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Cinq questions sur l'IRFM, l'indemnité des députés qui fait polémique

L'indemnité représentative de frais de mandat, qui s'élève à 5 770 euros par mois, permet aux élus de régler leurs frais professionnels. Mais aucun contrôle n'est exercé sur la manière dont ils dépensent cet argent.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Chaque député reçoit une indemnité de 5 770 euros bruts par mois pour couvrir ses frais professionnels. (BERTRAND GUAY / AFP)

C'est l'une des deux enveloppes versées par l'Assemblée nationale à chaque député. L'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) permet à un élu de régler ses frais professionnels. Ce n'est ni son "indemnité parlementaire", qui correspond en fait à son salaire, ni du "crédit affecté à la rémunération de collaborateurs", une enveloppe qui lui permet de payer ses assistants parlementaires. En l'absence de tout contrôle, le député dispose de cet argent comme il l'entend et certains en profitent, comme le révèle francetv info mardi 27 janvier, pour se constituer un patrimoine immobilier.

Francetv info décortique pour vous cette enveloppe opaque.

Quel est son montant ?

Selon le site de l'Assemblée nationale, l'IRFM est aujourd'hui de 5 770 euros bruts par mois pour chaque député. Comme il ne s'agit pas d'un salaire, cette indemnité est exonérée d'impôts sur le revenu. L'Express.fr précise cependant qu'elle est sujette à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).

A quoi sert-elle ?

L'Assemblée nationale n'est pas très précise à ce sujet. Elle indique simplement que l'IRFM sert à "faire face aux diverses dépenses liées à l’exercice de leur mandat qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées par l'assemblée". A chaque député d'estimer ce qui relève, ou non, de l'IRFM. Elle sert, en général, à payer le loyer d'une permanence ou d'un bureau, l'essence nécessaire pour parcourir sa circonscription, des gerbes de fleurs pour les cérémonies officielles, des coupes pour les tournois sportifs, un site internet ou l'édition d'une lettre du député.

"Je dépense principalement mon IRFM en frais de déplacement. Ma circonscription fait 120 km sur 60 km, je n'utilise que ma voiture et je parcours 5 000 km par mois", explique à francetv info Charles de Courson, député UDI de la Marne. Député socialiste de Charente, Jérôme Lambert loue, lui, un studio à Paris pour "les deux trois nuits par semaine" qu'il passe dans la capitale pour siéger à l'Assemblée. Montant : 1 800 euros par mois (charges comprises). Invités de l'émission "Complément d'enquête", Jean-Jacques Urvoas (PS) et Barbara Pompili (EELV) avaient expliqué qu'ils utilisaient leur IRFM également pour s'acheter costumes et tailleurs.

Il existe, enfin, de fortes disparités parmi les députés : ceux qui exercent un autre mandat peuvent faire prendre en charge par leur mairie ou leur conseil général certaines dépenses que d'autres imputent à leur IRFM. Les députés d'un territoire rural éloigné de l'Assemblée ont également plus de frais de déplacement que les députés d'un territoire urbain proche de Paris. 

Quelles sont les règles ?

Il n'y en a pratiquement pas. Ancien député UMP de Seine-Saint-Denis (2007-2012), Patrice Calméjane se souvient de la surprise qu'il a eue en arrivant à l'Assemblée nationale. "Le service administratif m'a dit : 'Il vous faut un deuxième compte pour y recevoir l'IRFM.' C'est la seule instruction qu'on m'a donnée. Il n'y a même pas un b.a.-ba de son utilisation pour les nouveaux députés", raconte-t-il à francetv info. L'Assemblée ne demande, en effet, aucun justificatif et ne contrôle pas comment est utilisé cet argent.

Contacté par nos soins, le déontologue de l'Assemblée nationale, Ferdinand Mélin-Soucramanien précise, tout de même, le cadre de cette indemnité. "Il est interdit d'utiliser l'IRFM directement ou indirectement pour concourir à l'organisation d'une campagne électorale. C'est la seule dépense juridiquement interdite", explique-t-il. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé à plusieurs reprises (ici, et ) et un adjoint au maire de Marseille (Bouches-du-Rhône) a vu ses comptes de campagne rejetés en décembre 2014 pour ce motif.

Les députés ne doivent pas, non plus, confondre cette enveloppe avec leur argent personnel. "Cela reste de l'argent public. La partie privée réelle, c'est l'indemnité parlementaire, rappelle le déontologue. Nous sommes dans le cadre d'une indemnité pour frais professionnels. Dans l'hypothèse où elle n'est pas utilisée, elle doit être restituée" à la fin de la législature. Mais, dans la pratique, "il n'y a pas d'encadrement très strict", reconnaît Ferdinand Mélin-Soucramanien. Une façon de dire que rien n'oblige les députés à rendre le reliquat. En 2012, 500 000 euros avaient tout de même été restitués, selon un rapport établi en 2013 par la déontologue de l'époque.

Pourquoi fait-elle polémique ?

Dans certains cas, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève du mandat de député et ce qui ne l'est pas. "Il n'y a pas de fiche de poste pour un député. Personne ne peut dire que telle chose relève du mandat et pas telle autre, quand on est dans la zone grise", écrivait en 2012 l'ancien attaché parlementaire Samuel Le Goff.

Mais, ces dernières années, plusieurs députés ont été épinglés. "Tout le monde sait qu’une partie de l’IRFM est utilisée à des fins totalement privées par certains collègues", rappelle Charles de Courson. En 2012, Mediapart et Marianne révèlent que le député socialiste de l'Ardèche Pascal Terrasse a payé, avec cette enveloppe, des voyages privés en Espagne, au Sénégal et en Egypte. D'autres élus sont critiqués parce qu'ils en ont profité pour se constituer un patrimoine immobilier. Dans "Complément d'enquête", on découvre, par exemple, que l'ancienne permanence de Muriel Marland-Militello rapporte entre 1 300 et 1 400 euros de loyer à l'ex-députée UMP des Alpes-Maritimes.

De manière générale, ce système enrichit les députés. En janvier 2012, la Commission pour la transparence financière de la vie politique - l'ancêtre de l'actuelle Haute autorité pour la transparence de la vie publique -, avait constaté que, "s'agissant des parlementaires en fin de mandat, le montant de l'IRFM contribue, pour la durée d'un mandat, à un enrichissement oscillant entre 1 400 euros et 200 000 euros".

Pourquoi les choses n'évoluent pas ?

"C'est tabou", regrette Charles de Courson. "Dans notre pays, sur ce genre de sujet, on vous dit : 'On faisait comme ça avant, il n'y a pas de raison de changer'", ajoute Patrice Calméjane. Les deux hommes sont bien placés pour le savoir : ils ont tous les deux tentés, en vain, de modifier les règles de l'IRFM. Le premier a déposé, en 2012, un amendement visant à fiscaliser la partie non utilisée de l'IRFM. Secrétaire de la commission spéciale chargée d'apurer les comptes de l'Assemblée, le second avait proposé d'interdire aux députés d'acheter leur permanence avec l'IRFM.

Patrice Calméjane avait, en outre, souhaité contrôler l'utilisation de cette enveloppe. "J'avais dit : 'Tout le monde tient une comptabilité', et la Cour des comptes contrôle chaque année 5% des députés de façon aléatoire", raconte-t-il, affirmant que ce dispositif permettait de responsabiliser "100% des députés". La commission n'a pas adopté cette mesure. Mais le sujet devrait revenir prochainement sur la table. Le déontologue de l'Assemblée assure que cette dernière va bientôt prendre des mesures sur l'IRFM.

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