Hillary Clinton face à ses soutiens... qui lui tournent le dos pour un selfie

Cette photo illustre-t-elle notre époque ? A gauche, des jeunes femmes de dos, les bras en l'air, tiennent leurs téléphones portables. Elles sont agglutinées, pressées contre une barrière. On ne voit pas leurs visages, mais seulement leurs cheveux. Au milieu, un espace, vide. A droite, Hillary Clinton. La candidate démocrate à la présidentielle américaine, vêtue d'un costume bleu roi, est juchée sur une estrade. Dans sa main gauche, un micro. Elle lève sa main droite pour saluer la foule.

2016, ya'll. pic.twitter.com/M0AZceVagQ

— Victor Ng (@victomato) 25 septembre 2016

Ce cliché a été réalisé par la photographe officielle d'Hillary Clinton, le 21 septembre à Orlando (Etats-Unis). Il a été mis en ligne sur Twitter dimanche 25 septembre par "Victor Ng", membre de l'équipe de campagne de Hillary Clinton avec le commentaire : "2016, super." Lundi matin, il avait été retweeté plus de 16 000 fois.

"Avoir une photo d'Hillary Clinton ne suffit plus"

L'objectif du commentaire de "Victor Ng", ironique, est de pointer le comportement des soutiens d'Hillary Clinton sur cette photo. Plutôt que de faire face à la candidate, qu'elles voient en vrai, les jeunes femmes préfèrent lui tourner le dos pour prendre un selfie. D'autant plus que la perspective de la photo souligne ce contraste.

C'est ce qui fait réagir, et c'est ce qui explique le succès de ce tweet. "Avons-nous atteint le paroxysme du selfie ?" s'interroge The Australian (en anglais). "S'il y a bien une image qui résume l'obsession de la génération actuelle pour les selfies, c'est celle-ci. Avoir une photo de la candidate démocrate seule ne suffit plus. Il faut que vous soyez sur la photo pour impressionner vos amis sur les réseaux sociaux", estime le quotidien australien dans un éditorial.

Une génération égocentrique ?

Même analyse pour le site Cnet (en anglais), pour qui cette photo "montre ce que nous sommes devenus". Mais le site américain a choisi de tourner la situation en dérision. Il a écrit une lettre destinée aux personnalités célèbres dans laquelle il se moque (gentiment) de ceux qui prennent les photos : "Chères personnes célèbres, si nous voulons être vus à vos côtés, nous vous tournerons le dos. (...) Ainsi, nous accédons nous-même à une mininotoriété. Ce qui sera sans doute le maximum de notoriété que nous atteindrons."

Sur Twitter, de nombreux utilisateurs ont critiqué le narcissisme extrême de notre époque:

Pictures of @HillaryClinton show America has changed a lot in just a decade. The selfie generation is real, y'all. @victomato pic.twitter.com/8jQTt77ItP

— Ashton (((Elijah))) (@ashtonpittman) 25 septembre 2016

"La dictature de Narcisse n'est pas pour demain"

"C'est fait, c'est acté, l'image ne saurait tromper, nous entrons résolument, définitivement, dans une nouvelle ère 100% virtuelle, dans une sorte de dictature narcissique" : le site Arrêt sur images met d'abord les pieds dans le plat. Mais c'est pour mieux prendre du recul, expliquer que le moment est en fait une stratégie de communication de la candidate. "Le 'moment selfie' n'a donc été qu'un moment, autorisé, peut-être impulsé par la candidate elle-même", souligne Arrêt sur images.

"Ce n'est pas un instant fugace, capturé par hasard ou censé représenter notre époque. C'est réfléchi. C'est du marketing, comme le fameux selfie des Oscars, qui était en fait une campagne de pub pour Samsung", renchérit Le Monde. "Non, le selfie ne 'remplace' pas les codes traditionnels de contact entre une foule et l'objet de son amour. Il vient seulement s'y ajouter, à sa petite place. La dictature de Narcisse n'est pas (encore) pour demain", insiste Arrêt sur images.

Une autre photo en est la démonstration : celle qui est utilisée en tête cet article, sur laquelle les soutiens d'Hillary Clinton lui font face. La photo n'illustre peut-être pas l'époque, mais bel et bien le déplacement d'une candidate en pleine campagne présidentielle.