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Quatre questions sur l'"inquiétant" décret de Donald Trump sur l'immigration

Le président des Etats-Unis a signé vendredi un décret prévoyant des contrôles renforcés aux frontières et empêchant les ressortissants de certains pays à majorité musulmane d'entrer sur le territoire américain.

Article rédigé par franceinfo
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Donald Trump signe un ordre exécutif au département de la Défense, en Virginie (Etats-Unis), le 27 janvier 2017. (OLIVIER DOULIERY / DPA / AFP)

"Je mets sur pied de nouvelles mesures de contrôle pour maintenir hors des Etats-Unis les terroristes islamiques radicaux. Nous ne les voulons pas ici", a déclaré Donald Trump. Le décret du président américain suspendant pour trois mois l'accueil des réfugiés et des ressortissants de sept pays majoritairement musulmans a semé la confusion et parfois la panique, samedi 28 janvier, chez les voyageurs en partance pour les Etats-Unis, dont certains ont dû rebrousser chemin.

>> Suivez en direct les dernières réactions après la signature du décret anti-immigration

L'Union américaine pour les droits civiques (ACLU) et plusieurs organisations d'aide aux immigrés ont saisi la justice américaine pour contester ce décret, qui s'applique également aux porteurs de permis de séjour appelés "cartes vertes".  

Franceinfo répond à quatre questions sur cette mesure que beaucoup jugent "inquiétante".

Qui est concerné ?

En vertu du décret intitulé "Protéger la nation contre l'entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis" et de ses annexes, les autorités américaines vont interdire pendant trois mois l'arrivée de ressortissants de sept pays musulmans : l'Irak, l'Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. A l'exception de leurs ressortissants détenteurs de visas diplomatiques et officiels et qui travaillent pour des institutions internationales.

Cependant, plusieurs ressortissants des pays mentionnés, en possession de visas en bonne et due forme, se sont déjà vus refuser l'entrée du territoire américain dès vendredi soir par les services d'immigration. De fait, les porteurs de permis de séjour appelés "cartes vertes" sont également concernés par ce décret, a annoncé une porte-parole du département de la Sécurité intérieure.

Le site Propublica (en anglais) estime que 500 000 résidents légaux qui souhaiteraient retourner aux Etats-Unis pourrait être concernés par la mesure. 

Quant aux réfugiés syriens, qui ont fui par millions le conflit dans leur pays, mais dont seulement 18 000 ont été acceptés aux Etats-Unis depuis 2011, ils sont définitivement interdits d'entrée, jusqu'à nouvel ordre.

Quelles sont les réactions après cette annonce ?

La décision du président américain inquiète. Plusieurs associations américaines de défense des droits civiques ont attaqué en justice le décret. Une plainte contre le président Trump et le ministère de la Sécurité intérieure a été déposée samedi matin devant un tribunal fédéral de New York par l'American civil liberties union (ACLU) et d'autres associations de défense des droits et des immigrés. 

L'ONU a rapidement appelé Donald Trump à poursuivre la longue tradition d'accueil des réfugiés aux Etats-Unis et à ne pas faire de distinction de race, de nationalité ou de religion. Dans une déclaration conjointe, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) ont rappelé que "le programme américain de réinsertion est l'un des plus importants dans le monde".

Du côté français, le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, a qualifié samedi cette signature d'"inquiétante", soulignant que "l'accueil des réfugiés qui fuient la guerre fait partie de nos devoirs". "Mais il y a beaucoup d'autres sujets qui nous inquiètent", a-t-il ajouté. 

D'autres personnalités ont réagi à l'annonce de Donald Trump. "Les Etats-Unis sont une nation d'immigrés, nous devrions en être fiers", a par exemple écrit Mark Zuckerberg dans un message publié sur son réseau social, Facebook (en anglais). "Nous devrions garder nos portes ouvertes aux réfugiés, à ceux qui ont besoin d'aide", a-t-il ajouté. 

Enfin, l'Iran a décidé samedi d'appliquer le principe de réciprocité au décret. "La République islamique d'Iran (...), tout en respectant le peuple américain et pour défendre les droits de ses citoyens, a décidé d'appliquer la réciprocité après la décision insultante des Etats-Unis concernant les ressortissants iraniens et tant que cette mesure n'aura pas été levée", annonce le ministère des Affaires étrangères iranien. 

Mais ça ne s'appliquera peut-être pas. Si ?

Les conséquences du décret commencent déjà à se faire ressentir. A l'aéroport du Caire, cinq Irakiens et un Yéménite n'ont pas été autorisés à monter à bord d'un avion en partance pour New York, selon des sources proches des autorités aéroportuaires. Les six voyageurs, qui faisaient escale dans la capitale égyptienne, ont été réorientés vers des vols à destination de leur pays, bien que leurs visas soient en règle.

La société aérienne néerlandaise KLM annonce avoir refusé d'embarquer sept personnes à bord de ses avions, sans donner des détails sur la nationalité de ces voyageurs, leur aéroport d'origine ou leurs destinations.

Aux Etats-Unis, la plainte de l'ACLU et des autres associations d'aide aux immigrés a été déposée devant un tribunal de Brooklyn au nom de deux Irakiens arrêtés vendredi. L'un d'eux a travaillé pour le compte des forces américaines en Irak et l'autre est l'époux d'une ancienne sous-traitante des services de sécurité. Les deux hommes qui étaient porteurs de visas en règles ont été interpellés à l'aéroport John Kennedy de New York, quelques heures après la signature du décret. Les plaignants réclament leur remise en liberté et l'invalidation de cette mesure. 

Dans de nombreux aéroports, les agents des douanes ignorent la conduite à tenir, selon Mana Yegani, une juriste de Houston membre de l'association des avocats américains pour l'immigration. Elle et ses collègues ont travaillé toute la nuit pour répondre aux appels de voyageurs disposant de visas d'études ou de travail qui ont été refoulés et renvoyés vers les pays concernés par le décret. "Ce sont des gens qui viennent en toute légalité. Ils ont des emplois, ils ont des véhicules ici (...) Juste parce que Trump a signé quelque chose hier à 18 heures, tout est bloqué", a-t-elle déploré.

Cette disposition est-elle légale ?

L'ACLU et les associations américaines de défense des droits civiques demandent à ce que les deux irakiens interpellés à New York soient relâchés et qu'ils puissent au moins exercer leur droit à déposer une demande d'asile aux Etats-Unis pour éviter d'être renvoyés en Irak, où ils ont de bonnes raisons de craindre pour leur sécurité. Elles soulignent que leur interpellation sur la seule base du décret violent le 5e amendement de la Constitution américaine, qui protège contre les abus gouvernementaux et garantit la sécurité juridique de tout individu.

Selon Stephen Legomsky, ancien conseiller juridique des services d'immigration et de la citoyenneté américaine au sein de l'administration Obama, cette disposition pourrait être inconstitutionnelle. Dans une tribune publiée par le New York Times (en anglais), David J. Bier estime aussi que cette disposition est illégale. Pour lui, le décret n'est pas conforme les "Immigration and nationality acts of 1965", une série de lois adoptées qui a notamment aboli les quotas basés sur la nationalité. 

Ces textes prévoient qu'aucune personne ne peut être "discriminée dans la délivrance de son visa d'immigrant en raison de sa race, de son sexe, de sa nationalité, de son lieu de naissance ou de son lieu de résidence" et ils encadrent strictement les exceptions. David J. Bier cite par exemple le cas d'Iraniens interdits d'entrés aux Etats-Unis, en 1980, par le président Jimmy Carter, pendant la crise des otages américains en Iran. Il s'agissait d'étudiants, de touristes et de visiteurs temporaires mais il existait de nombreuses exceptions. A plusieurs reprises, les tribunaux américains ont ainsi rappelé l'interdiction de la discrimination en matière d'immigration. En 1996, le Congrès a par ailleurs adopté un amendement pour signifier que le lieu de la demande d'immigration ne peut pas être un facteur discriminant. 

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