Présidentielle américaine : les fantômes de Cleveland hantent à nouveau la campagne électorale
En 2008, des milliers de familles à Cleveland, dans l'Ohio, se sont retrouvées à la rue, expulsées de leur maison, après la crise immobilière des "subprimes". Huit ans après, la crise est passée mais les fantômes de Cleveland hantent à nouveau la campagne électorale.
En 2008, la ville de Cleveland, dans l'Ohio, était touchée de plein fouet par la crise immobilière dite des "subprimes". Des milliers de familles avaient été expulsées de leur maison, à la rue du jour au lendemain. Huit ans plus tard, la crise est passée, et pourtant ces fantômes de Cleveland se réinvitent dans la campagne électorale. L'Ohio est un "swing state". Il pourrait élire Donald Trump d'après les sondages.
Slavic Village, quartier dévasté
Dans le quartier de Slavic Village, à l’est de Cleveland, les rues sont extrêmement calmes, il n’y a quasiment pas de commerces. Les jolies couleurs d’automne ne suffisent pas pour cacher les maisons délabrées, abandonnées, et les terrains vagues. C'est ici que le film Cleveland contre Wall Street a été tourné. Il mettait en scène un procès de famille du quartier contre les banques.
En 2007, il y avait deux saisies immobilières par jour, un record pour le pays. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins d’expulsions mais le quartier garde les stigmates de la crise. Il y a bien les usines d’Arcelor Mittal toutes proches, et l’on aperçoit des péniches sur la rivière Cuyahoga, mais des milliers d’emplois ont disparu.
Tereena regarde sa maison typique du quartier avec beaucoup d’amertume. Cette jeune femme de 40 ans est au chômage depuis le mois de juin. Elle a acheté cette maison 40 000 dollars quand elle avait 18 ans, et aujourd’hui elle ne peut plus payer : "Je vais devoir partir, ils m'ordonnent de quitter la maison en décembre. Si je ne pars pas, je serai expulsée. Ils viendront avec un camion et jetteront toutes mes affaires dans la rue."
Les banques ont tous les pouvoirs. De ce point de vue-là, rien n'a changé.
"Je ne suis ni la première, ni la dernière à aller devant les tribunaux contre les banques. Je suis frustrée, déçue et en colère", poursuit-elle.
Sa voisine, Barbara Anderson, est une personnalité de Slavic qui s’est énormément battue pour les familles expulsées. Elle leur a permis de gagner des procès contre les banques. Elle a aidé Tereena à demander un recours en justice, en vain.
Des familles à l'écart du système
Cette grand-mère afro-américaine tient une boutique gratuite où les mères, souvent seules, peuvent venir chercher des vêtements ou des médicaments, et elle laisse discrètement de la nourriture à l’extérieur. Elle a vécu cette souffrance des gens qui se cachent pour survivre
"Ces familles qui ont perdu leurs maisons se sont souvent réfugiées chez des parents. Mais cela met les familles à l'épreuve quand les logements sont petits. Malheureusement, certaines sont parties vivre dans des maisons abandonnées. C'est un gros problème", explique Barbara Anderson, "parfois, elles n'ont pas de gaz, ni d'électricité. Et puis, c'est dangereux pour le quartier, pour la sécurité. Vous ne savez pas qui y habite. Certaines maisons sont, en réalité, des repères de criminels."
Celle qui s'est battue dès le début de la crise met en avant le sort des enfants de ces familles qui ne peuvent être inscrit à l'école "parce que leur famille se cache".
Ce sont des familles fantômes. Je ne sais pas combien elles sont, justement parce que ce sont des familles fantômes
Aux États Unis, 43 millions de personnes ont besoin de tickets d’alimentation fournis par l’État. À Slavic, c’est une majorité, il y a près de 20% de chômage.
Quand il parcourt les rues de son comté, Tony Brancatelli, le conseiller municipal démocrate de Slavic, voit bien que des maisons ont été reconstruites, une centaine à peu près. Un millier d'autres maisons ont été détruites.
Un quartier qui votera peu
Avec le président Obama, il y a eu des améliorations. Il a distribué des millions de dollars pour aider les villes à reconstruire les maisons, à reloger les familles. Certaines sont devenues locataires. Il a aussi fait voter une loi pour que les banques se comportent mieux avec les propriétaires, mais ce n’est pas assez. Tony Brancatelli montre des maisons totalement abandonnées qu'il appelle des "maisons zombies".
"Cette maison ne peut pas être reconstruite. C'est une maison zombie parce que la banque l'a saisie mais ne veut pas s'en occuper. Les gens expulsés sont partis", déplore le le conseiller municipal devant ces maisons qui dévalorisent un peu plus le quartier. "Voilà à quoi ressemblent les maisons zombies. On en a un millier. La seule solution, c'est de les démolir. Il nous faudrait 80 000 dollars mais nous ne les avons pas."
En tout, on a déjà reçu 60 millions de dollars depuis la crise mais on a besoin de beaucoup plus
Demain, les familles ne vont pas se bousculer pour voter, et ce n’est pas étonnant. Jan Thrope s’occupe d’une association dans ce quartier. Elle regrette profondément que les sujets qui préoccupent le plus les familles, le logement, l’emploi, soient absents des débats : "La crise n'est pas finie et les vrais problèmes sont ignorés dans cette campagne. Il n'y a que du dénigrement entre les candidats."
Jan Thrope aimerait voir les candidats dire comment créer des emplois plutôt que de se contenter de déclarer qu'il faut en créer plus. "Je pense qu'ils ne savent pas", conclut-elle, dépitée.
Malgré son désespoir, Tereena, la jeune femme qui va bientôt devoir quitter sa maison, votera démocrate mardi. Mais ici, les Américains de Slavic se sentent comme des fantômes, souvent absents des statistiques officielles quand ils se cachent dans des maisons ou ne perçoivent pas le chômage. Ce sont les véritables oubliés de cette campagne électorale.
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