L’île de Chypre pourrait avoir vécu une journée faste avec l’élection d’un réformateur à la tête de la zone turque de l’île, la République turque de Chypre du Nord (RTCN), uniquement reconnue par la Turquie. Dimanche 26 avril, Mustafa Akinci, le candidat de centre gauche indépendant, partisan de négociations d'union avec la partie grecque de l'île, a été élu avec plus de 60% des voix.Depuis l’invasion du nord de Chypre par la Turquie en 1974, à la suite d’un coup d’Etat téléguidé par la Grèce des colonels, l’île est coupée en deux et sa partie nord a son propre système politique, reconnu seulement par la Turquie tandis que la partie sud est reconnue par la communauté internationale. Alors que les deux systèmes n'ont guère de contacts depuis la séparation, Mustafa Akinci a toujours fait figure d'exception. En tant que maire dans les années 80 de la partie turque de la capitale Nicosie coupée en deux, lui et son homologue grec, Lellos Demetriades, ont toujours gardé le contact, rappelle le journal grec Ekathimerini. «C’est très clairement une élection positive pour une solution. Akinci, plus que tout autre candidat, peut toucher les Chypriotes grecs et faire les compromis nécessaires pour faire avancer les pourparlers», résume James Ker-Lindsay, spécialiste de Chypre à la London School of Economics, cité par Le Guardian. The selection of @MustafaAkinci_1 is a hopeful development for our common homeland. I look forward to have a meeting with him #Cyprus— Nicos Anastasiades (@AnastasiadesCY) April 26, 2015Les Grecs de Chypre se félicitentCôté chypriote grec, on s’est félicité du résultat de l’élection. Le président de la partie internationalement reconnue de l’île, Nicos Anastasiades, qui s’était déclaré favorable au plan Annan de réunification (rejeté par les électeurs chypriotes-grecs en 2004), a félicité le nouveau dirigeant, en l’appelant personnellement. «La République de Chypre se félicite du choix de Mustafa Akinci comme le leader de la communauté chypriote turque, un homme qui, par son discours et de déclarations publiques, a fait référence à la nécessité de la réunification du pays», a déclaré le porte-parole du gouvernement Nicos Christodoulides.Plus symbolique encore, devant le local de campagne d'Akinci, des Chypriotes grecs avaient même traversé le point de passage pour fêter avec leurs compatriotes du Nord ce qu'ils appellent un «moment historique», a rapporté le correspondant de RFI. Drapeaux turc et européen accueillent la victoire de Mustafa Akinci, le 26 avril à Nicosie. (FLORIAN CHOBLET / AFP) Avertissement d'AnkaraSeul ombre dans ce tableau, la réaction de Recep Tayyip Erdogan. Le président turc a en effet rappelé au nouveau président de la partie turque de Chypre que «Chaque année, nous contribuons à hauteur d'un milliard de dollars» au budget de la RTCN et «nous avons payé un lourd tribut (à Chypre-Nord) et c'est justement pour cela que nous en sommes la mère-patrie». Voila M.Akinci averti, lui qui avait plaidé le soir de son élection pour que les Chypriotes-turcs gardent «le contrôle de leurs propres institutions».L’homme qui avait fait campagne avec un rameau d’olivier, symbole de paix, va désormais devoir démontrer sa volonté affirmée de raviver les négociations de paix, suspendues en octobre 2014, avec les autorités de la partie sud de l'île. «Les générations précédentes ont beaucoup souffert. Les gens, dans les deux communautés, ont partagé leurs souffrances. Faisons en sorte que la prochaine génération partage les richesses de cette île», avait-il déclaré au cours de la campagne. Mustafa Akinci n’est pas un débutant en politique. Né en 1947 à Limassol, dans le sud de l'île (aujourd’hui, dans la partie grecque), il a remporté son premier mandat en 1975, élu à l'assemblée constituante chypriote-turque. Il devient l'année suivante maire de la partie nord de Nicosie, poste qu'il occupe jusqu'en 1990. Au cours de ces 14 années, il travaille à de multiples reprises avec son homologue de la partie sud de Nicosie. M.Akinci a été membre du Parlement de la RTCN de 1993 à 2009, années au cours desquelles il a aussi occupé les postes de vice-Premier ministre et ministre du Tourisme (1999-2001). Le futur dirigeant sera chargé de décider de la stratégie à adopter dans les négociations avec ses homologues chypriotes grecs sur la réunification de Chypre, sous l'égide de l'ONU. La mission des Nations Unies déployée à Chypre où elle surveille la zone tampon divisant l'île et sa capitale est l'une des plus anciennes opérations de maintien de la paix en cours. Les pourparlers pour réunifier le pays traînent depuis des années sans enregistrer de véritable percée sur les principaux sujets – le partage du pouvoir, le sort des propriétés spoliées et les ajustements territoriaux. La victoire de Mustafa Akinci est aussi un message à Ankara. Il traduit le blocage de la société chypriote du nord qui est isolée financièrement et ne dépend que de la Turquie pour ses investissements. Elle montre aussi le rejet par les Chypriotes de l’arrivée de milliers de Turcs et à l’islamisation voulue par l’AKP, le mouvement du président turc.