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"Sphinx", fin limier et intouchable : qui est Robert Mueller, le procureur spécial qui fait trembler le clan Trump ?

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Robert Mueller, alors directeur du FBI, prononce un discours en mémoire des victimes de l'attentat du vol Pan AM 103, à Arlington (Virginie, Etats-Unis), le 21 décembre 2011. (BRENDAN SMIALOWSKI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Il a inculpé, début décembre, l'ancien secrétaire d'Etat à la Défense de Donald Trump. Une nouvelle qui a semé la panique à la Maison Blanche. Mais qui est ce procureur spécial qui enquête sur le "scandale russe" ? Portrait.

"Tout le monde a l'impression d'être sur écoute." Depuis le début du mois de décembre, la paranoïa a gagné tous les employés de la Maison Blanche. Chacun cherche un micro caché sous la veste de son voisin, dévisage ses collègues, mesure ses propos, affirme Politico (article en anglais) lundi 4 décembre. Leur crainte ? Se retrouver dans la ligne de mire du procureur spécial chargé d’enquêter sur les soupçons de collusion entre le clan Trump et la Russie

Robert Mueller a semé la panique à Washington en annonçant, le 1er décembre, avoir passé un accord avec l'ancien secrétaire d'Etat à la Défense, Michael Flynn. Le militaire, inculpé après avoir reconnu qu'il a menti au FBI, collabore désormais avec la justice. Alors que l'ampleur de l'investigation fait trembler l'entourage de Donald Trump, franceinfo dresse le portrait de Robert Mueller, considéré par CNN (en anglais) comme "l'homme le plus puissant de Washington".

Il a fait du FBI "une agence de renseignement mondiale"

Robert Mueller III, surnommé "Bob trois bâtons", est resté douze ans à la tête du FBI. Lorsqu'il prend ses fonctions, le 4 septembre 2001, l'institution "considère le renseignement et la sécurité nationale comme des missions secondaires par rapport aux arrestations de criminels", assure Time (en anglais). Les attentats du 11-Septembre changent la donne. Robert Mueller revoit les priorités du FBI, accusé de négligence pour ne pas avoir su empêcher les attaques. L'agence se concentre désormais sur la lutte contre le "terrorisme intérieur" et développe un programme de surveillance inédit.

Robert Mueller donne une conférence de presse sur de possibles menaces terroristes contre les Etats-Unis, à Washington, le 26 mai 2004. (KEVIN LAMARQUE / REUTERS)

"Avec lui, le Bureau est passé d'une agence de sécurité intérieure à une agence de renseignement d'envergure mondiale", explique Garrett Graff, journaliste et auteur du livre The Threat Matrix : à l'intérieur du FBI de Robert Mueller (paru en 2012), à franceinfo. Le patron du FBI refuse toutefois de sortir du cadre de la loi. En 2004, l'administration Bush tente de profiter de l'hospitalisation du ministre de la Justice pour faire adopter un vaste programme d'écoutes illégales. Robert Mueller et le numéro 2 du ministère, James Comey, menacent de démissionner si le projet n'est pas enterré. La Maison Blanche fait marche arrière.

Interrogé par Mediapart, Rhodri Jeffreys-Jones, historien à l’université d’Édimbourg (Royaume-Uni), lui reproche toutefois d'avoir "importé les technologies d’exploration de données du secteur privé et contribué à privatiser la surveillance gouvernementale, ce qui menace aujourd’hui notre vie privée". Robert Mueller aurait en outre ignoré les agents du FBI qui alertaient sur le traitement inhumain des prisonniers de Guantanamo par la CIA. Une critique balayée par le directeur de la police fédérale. 

Le FBI et la CIA sont deux agences différentes, qui ne dépendent pas du même ministère. Robert Mueller a considéré que ce n'était pas son rôle de remettre en question les actions d'une agence qui dépendait d'une autre autorité.

Garrett Graff, journaliste

à franceinfo

Un procureur "apolitique et intègre"

Le bilan de Robert Mueller à la tête du FBI est unanimement salué. A tel point que l'alternance politique à la Maison Blanche, en 2009, ne l'affecte pas. Le démocrate Barack Obama le prolonge au-delà des dix ans de mandat habituels, jusqu'en 2013. Malgré sa carte du Parti républicain, "Robert Mueller est considéré comme apolitique et intègre, résume Garrett Graff. Il est apprécié de tous parce qu'il a passé cinquante ans au service de son pays." 

Robert Mueller et Barack Obama discutent au siège du FBI, à Washington (Etats-Unis), le 28 avril 2009. (KEVIN LAMARQUE / REUTERS)

Sa carrière débute en 1968 avec les Marines, durant la guerre du Vietnam. Blessé au combat, Robert Mueller obtient une médaille de l'étoile de bronze (la quatrième plus haute décoration pour acte de bravoure) et trois autres distinctions militaires.

Mais c'est surtout au service de la justice que Robert Mueller se fait remarquer. Diplômé en droit de l'université de Virginie en 1973, cet ex-champion de football américain rejoint le parquet de San Francisco (Californie). Il suit des dossiers criminels, notamment le procès de plusieurs membres du gang des Hells Angels. Le jeune procureur est un "donneur d'ordres", dur avec ses subordonnés, selon d'anciens collègues cités par le Los Angeles Times (en anglais). Il peine parfois à "établir un lien avec les victimes". S'il accepte de jouer dans l'équipe de base-ball du Bureau, il se lie peu avec ses collègues. "Il nous rejoignait pour boire un verre, juste un verre, et ensuite sa femme venait le récupérer", se remémore l'un d'entre eux.

Qu'importe, la détermination et la précision de Rober Mueller paient. Dans les années 1980, il rejoint le bureau du procureur de Washington et prend rapidement la tête de la division criminelle. Il enchaîne les dossiers sensibles : le procès de la mafia de Brooklyn, les poursuites pour trafic de drogue contre le dictateur panaméen Manuel Noriega ou encore l'enquête sur l'attentat du vol Pan Am 103 au-dessus de l'Ecosse.

Une enquête discrète et verrouillée

Après son départ du FBI en 2013, Robert Mueller partage son temps entre l'université Stanford, où il donne des cours sur la cybercriminalité, et un prestigieux cabinet d’avocats de Washington, indique Le MondeJusqu'à ce que l'adjoint au ministre de la Justice, Rod Rosenstein, lui propose de devenir procureur spécial en mai 2017. "Il était la personne idéale pour endosser ce rôle, estime Garrett Graff. Il a été nommé aux plus hauts postes sous cinq présidents, dont deux démocrates. Il a une expérience incroyable et sait gérer les enquêtes sensibles, les contextes politiques complexes et le travail de l'ombre."  

La discrétion est l'un des meilleurs atouts de l'homme. D'ailleurs, il ne communique que très peu sur l'avancée de l'enquête sur le scandale russe, laissant planer le doute sur ses prochaines cibles, note CNN. Résultat : l'inculpation de Michael Flynn a fait l'effet d'une bombe à Washington. Tout comme celle de l'ancien directeur de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, poursuivi pour "complot".

On sait que Michael Flynn a accepté de collaborer avec la justice, mais personne n'a la moindre idée de ce qu'il a pu dire à Robert Mueller. Lorsque l'on voit le nombre de médias qui suivent le scandale russe, il est particulièrement impressionnant qu'il y ait aussi peu de fuites.

Garrett Graff, journaliste

à franceinfo

Robert Mueller sait s'entourer. Son équipe, dont l'organigramme exact reste secret, est constituée de 17 procureurs. Parmi eux, James Quarles III, qui a enquêté sur le Watergate, Andrew Weissmann, qui a travaillé sur le scandale financier Enron, ou encore Aaron Zebley, spécialiste du terrorisme, liste Mediapart. "C'est tout simplement la meilleure équipe d'enquêteurs jamais formée par le département de la Justice", assure Garrett Graff.

Ecoutes, pièce sans fenêtre et gros moyens

La méthode de "Bob trois bâtons" est implacable. Par groupe de deux ou trois, juristes et agents du FBI se relaient pour presser de questions les témoins de l'affaire, dans "une pièce sans fenêtre", rapporte le Washington Post (en anglais). Le procureur spécial lui-même assiste à certaines auditions, sans prononcer un mot, tel "un sphinx". "Il mène cette investigation exactement comme il le faut : il travaille du bas de la pyramide vers le haut, en commençant par s'attaquer aux acteurs secondaires de l'affaire", analyse Garrett Graff. Comme George Papadopoulos, conseiller de la campagne présidentielle de Donald Trump, lui aussi inculpé en octobre pour avoir menti au FBI.

SMS, conversations sur Facebook et Skype, e-mails... Tous les moyens de communication du jeune républicain ont été passés au crible par les enquêteurs, note Mediapart. Il est même "possible" qu'il ait été placé sur écoute, selon Garrett Graff. L'enquête a déjà coûté 6,7 millions de dollars en quatre mois et demi, estime le New York Times (en anglais). Un montant qui n'est pas extravagant : l'investigation sur Bill Clinton avait coûté 50 millions de dollars, entre 1994 et 1998, et celle sur Ronald Reagan, étalée sur huit ans, 47 millions de dollars.

"S'attaquer à Mueller ? Un énorme risque"

Donald Trump, qui dénonçait en juin une "chasse aux sorcières", pourrait-il tenter de se débarrasser de Robert Mueller ? La loi américaine protège en théorie le procureur spécial, rappelle Vox (en anglais). Seul le ministre de la Justice peut le limoger, en cas de faute grave. Jeff Sessions s'étant récusé de l'affaire, cette mission reviendrait à son adjoint, Rod Rosenstein. "Donald Trump pourrait lui ordonner de démettre Robert Mueller de ses fonctions, explique Garrett Graff. Si Rod Rosenstein refusait, le président pourrait le limoger et nommer quelqu'un d'autre à sa place. Il pourrait continuer ainsi jusqu'à ce qu'il trouve un ministre de la Justice prêt à écarter le procureur spécial."

Le procureur spécial Archibald Cox, chargé d'enquêter sur le scandale du Watergate, répond aux questions des journalistes à Washington (Etats-Unis), le 19 octobre 1973. (JOHN DURICKA / AP / SIPA)

Un tel précédent existe dans l'histoire américaine : Archibald Cox. Le procureur spécial, nommé pour enquêter sur l'affaire du Watergate, avait été écarté en 1973 sur ordre de Richard Nixon. Le président républicain avait auparavant poussé à la démission deux ministres de la Justice, qui refusaient de lui obéir. Mais "l’opinion publique s’est dit que Nixon avait quelque chose à cacher et les républicains au Congrès ont commencé à lui retirer son soutien", rappelle la politologue Katy Harringer à Mediapart. Moins d'un an plus tard, Richard Nixon présentait sa démission pour éviter une procédure de destitution. "Donald Trump n'a aucune idée de ce qu'il déclencherait s'il essayait d'évincer le procureur spécial, estime Garrett Graff. S'attaquer à Robert Mueller représenterait un énorme risque pour sa présidence."

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