Présidentielle américaine : "Les médias doivent s'interroger sur leur usage immodéré des sondages"
La grande majorité des enquêtes d'opinion donnaient Hillary Clinton gagnante. Et pourtant, contre toute attente, c'est Donald Trump qui l'a emporté. Pour comprendre ce qu'il s'est passé, franceinfo a interrogé Yves Surel, chercheur au CNRS.
Personne ne s'y attendait. Ni les grands médias, ni les principaux analystes. Et surtout pas les sondages. Malgré son statut d'ultra-favorite, Hillary Clinton a échoué face à Donald Trump lors de l'élection présidentielle américaine, dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 novembre. Comment expliquer un tel raté des sondeurs ? Franceinfo a posé la question à Yves Surel, professeur de sciences politiques à l'Université de Paris-II et chercheur au CNRS.
Franceinfo : A-t-on assisté à la faillite des sondeurs aux Etats-Unis ?
Yves Surel : Il faut prendre les sondages pour ce qu'ils sont. Un sondage reste une photographie à un moment donné. Et les médias, qui en font un usage immodéré, doivent se poser des questions. D’ailleurs, ça a déjà commencé avec le New York Times. Et puis, il faut être pédagogue avec les sondages et expliquer qu’il y a toujours une marge d’erreur.
Mais pourquoi les enquêtes d'opinion n'ont pas su anticiper la victoire de Donald Trump ?
Si l'on regarde de près, il y a tout de même eu un rapprochement des courbes. A la fin de la campagne, il y avait vraiment un resserrement entre les deux candidats, dont l'écart se rapprochait de la marge d'erreur. Mais le vote pour Donald Trump a été extraordinairement difficile à prédire pour plusieurs raisons.
D'abord, on voit dans cette élection l’existence d'un "vote caché” avec des comportements électoraux nouveaux. Donald Trump a cassé tous les codes. Au sein de son propre parti, mais aussi, plus généralement, pendant l'élection. Il est allé chercher d’autres électeurs, qui ne votaient plus forcément. Et ça, c’est difficile à saisir pour les enquêtes d’opinions, qui utilisent des méthodologies traditionnelles.
Enfin, il y a une plus grande volatilité du vote. Les électeurs changent plus facilement d’opinion, car ils ne sont plus autant encadrés par les partis qu'avant. Et le nombre d'indécis reste également très important jusqu'au dernier moment.
Est-ce que les électeurs ont eu du mal à assumer le vote pour Donald Trump auprès des sondeurs ?
En France, après l’élection présidentielle de 2002 [où le candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen, est arrivé au second tour], les sondeurs ont corrigé le tir en redressant les intentions de vote pour le FN, car ils se sont rendu compte que les gens hésitaient à exprimer leur véritable opinion. Or, que soit pour le Brexit au Royaume-Uni en juin, ou l’élection de Donald Trump, les instituts de sondage n’ont peut-être pas appliqué ce redressement. Maintenant, il va y avoir un apprentissage. Mais le vote protestataire est toujours difficile à cerner. Les sondages n'arrivent pas toujours à identifier des formes de radicalité.
Il faut aussi noter qu'aux Etats-Unis, les sondages se font sur une base nationale, alors que l’élection se joue au niveau des Etats. Par ailleurs, le système électoral américain est particulier. On voit bien qu'Hillary Clinton a remporté le vote populaire [elle est devant Donald Trump en nombre de voix] mais a perdu le vote électoral, c’est-à-dire les Etats qui font basculer l’élection.
Est-ce que le statut de favorite d'Hillary Clinton a pu démobiliser son électorat ?
Les effets des sondages sur l’opinion publique ne sont pas vraiment attestés. On ne sait pas avec certitude quel peut être le poids des enquêtes d'opinion sur la structure du vote. Et puis, le raisonnement politique des électeurs est souvent plus complexe que ce que l’on croit.
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