"Nous sommes là pour dépolariser l'Amérique" : on a suivi une thérapie de groupe entre démocrates et républicains
Selon un récent sondage, 80% des Américains sont convaincus que leur pays est profondément divisé politiquement. A l'approche des élections de mi-mandat, franceinfo a assisté à un atelier visant à réconcilier des progressistes et conservateurs.
Le vaste hall de l'église unitarienne universaliste d'Arlington, en Virginie (Etats-Unis), se remplit calmement, samedi 27 octobre. Sur une large table, des bénévoles commencent à disposer des présentoirs pour chaque place, sur lesquels sont soigneusement inscrits les prénoms des invités du jour. Sept noms sont écrits en rouge, la couleur des républicains, et sept autres en bleu, la couleur des démocrates. Dans quelques minutes, ces Américains que tout oppose s'installeront côte à côte, et parleront ensemble de politique. Non pas pour débattre, et inévitablement s'accrocher, mais pour tenter de trouver un terrain d'entente.
"Bienvenue ! Nous sommes Jane et Reena", amorcent les deux femmes chargées d'animer la journée. "Huit Américains sur dix pensent que les Etats-Unis sont profondément divisés. Nous sommes donc là pour dépolariser l'Amérique !" annoncent-elles, sous les rires discrets de l'audience. Ces "modératrices", thérapeutes dans la vraie vie, sont sur le point de lancer un nouvel atelier de l'association Better Angels, fondée dans le sillage de l'élection de Donald Trump. Leur mission ? Forcer la rencontre – et la réconciliation – entre deux Amériques : celle qui a voté, par défaut ou conviction, pour Donald Trump, et celle qui vit encore mal la débâcle d'Hillary Clinton.
Si vous voulez convaincre l'autre bord, vous vous êtes trompés d'endroit. Ici, ce que l'on cherche entre vous, ce sont des points communs.
Reenaune des deux animatrices
Assis autour de la table, un "bleu" entre chaque "rouge", la journée démarre par les présentations. Qui sont ces hommes et ces femmes, et pourquoi ont-ils fait le choix de venir à cet atelier ? Diana, analyste à Arlington, est démocrate, et aimerait apprendre à discuter avec des républicains. Monte, professeur d'histoire et de sciences sociales dans un lycée d'Alexandria (Virginie), est républicain et a ressenti le besoin de "s'impliquer" dans ces échanges. Phyllis et JC, deux retraités "bleus", donc démocrates, voient leur pays scindé en deux, et s'inquiètent. "J'ai des proches qui sont 'rouges', et c'est la guerre avec eux", déplore JC, derrière une imposante barbe blanche.
Ces volontaires font partie des plus de 3 000 Américains qui, de part et d'autre des Etats-Unis, ont déjà pris part à ces journées atypiques. En à peine deux ans, Better Angels a organisé près de 250 ateliers du Texas au Minnesota en passant par la Californie. L'idée de Better Angels est née au lendemain de l'élection présidentielle, le 8 novembre 2016. Deux amis, David Blankenhorn et David Lapp, s'appellent ce jour-là. L'un est à New York, et décrit une ambiance "déprimante" après la victoire de Donald Trump. L'autre est à South Lebanon, dans l'Ohio, et observe une atmosphère de fête après la défaite d'Hillary Clinton. Témoins d'un tel contraste, ils s'interrogent. "Pourquoi ne pas réunir des démocrates et des républicains ?" se demandent-ils.
On parle rarement de politique avec des personnes aux opinions différentes. Notre but, c'est de faire en sorte que ces Américains se voient mutuellement comme des êtres humains avant tout, et non comme des ennemis politiques.
Donna Murphyorganisatrice en chef de Better Angels
Engagée dans le projet depuis mai 2017, la progressiste Donna Murphy concède que, désormais, elle "aime bien" les "rouges". "Ce sont devenus des amis, assure-t-elle tout sourire. Je ne suis toujours pas d'accord avec eux, mais je vois leur humanité. Avant, ils n'étaient que des adversaires."
Déconstruire (et reconnaître) les critiques
Dans l'église d'Arlington, l'heure est au premier exercice de conciliation. Les deux clans se dirigent vers des salles distinctes, suivis par des observateurs silencieux. Chaque groupe, isolé de l'autre, doit écrire noir sur blanc une liste de stéréotypes reprochés à leur bord politique. Et distinguer le vrai du faux dans ces préjugés. "Nous sommes méchants, bêtes, colériques et fous. C'est ça, non ?" plaisante Bruce, retraité conservateur de 74 ans, confortablement installé parmi d'autres républicains. Ses voisins laissent échapper un rire. "Sans compassion", lance Bryan, un consultant de 33 ans. "Homophobes, misogynes", renchérit Teri.
Le groupe s'arrête sur l'idée selon laquelle les conservateurs sont racistes. "Ce n'est pas vrai", réagissent deux participants. "Mais n'y a-t-il pas un fond de vérité ?" provoque l'animatrice Jane. "En matière d'immigration, il est vrai que certains 'rouges' se focalisent sur les Hispaniques", reconnaît Bryan, acceptant cette critique de la gauche. "Et les nationalistes blancs s'identifient souvent comme 'rouges'", assume un autre jeune conservateur.
Dans l'autre salle, les "bleus" se penchent sur plusieurs clichés. Notamment sur celui, véhiculé par la droite, selon lequel les démocrates "sont contre les valeurs familiales". Plusieurs volontaires se défendent. "Le fait d'inclure des personnes non chrétiennes, ou d'être pro-choix [pour le droit à l'avortement] ne remet pas en cause notre attachement aux valeurs familiales", répond l'une des participantes. Reena, comme sa collègue, les pousse dans leurs retranchements. "Reconnaître une diversité de genres peut être difficile, déroutant pour certains", convient alors Tony.
Après l'introspection, place à l'autocritique. Ensemble, "bleus" et "rouges" doivent se confier sur ce qui est bon dans leur camp et sur ce qui ne leur convient pas. Le républicain Bryan regrette le manque de réflexion sur le climat au sein des partisans du Grand Old Party. Du côté des "bleus", Diana concède que les démocrates ne véhiculent qu'un message, "l'anti-trumpisme". "On devrait s'intéresser davantage aux demandes de ses électeurs", poursuit Allen. A chaque concession, l'audience applaudit.
Un terrain d'entente possible
Grâce à l'atelier, "j'ai appris par exemple que, pour les 'rouges', la notion de solidarité dans sa communauté, dans son quartier, est aussi importante. J'y travaille beaucoup, et j'aurai désormais moins peur de le faire avec eux", développe Diana. "Amen, ma sœur", réagit Teri, sa voisine conservatrice. Les deux femmes, opposées sur l'échiquier politique, échangent un "high five" complice.
Le temps du débat est désormais venu. Pendant une heure, chaque camp pose les questions qu'il souhaite à l'autre bord. Mais "attention, ne demandez pas à un 'rouge' comment il a pu voter pour Donald Trump, ou à un 'bleu' comment il a pu soutenir Hillary Clinton, prévient, le ton rieur, Reena, l'animatrice. Posez des questions curieuses." Deena répond à des républicains reprochant aux démocrates un manque de tolérance vis-à-vis des opinions conservatrices. "Je suis totalement d'accord avec ça", assume-t-elle, invoquant la liberté d'expression.
Au fil de l'échange et contre toute attente, le président américain devient le principal sujet d'accord entre "bleus" et "rouges". A la question "Etes-vous inquiet du manque de compétence et d'honnêteté de Donald Trump ?", deux républicains répondent en chœur "oui, oui et oui !". "Merci, merci", souffle le clan démocrate, rassuré de voir qu'il existe des conservateurs loin d'être trumpistes. Sur la politique migratoire de l'administration Trump, même convergence : la séparation des familles de migrants "viole les valeurs américaines", et la rhétorique du président sur la caravane des migrants "joue sur la peur des gens", selon les deux camps.
La journée touche à sa fin. Les 14 participants, toujours entourés d'observateurs, se retrouvent dans le hall de l'église pour dresser le bilan de l'atelier. "Eh bien, on s'est trouvés des points communs", se félicite Monte. "Leurs réponses étaient plus raisonnables que ce à quoi je m'attendais !" sourit le "bleu" JC. Autour de la table, Deena et Allen promettent de parler à davantage de républicains. Ce dernier a néanmoins un doute : "Sommes-nous vraiment représentatifs du débat national ?" s'interroge-t-il. "Je ne suis pas sûr qu'il y ait vraiment des 'rouges' ici, poursuit le "bleu". Je pense qu'il y a plutôt des 'gentils rouges'." Eclats de rires dans la salle.
L'organisation Better Angels souhaite désormais s'attaquer à ce défi. "La prochaine étape sera les zones rurales", réputées plus conservatrices et plus proches de Trump, précise Donna Murphy. Un trumpiste de la première heure pourra-t-il jamais s'entendre avec un profond démocrate ? A Better Angels, on en est convaincu – c'est déjà arrivé.
À regarder
-
Kamala Harris reconnaît sa défaite
-
Election américaine : pourquoi un tel raz-de-marée républicain ?
-
Donald Trump encense Elon Musk après avoir déclaré sa victoire
-
Donald Trump revendique "une victoire politique jamais vue"
-
Comment les expatriés américains font pour voter ?
-
La mort de cet écureuil est récupérée par le camp de Donald Trump
-
Peut-on comparer démocrates et républicains à la gauche et la droite française ?
-
Donald Trump imite Emmanuel Macron
-
Présidentielle américaine : l'artiste Bad Bunny soutient Kamala Harris
-
Election américaine : qu'apporte Elon Musk à la campagne de Donald Trump ?
-
Election américaine : quand connaîtra-t-on le nom du prochain président élu ?
-
Maya Harris, plus proche conseillère de Kamala depuis plus de 50 ans
-
Quelle est la position des candidats à la présidentielle américaine sur le conflit au Proche-Orient
-
Aux Etats-Unis, "Superman" appelle les Américains à voter
-
Présidentielle américaine : des cookies Trump et Harris controversés
-
Election américaine : plus de 6 millions de dollars de paris sur le duel Harris-Trump
-
Les célébrités peuvent-elles influencer le scrutin américain ?
-
Pourquoi n'y a-t-il que deux grands partis aux Etats-Unis ?
-
Élection présidentielle aux États-Unis : le business des produits dérivés
-
Election américaine : "I have a Glock", quand Kamala Harris parle de son arme
-
Élection américaine : les démocrates contrôlent-ils la météo ?
-
Un bar à thème présidentiel aux États-Unis
-
La "Bible Trump" bientôt dans les écoles ?
-
Une interview de Melania Trump à 250 000 dollars ?
-
Une statue géante de Donald Trump aux États-Unis
-
Kamala Harris traite Donald Trump de poule mouillée
-
Des singes prédisent le résultat de l'élection américaine
-
Élection américaine : rencontre avec Raymond, électeur de Donald Trump
-
Visée par Donald Trump, la communauté haïtienne de Springfield est devenue la cible de l'extrême droite
-
Une possible tentative d'assassinat visant Donald Trump
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.