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Turquie : comment s'est déroulée la tentative de coup d'Etat avortée

Dans la nuit de vendredi à samedi, des mutins ont essayé de prendre le pouvoir. Francetv info revient sur les événements de la nuit.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des manifestants sur un pont à Istanbul (Turquie) pour protester contre le coup d'Etat de certains militaires, le 16 juillet 2016. (GURCAN OZTURK / AFP)

Le dernier bilan provisoire de la tentative de putsch militaire en Turquie fait état de 161 tués et 1 440 blessés parmi les forces loyalistes et les civils, sans compter les putschistes. Le Premier ministre Binali Yildirim a annoncé l'arrestation de 2 839 militaires en lien avec cette tentative de coup d'Etat qui s'est déroulée dans la nuit de vendredi à samedi. Voici comment se sont déroulés les événements.

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L'événement est inattendu. Il est 21h44, vendredi 15 juillet, lorsque l'agence Reuters envoie une alerte rapportant que des hélicoptères et des avions militaires survolent à basse altitude Ankara, la capitale de la Turquie. Quelques minutes plus tard, la chaîne de télévision turque NTV affirme que des forces de sécurité, à Istanbul, ont fermé à la circulation automobile les deux ponts qui enjambent le Bosphore, dans le sens Asie-Europe.

"J’étais au balcon, avec des amis, je suivais les informations quand j’ai vu trois tanks débouler dans la rue", confie à Libération Gulcan, 29 ans, habitante de la rive asiatique de la ville.

Des coups de feu sont entendus à Ankara précise, à 21h55, un journaliste de Reuters sur place. D'autres reporters de l'agence britannique présents à Istanbul rapportent également apercevoir des hélicoptères au-dessus de la plus importante ville du pays.

A ce moment de la soirée, c'est la confusion la plus totale. Aucune explication n'est disponible. Aucun lien ne peut être établi entre les deux événements.

"Action illégale"

C'est alors que le Premier ministre turc, Binali Yildirim, annonce peu après 22 heures qu'il s'agit d'une tentative de coup de force militaire.

Certains individus ont entrepris une action illégale sans l'aval de la chaîne de commandement.

Binali Yildirim, Premier ministre turc

"Le gouvernement élu par le peuple reste en fonction. Ce gouvernement ne partira que lorsque le peuple lui dira de le faire", ajoute Binali Yildirim. Il prédit également aux mutins qu'ils paieront "le prix le plus élevé". C'est une "tentative de coup d'Etat", selon plusieurs chaînes d'informations turques.

Peu avant 22h30, l'armée turque annonce avoir pris le pouvoir dans un communiqué publié sur le site de l'état-major des armées. Elle affirme l'avoir fait pour maintenir l'ordre démocratique et les droits de l'Homme. Elle ajoute que toutes les relations internationales sont maintenues et que l'Etat de droit doit rester une priorité.

Le chef de l'état-major retenu en otage

L'agence pro-gouvernementale Anatolie, citant des "sources crédibles", affirme que "le général Hulusi Akar, chef d'état-major des armées est retenu en otage par un groupe de militaires qui tentent un soulèvement", au siège de l'armée, à Ankara.

Vers 23 heures, le présentateur de la chaîne publique TRT dit lire au nom de l'armée un communiqué. Il annonce qu'un "conseil de paix dirige" la Turquie, qu'un couvre-feu et que la loi martiale sont décrétés.

Le Premier ministre turc s'est exprimé. Mais où est le président Recep Tayyip Erdogan ? CNN Turk affirme qu'il est en lieu sûr, ce que confirme une source proche de la présidence. 

Le Quai d'Orsay recommande, au même moment, aux ressortissants Français en Turquie de rester chez eux en raison des "évènements graves" en cours. De son côté, le président américain Barack Obama dit se tenir informé de l'évolution de la situation. Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, appelle à éviter "tout affrontement meurtrier". Selon lui, "les problèmes de la Turquie doivent être résolus dans le respect de la Constitution".

Erdogan s'exprime via Facetime

Ce n'est qu'aux alentours de 23h30 que Recep Tayyip Erdogan, dans un lieu indéterminé, fait son apparition via Facetime, sur CNN Turk.

Il dénonce un "soulèvement d'une minorité au sein de l'armée" et appelle les Turcs à descendre dans les rues pour résister à la "tentative de coup d'Etat". Et l'homme du pays se montre confiant.

Je ne pense absolument pas que ces putschistes réussiront.

Recep Tayyip Erdogan, président turc

via Facetime sur CNN Turk

Après cette apparition mystérieuse, les événements continuent de s'accélérer et la situation est toujours très confuse. La chaîne publique TRT cesse d'émettre. Dans le même temps, une violente explosion secoue la capitale. Peu après, une journaliste de Reuters sur place indique qu'un hélicoptère militaire a ouvert le feu à Ankara. Des reporters de l'AFP disent entendre des coups de feu dans le centre-ville.

"Rien à craindre" des putschistes, dit un commandant

Il est environ 00h20 lorsque l'administration turque annonce que les forces loyalistes prennent le dessus sur les putschistes mais qu'elles font encore face à des difficultés dans certaines zones de la capitale et d'Istanbul.

L'agence de presse Dogan rapporte dix minutes après que plusieurs chars de l'armée sont déployés autour du Parlement turc, à Ankara. Pour un membre du gouvernement turc, la situation va se résorber rapidement. Il estime que l'insécurité va probablement se poursuivre pendant 24 heures, mais pas au-delà. Un commandant des forces loyalistes se veut rassurant et affirme qu'il n'y a "rien à craindre" des putschistes, qui ne sont qu'un petit groupe.

Les combats s'intensifient vers 1 heure du matin. Des blessés sont recensés à Istanbul après des tirs de soldats sur la foule. Une source officielle indique que des avions de chasse F-16 abattent un hélicoptère des putschistes, dans une ville dont le nom n'est pas précisé mais qui pourrait être Ankara. Un premier bilan des médias locaux fait état de 17 policiers tués dans la capitale.

"Une initiative idiote vouée à l'échec"

En Europe et aux Etats-Unis, les dirigeants politiques continuent de réagir. La chancelière allemande Angela Merkel déclare, via son porte-parole, que "l'ordre démocratique doit être respecté", et Barack Obama appelle à "éviter violence et bain de sang".

Le Parlement turc est ensuite bombardé vers 1h30. Et alors que l'Otan appelle au calme, peu avant 2 heures, les renseignements turcs annoncent "un retour à la normale". De son côté, le Premier ministre turc affirme que la situation est maîtrisée.

C'est une initiative idiote vouée à l'échec et elle est largement sous contrôle.

Binali Yildirim, Premier ministre turc

En exil aux Etats-Unis, l'ennemi juré du président turc, Fetullah Gülen, condamne "toute intervention armée dans les affaires intérieures de la Turquie". L'Union européenne appelle à "un retour rapide à l'ordre constitutionnel" dans le pays.

Recep Tayyip Erdogan atterrit à Istanbul vers 2h30. Selon des chaînes de télévision locaux, il est accueilli par de nombreux partisans. Peu avant, des manifestants ont chassé des putschites présents devant l'aéroport Atatürk.

A la descente de l'avion, l'homme fort de la Turquie s'adresse à la presse. Il affirme que l'hôtel où il se trouvait en vacances, sur la côte turque à Marmaris, a été bombardé après son départ. Il ajoute qu'il ne connaît pas savoir ce qu'est devenu le chef de l'armée. "Ceux qui sont descendus avec des chars seront capturés car ces chars ne leur appartiennent pas", assure-t-il.

Il y a en Turquie un gouvernement et un président élus par le peuple qui sont au pouvoir et si Dieu le veut nous allons surmonter cette épreuve.

Recep Tayyip Erdogan, président turc

devant la presse à l'aéroport Atatürk

Le Premier ministre annonce vers 3h30 plus de 120 arrestations après la tentative de putsch alors qu'il ordonne à l'armée d'abattre les avions et hélicoptères des putschistes.

Vers 4h30, un bilan du parquet du district de Gölbasi, banlieue d'Ankara, fait état de 42 morts lors des heurts survenus dans la nuit. Mais la situation reste tendue. Des coups de feu sporadiques se font toujours entendre près d'Ankara et des F-16 bombardent, aux alentours de 5h30, des chars de rebelles aux abords du palais présidentiel. Des médias locaux montrent en direct, peu après, une cinquantaine de soldats se rendre aux forces de sécurité. 

Lourd bilan

Un nouveau chef de l'armée par intérim est nommé par le Premier ministre à 6 heures. Sur CNN Turquie, le ministre turc de la Justice Bekir Bozdag annonce 336 arrestations à l'échelle nationale. Le bilan est provisoire. Il n'est pas loin de 7 heures lorsque l'agence de presse Anatolie fait état de 754 militaires arrêtés. Elle précise que cinq généraux et 29 colonels ont été démis de leurs fonctions. La revanche du président turc ne fait que commencer. 

Samedi à la mi-journée, le dernier bilan provisoire fait état de 161 tués et 1 440 blessés parmi les forces loyalistes et les civils, sans compter les putschistes. Le Premier ministre Binali Yildirim a annoncé l'arrestation de 2 839 militaires en lien avec cette tentative qu'il a qualifiée de "tache" sur la démocratie turque. Le chef de l'armée a fait état de son côté de 104 putschistes abattus.

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