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Bernie Sanders : portrait musical d'un vieux punk fan d'Abba, conseillé par un rappeur

Accidentellement à l'origine de l'explosion d'une scène punk dans le Vermont, conseillé par un rappeur ainsi qu'un DJ, piètre chanteur fan de la Motown, Bernie Sanders a fait toute sa carrière en musique. La preuve.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Bernie Sanders lors d'un meeting à l'Université de Pennsylvanie, le 26 avril 2016.  (JEFF SWENSEN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Voix du peuple et des opprimés, anti-lobbies et pourfendeur des multinationales et des puissants (les fameux 1%), Bernie Sanders détonne dans la classe politique américaine. Alors que la course à l'investiture démocrate se poursuit, le candidat rebelle continue de se battre dans ces primaires, mardi 26 avril, malgré une défaite quasi certaine.  

A la traîne derrière Hillary Clinton, sa rivale, le septuagénaire, juif new-yorkais installé dans le Vermont, a su faire naître l'espoir chez les jeunes électeurs, séduits par son discours révolutionnaire. Soutenu par de nombreux artistes, pour la plupart issus des milieux musicaux indépendants, "The Bern" a réveillé le punk qui sommeillait au fond de l'Amérique. 

Des sympathisants de Bernie Sanders, lors d'un meeting dans le Bronx, à New York, le 31 mars 2016.  (LUCAS JACKSON / REUTERS)

Un lien historique avec la musique punk

La carrière politique de Bernie Sanders a démarré en musique. En 1981, ce natif de Brooklyn remporte, à la surprise générale, la mairie de Burlington, principale ville de l'Etat du Vermont, dans le nord-est des Etats-Unis. Dans la foulée de cette première victoire électorale, l'édile reçoit dans son bureau deux jeunes travailleuses sociales, une pétition sous le bras : elles veulent organiser un concert dans un parc, une initiative formellement interdite par une ordonnance du maire précédent.

Convaincu, Bernie Sanders lève l'interdiction et confie aux deux mélomanes, Jane Driscoll (la future madame Sanders) et Kathy Lawrence, le soin de redynamiser la vie culturelle de la ville. Avec l'aval de la mairie, elles donneront aux jeunes ce qu'ils réclament : du punk. 

En 1986, elles ouvrent le 242 Main, une petite salle de concert qui devient rapidement le rendez-vous incontournable de la scène locale. Installé dans un bâtiment administratif abandonné, le lieu accueille des groupes à l'aura nationale, qui deviendront des légendes du genre, comme Fugazi ou Operation Ivy. "Ce qui est amusant, parce qu'il n'aime pas la musique rock", relève l'épouse du candidat à la primaire démocrate, interrogée par le journal vermontois Seven Days. Aux Etats-Unis, où de nombreuses salles de concert sont encore interdites aux mineurs, le 242 Main est l'une des premières salles tous publics.

De "no future" à "un futur dans lequel croire"

Trente ans après, les punks lui renvoient l'ascenseur en se mobilisant derrière le candidat Sanders. Pour son programme, d'abord : "Ça fait 40 ans qu'il parle des inégalités sociales, des droits civiques, des mouvements contestataires", expliquent Rob Campbell et Mark Mendez, cités par Visual News. Fin 2015, les deux artistes ont créé Bern the White House, une collection de t-shirts à l'effigie du septuagénaire et qui détournent les logos de groupes phares de la scène punk (Circle Jerks, Descendents, Ramones…), afin de récolter des fonds pour sa campagne. Le slogan "A Future to Believe In" ("Un futur dans lequel croire") a remplacé le "No Future".  

Mais si "la scène" se mobilise, c'est aussi grâce à Scott Goodstein. Ancien organisateur de concerts et activiste politique, il est le créateur du mouvement Artists for Bernie, qui vise à fédérer les musiciens pro-Sanders soucieux de s'investir dans la campagne. La dominante ? Les "indie rockers", cette génération devenue célèbre dans la foulée du succès commercial de Nirvana, au début des années 1990. Car selon Billboard, c'est un peu grâce à Scott Goodstein et son carnet d'adresses si les groupes se pressent pour jouer — gratuitement — dans les meetings de Bernie Sanders (Vampire Weekend et TV on the Radio à New York, The Thermals à Portland…) "La campagne de Bernie Sanders à New York, c'est comme si [le site musical] Pitchfork prenait vie", a même titré Wired, sans exagérer. 

Avant de rejoindre l'équipe du candidat, Goodstein a créé Punk Voter, en 2004, au côté de Fat Mike, le leader du groupe NOFX. Son but : inciter les fans de musique contestataire à se rendre aux urnes ; d'abord contre Bush, puis pour Obama, dont il rejoint l'équipe de campagne en 2008 en tant qu'expert du marketing en ligne. On lui doit notamment le site DrunkDialCongress ("Quand vous êtes bourrés, appelez le Congrès"), rappelle le Washingtonian, qui dresse son portrait. Dans l'équipe de Sanders, il travaille au côté du responsable des dossiers jeunesse, art et culture de la campagne, un artiste du Vermont, DJ Luis Calderin. Car il n'y a pas que le punk dans la vie de Bernie Sanders, loin de là. 

Le hip-hop au secours d'un septuagénaire peu connu de l'électorat noir 

Samedi 16 avril, Bernie Sanders a fait une apparition surprise au festival Coachella, l'évènement musical favori de la jeunesse branchée, dans la vallée de Los Angeles. Via un écran géant, il a confié qu'un "des moments forts de cette course à la présidence a été de faire la connaissance de Killer Mike". En quelques mots élogieux, il introduit sur scène Run The Jewels, la formation hip-hop de l'artiste sus-nommé, "dont l'amitié [lui] est si précieuse", insiste le candidat. Et pour cause : le rappeur de 40 ans s'est imposé comme conseiller officieux de la campagne de Bernie Sanders, résume The Daily Beast. Organisation d'évènements, animation de débats, campagne sur Twitter ou démarchage par téléphone : Killer Mike active son réseau pour "vendre" la candidature de ce vieil homme blanc aux jeunes Noirs. 

"Je lui ai dit, 'hey, les Noirs veulent entendre ce que tu as à dire. Va sur des radios noires'. Et il l'a fait (…) Jamais l'équipe de campagne ne m'a ignoré, ni méprisé", explique Killer Mike, alias Michael Render. "Ces choses dont nous parlons dans nos morceaux, qui nous scandalisent, il propose de les régler", affirme le rappeur, cité par The Daily Beast. "Plus les rappeurs se rallient à sa cause, plus il gagnera en popularité parmi les jeunes Afro-Américains, car beaucoup sont sensibles à la musique et écoutent ceux qui la font."

La mobilisation de Killer Mike a concerné en particulier la scène "sudiste" : Bun B, Lil B ou Big Boi (OutKast) ont tous vanté les mérites du socialiste. Mais la plupart des stars du genre restent des fidèles d'Hillary Clinton : Snoop Dogg, Timbaland, Kanye West, A$AP Rocky, Woka Flocka Flame ont, entre autres, rallié la candidate. Après avoir affiché de la sympathie pour Sanders, l'entrepreneur et fondateur du label Def Jam, l'influent Russell Simmons, est quant à lui retourné dans le camp de "son amie", frappé par "l'incapacité [de Sanders] à comprendre les électeurs afro-américains", relaie Politico.

Une brève mais étonnante carrière musicale à son actif

Les musiciens aiment Bernie Sanders, mais Bernie Sanders aime-t-il la musique ? Sur son iPad, il a chargé toutes les symphonies de Beethoven, confie-t-il à Rolling Stone fin 2015. Au magazine américain, il raconte son affection pour "les sons de la Motown", le label soul-R'n'B de Detroit qui a notamment donné The Supremes et The Temptations, deux de ses groupes préférés. Mais Bernie Sanders aime aussi la musique disco, citant volontiers Abba, les Bee Gees… et Céline Dion.

Mais dans ses meetings, pas question de passer My Heart Will Go On ou d'entrer en scène sur Dancing Queen. Son équipe préfère les classiques : America, de Simon & Garfunkel, ou Starman, de David Bowie. Pour accompagner son entrée, le groupe de rock Vampire Weekend a repris This Land Is Your Land, un classique folk de Woodie Guthrie, avant un meeting clé dans l'Iowa. Un clin d'œil à l'éphémère carrière musicale de Bernie Sanders. 

Sollicité en 1987 par le directeur d'un studio d'enregistrement à Burlington, "The Bern", alors maire de la ville, a accepté d'enregistrer un album de reprises folk, dont ce titre de Woodie Guthrie. "Une erreur", a-t-il reconnu plus tard dans Rolling Stone. L'initiateur du projet, retrouvé par Seven Days, a concédé que le maire avait été séduit par cette flatteuse mais fausse bonne idée. Car Sanders n'a "pas la moindre fibre musicale. Il est de ces types qui ne peuvent pas taper du pied en rythme en écoutant la radio. Il n'a aucun sens de la mélodie et aucun sens du rythme, ce qui m'a surpris, car il sait faire des discours rythmés."

Embarrassé, le patron de studio a fini par rassembler une dizaine d'artistes locaux pour intégrer ce chanteur maladroit dans un projet collaboratif, dans la lignée du tube We Are The World, de Michael Jackson, sorti deux ans plus tôt. Il baptise la compilation We Shall Overcome, du nom d'une "protest song" emblématique du mouvement pour les droits civiques. Pas mal pour ce candidat qui fait de la politique comme d'autres font de la musique, avec hargne et conviction. 

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