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Mexique : la criminalité pèse-t-elle sur la croissance ?

Le Mexique fait plus souvent la Une pour ses tueries sanglantes que pour la vivacité de son économie. Pourtant, à en croire les chiffres, l’actualité mafieuse ne semble pas peser très lourd sur le dynamisme du plus grand pays hispanophone de la planète. Une criminalité qui coûterait néanmoins 1,5% de PIB au pays, selon Paris.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Dans la région d'Acapulco, en 2013. (Pedro PARDO / AFP)

Les images sur la criminalité au Mexique sont souvent insoutenables et les chiffres tristement parlants: au moins 60.000 morts depuis 2006. Malgré cela, le Mexique a une économie dynamique. Après l’effondrement de 2009, lié à la crise mondiale, la croissance est repartie.

Sans afficher des taux asiatiques ou brésiliens, la hausse de son PIB ferait pâlir les économies européennes. «L'économie du pays, ravagée par de profondes crises financières, une forte inflation et des contractions de production dans les années 80 et 90, affiche aujourd'hui des fondamentaux solides», explique Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique, devenu conseiller de la banque Crédit Suisse.

Enrique Peña Nieto le 14 février 2013 à Mexico. (JAVIER LIRA / NOTIMEX)

Derrière ces bons chiffres, deux problèmes, sans doute liés, pèsent néanmoins sur la croissance mexicaine. «Le gouvernement du président Peña-Nieto devra faire face à un certain nombre de problèmes majeurs, notamment les niveaux de violence sans précédent imputables au crime organisé et l'étendue de la pauvreté qui touche une grande partie de la population du pays», souligne Ernesto Zedillo.

Les atouts du Mexique
113 millions d’habitants, 14e puissance économique mondiale et 2nde en Amérique Latine, croissance de 5,5% en 2010 et 3,9% en 2011 (prévision de 3,5-4% en 2012), déficit du PIB limité à 2,4% et inflation maîtrisée.

Il faut dire que le pays ne manque pas d’atouts : premier producteur d’argent et 4e en matière d’investissements en exploration minière en 2010, 4e en gaz naturel, 7e producteur mondial de pétrole (2,5 millions de barils par jour), 10e producteur d’or en 2012, selon des données fournies par le ministère français de l’économie.

Plusieurs de ses entreprises ont une taille mondiale : Cemex (cimenterie), Pemex (4e producteur mondial de pétrole brut), Bimbo (boulangerie industrielle leader mondial sur le marché du pain), América Móvil (télécommunications)…

Sur le plan agricole, le Mexique se classe parmi les plus grands producteurs mondiaux de café, de sucre, de maïs, d'oranges, d´avocat et de citron vert. C´est aussi le premier producteur de bière et le second exportateur mondial.

Parmi les secteurs porteurs, le Mexique affiche de beaux succès dans l’aéronautique. Cette activité occupe le 4e rang de l'exportation industrielle du Mexique avec 3,5 milliards de dollars en 2011. Elle emploie 30.000 personnes au sein de 195 entreprises réparties dans seize Etats.

Graffiti sur le mur de séparation entre le Mexique et les Etats-Unis. (OMAR TORRES / AFP)

Côté services, le Mexique bénéficie de l’argent envoyé par sa population émigrée aux Etats-Unis. «On estime que 11 millions de Mexicains vivent aux Etats-Unis. Le Mexique se classe au 3e rang mondial pour les ressources apportées par les migrants, puisqu'en 2011, le pays a reçu plus de 21,3 milliards de dollars des Mexicains qui vivent à l'étranger», peut on lire sur le site rêve mexicain.

Les Etats-Unis, grand voisin du Nord, ne sont pas pour rien dans la croissance mexicaine, au point de rendre l'économie mexicaine très dépendante de celle de Washington. Le Mexique a signé l’Alena (accord de libre echange nord-américain) en 1994 : depuis cette date, il a multiplié par 3,5 ses exportations vers les Etats-Unis. Lesquels absorbent près de 80% des ventes mexicaines à l’étranger (matériel et équipements industriels, en particulier dans l’automobile ; pétrole brut), note le site français du ministère de l'économie.

Des inégalités persistantes
Plus de 45% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté (chiffres 2010) et le PIB/habitant (10.153 USD en 2011) masque de très fortes inégalités : les 20% les plus pauvres ne perçoivent que 5% des revenus globaux, selon des sources françaises.
 
Le Mexicain Carlos Slim (à droite), considéré comme l'homme le plus riche du monde, avec l'Américain Bill Gates. (RONALDO SCHEMIDT / AF)

A côté du tycoon mexicain, Carlos Slim Helu, considéré par le magazine Forbes comme l’homme le plus riche du monde, avec un patrimoine de quelque 70 milliards de dollars, près de la moitié de la population vit avec six dollars par jour, selon le rapport de 2010 du Coneval ou Conseil national d’évaluation de la politique de développement social (Consejo Nacional de Evaluación de la Política de Desarrollo Social).

Preuve du poids de cette pauvreté, le nouveau président mexicain Enrique Peña Nieto a donné, début janvier 2013, le coup d’envoi à la «Croisade nationale contre la faim», un programme social qui a pour but d’apporter un soutien alimentaire aux secteurs les plus pauvres du pays. Le programme doit permettre aux 7,4 millions de Mexicains qui vivent dans une extrême pauvreté et souffrant de sévères carences alimentaires d’avoir accès à cette aide déployée en faveur de 400 municipalités.

Le nouveau président a aussi mis en avant dans ses promesses de campagne «la réforme du travail qui améliorera la flexibilité du marché sans aller à l'encontre des droits des travailleurs ; celle de la sécurité sociale qui transformera l'accès aux soins pour tous les Mexicains en droit inaliénable».

«Instaurer un Etat de droit» 
Pauvreté, croissance trop dépendante des Etats-Unis et violence terrifiante, investissements insuffisants dans l'éducation, les obstacles que doit franchir le Mexique sont nombreux.

«Il est important d'instaurer un Etat de droit pour de nombreuses raisons d'ordres éthique, politique et social. Ce principe est également essentiel pour stimuler la croissance et le développement économiques. Sans un Etat de droit juste et robuste, les réformes touchant les domaines de la fiscalité, de la concurrence, de la finance, du travail, des télécommunications et de l'énergie indispensables au pays ne pourront être mises en œuvre», note encore l'ancien président mexicain, Ernesto Zedillo.

Pour Gilles Bataillon, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et spécialiste de l'Amérique Latine, le constat est plus noir: «Contrairement au Brésil, les élites économiques ne forment pas une classe dirigeante, capable de conduire le pays: elles ne pensent qu’à leur intérêt.»

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