des courants politiques qui étaient plus "dogmatiques", assure Gilles Candar. Pour l'historien, Jean Jaurès est surtout un optimiste, aux yeux duquel "les difficultés préparent des solutions d'avenir". Ce jaurésien juge que "le plus important, c'est de se confronter à ce qu'il a pu dire. Pour le célébrer vraiment, il faudrait relire une ou deux de ses pages".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.