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Six questions sur l'entrée en vigueur du décret anti-immigration aux Etats-Unis

Le deuxième décret anti-immigration de Donald Trump est partiellement entré en vigueur jeudi aux Etats-Unis, après une décision de la Cour suprême. Il est moins restrictif que ce que prévoyait sa première version, qui avait été suspendue en février par un juge fédéral.

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerle
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"Aux Etats-Unis, nous sommes tous des immigrés", assure ce panneau brandi lors d'une manifestation contre le décret anti-immigration de Donald Trump, le 1er mai 2017, à Washington (Etats-Unis).  (WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA/ AFP)

Le feuilleton du décret anti-immigration de Donald Trump se poursuit. Après une décision de la Cour suprême, lundi 26 juin, le décret est partiellement entré en vigueur jeudi 29 aux Etats-Unis.

Le texte suspend pendant 120 jours l'admission des réfugiés venant du monde entier, et interdit pendant 90 jours toute entrée sur le sol américain aux ressortissants de six pays à majorité musulmane. Le président Donald Trump a justifié cette mesure en disant vouloir donner assez de temps au gouvernement pour revoir ses procédures de vérification et d'admission des nouveaux entrants.

La Cour suprême a cependant considérablement réduit le champ d'application du texte, l'une des mesures les plus controversées du début de mandat de Donald Trump. Franceinfo fait le point sur ce dossier. 

C'est quoi, l'histoire de ce décret anti-immigration ? 

Extrêmement controversée, la première version du décret, signée le 27 janvier, avait été suspendue le 3 février par un juge fédéral. Après ce revers, Donald Trump voulait initialement porter son premier décret devant la Cour suprême, mais il s'était rétracté et avait décidé de signer un nouveau décret, plus facile à défendre.

La version amendée a été signée le 6 mars, et devait entrer en vigueur le 16 mars. Mais le 15 mars, le juge fédéral de l'Etat d'Hawaï a suspendu à son tour le décret pour l'ensemble du pays, pour éviter, selon lui, des "préjudices irréparables" engendrés par le texte. Il estimait notamment qu’il comportait "des preuves significatives et irréfutables d'animosité religieuse".

Comment Donald Trump a-t-il réussi à faire entrer en vigueur ce texte ?

Donald Trump a défendu la deuxième version de son texte devant la plus haute autorité judiciaire du pays. "La loi, selon la Constitution, a donné au président le pouvoir de suspendre l'immigration quand il estime qu'il en va de l'intérêt national de notre pays, avait-il dit. Nous allons gagner".

Le 26 juin, la Cour Suprême a annoncé que le décret anti-immigration allait entrer partiellement en vigueur, jusqu'à son examen complet en octobre. L'administration de Donald Trump a immédiatement qualifié cette décision de "claire victoire". Mais pour Jennifer Gordon, professeure de droit à l’université de Fordham (New York), qualifier cette décision de victoire pour le président est "une vaste exagération" a-t-elle expliqué au Guardian. Les juges ont en effet restreint le champ d'application du décret.

Qui est concerné par l'application partielle du décret ?

Le décret présidentiel interdit l'entrée sur le sol américain pendant 90 jours aux voyageurs de six pays à majorité musulmane : l'Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. 

Mais la Cour Suprême a décidé que les personnes pouvant attester "d’une relation de bonne foi" avec des personnes ou des entités présentes aux Etats-Unis sont exemptées de cette interdiction. Les juges ont donné quelques exemples des personnes qui seraient admises, comme un salarié recruté par une entreprise locale, un étudiant admis dans une université américaine, ou les personnes rendant visite à des membres de leur "famille proche".

Le décret interdit aussi l'entrée des réfugiés du reste du monde pendant 120 jours, sauf pour ceux qui ont réussi à établir cette "relation de bonne foi" avec les Etats-Unis. Le décret place aussi la barre du nombre d'admissions de réfugiés maximal à 50 000 pour l'année 2017, bien moins que le plafond de 110 000 personnes établi par Barack Obama. Cette limitation ne comptabilise cependant pas les personnes pouvant prouver une relation "digne de foi" avec les Etats-Unis.

Pourquoi son entrée en vigueur est-elle controversée ?

Les juges n'ont pas défini précisément ce qu'ils entendent par "relation de bonne foi". Un flou juridique qui promet un chaos sur le plan légal. Le juge conservateur de la Cour suprême Clarence Thomas a ainsi tiré le signal d'alarme (document en anglais) : "Le compromis va provoquer un déluge de litiges" parce que "les cours vont avoir des difficultés à déterminer ce qui constitue exactement une 'relation de bonne foi'".

Malgré les précisions des juges de la Cour suprême, un flou persiste aussi quant à la définition de "famille proche". Dans un câble diplomatique, l'administration américaine en a détaillé son interprétation : parents, époux, enfants, gendres, belles-filles et membres de la fratrie en font partie, mais grands-parents, petits-enfants, oncles et tantes, neveux et nièces, cousins, fiancés, beaux-frères et belles-sœurs en sont exclus.

"Cette administration est en train de redéfinir ce qu'est une famille, a critiqué Rama Issa, directrice de l'Arab American Association of New York. Je suis fiancée et vais me marier. J'ai de la famille aujourd'hui en Syrie, non seulement mon père mais aussi des oncles et tantes que j'aimerais bien voir à mon mariage, mais hélas, ils ne pourront pas venir."

"Les Etats-Unis interdisent désormais aux grands-mères de voir leurs petits-enfants", a aussi dénoncé le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, dans un tweet.

La raison d'être du décret est aussi sujette à débat. Le président et ses principaux ministres avaient qualifié ce deuxième décret de "vital" pour la sécurité nationale face à des menaces d'attentats. Un argument qui a du mal à convaincre les opposants au texte. Depuis le 11 septembre 2001, les attaques les plus graves aux Etats-Unis ont été commises soit par des Américains, soit par des ressortissants ne provenant pas des pays visés par le décret.

Comment s’organisent les opposants au texte ?

Avocats et militants des droits de l'homme se sont relayés vendredi dans plusieurs aéroports des Etats-Unis, à New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago et Washington afin d'apporter une aide juridique aux voyageurs des pays affectés.

Camille Mackler, de la New York Immigration Coalition, faisait partie des volontaires présents à l'aéroport JFK pour attendre les vols en provenance de Londres, Istanbul, Doha et Abu Dhabi. "Nous sommes simplement là pour surveiller, pour informer les gens sur ce qu'il se passe et pour faire remonter ce que nous observons", a-t-elle expliqué au site d'information The Daily Beast (article en anglais).

Aucun signe de trouble ou de panique n'ont été observés dans les heures suivant l'entrée en vigueur du texte, contrairement à ce qui s'était produit en janvier lors de la mise en application de la première version du décret.

La New York Immigration Coalition a aussi organisé un rassemblement à Union Square pour protester contre l’entrée en vigueur du décret.

A Los Angeles certains brandissaient des pancartes qualifiant le président américain de "fasciste".

Le décret peut-il encore être remis en question par la justice ?

Les plus hauts magistrats du pays étudieront en profondeur le texte et entendront les arguments de l’administration Trump lors de leur prochaine session, en octobre. "Nous espérons que la Cour suprême (...) déclarera l’interdiction de séjour inconstitutionnelle et discriminatoire par nature", a expliqué dans un communiqué Becca Heller, directrice de l’International Refugee Assistance Project.

Mais la période d’application des 90 jours d’interdiction d’entrée sur le territoire visant spécifiquement six pays à majorité musulmane aura d’ici là expiré. Le débat devrait donc se concentrer sur l’étendue des pouvoirs du président en matière d’immigration, un terrain relativement sûr pour la Maison Blanche.

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