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En Turquie, des enseignants limogés ou poursuivis depuis le putsch dénoncent l'arbitraire : "C'est comme une mort civile !"

Alors que débute mardi 5 décembre en Turquie le procès de près de 150 professeurs d’université accusés de "propagande terroriste", de nombreux enseignants, renvoyés sur simple décret, sont tenus à l’écart de la société.

Article rédigé par Alexandre Billette, franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Manifestation d'enseignants à Diyarbakir (Turquie), en septembre 2016.  (SERTAC KAYAR / REUTERS)

En Turquie débute mardi 5 décembre le procès initié contre près de 150 professeurs d’université accusés de "propagande terroriste" au profit du Parti des travailleurs du Kurdistan. Leur tort : avoir signé une pétition pour la paix dans le sud-est du pays, à majorité kurde. La plupart d’entre eux ont aussi perdu leur travail.

"D’un simple décret, ils nous ont tout pris" : les enseignants turcs se battent contre l'arbitraire de leur limogeage - le reportage d'Alexandre Billette

C’est le cas de dizaines de milliers d’enseignants depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016 en Turquie : militants de gauche, sympathisants pro-kurdes ou encore fidèles supposés de l’imam Fethullah Gülen, le "cerveau" du putsch selon Ankara, ils se sont ainsi retrouvés sur des listes et renvoyés par simple décret. Certains d’entre eux sont désormais tenus à l’écart de la société.

"On est fichés partout !"

A Istanbul, en ce début du mois de décembre, c’est la quarantième semaine de manifestation pour ces professeurs licenciés, qui protestent contre l’arbitraire de leur renvoi. Hüda, la quarantaine, les traits fatigués, manifeste toutes les semaines ici pour se donner du courage. Elle reconnaît que ce n’est pas facile. "On est fichés partout, déplore Hüda. Notre sécurité sociale a été annulée, notre passeport a été annulé… Ils ont même annulé notre carte de transport ! Comme si c’était écrit sur l’écran du tourniquet, 'liste noire'. C’est partout pareil…"

C'est comme une mort civile, c’est vraiment ça. C’est comme si on nous avait pris notre citoyenneté

Hüda, enseignante licenciée

Cette "mort civile" est arrivée sans prévenir : Levent Dölek était professeur à l’université d’Istanbul. Nous le retrouvons dans les bureaux du syndicat où il était encarté. Moustache touffue, t-shirt aux couleurs du syndicat  : il est convaincu que c’est son militantisme qui lui a coûté son poste. "J’ai appris en consultant une liste sur internet que j’étais licencié par décret, se souvient Levent. Et le lendemain, sans plus d’informations, je n’avais plus accès à mon bureau et mes affaires avaient été enlevées."

Ecartés de la société, de la communauté

Près de 50 000 professeurs ont été évincés de l’Éducation nationale. Comment faire, dès lors, pour continuer à vivre ? Près de la place Taksim, au centre d’Istanbul, deux professeurs licenciés ont ouvert un café. Une façon pour Deniz, de garder un lien social et, d’une certaine manière, résister malgré la peur et les dénonciations. "Les gens comme nous ont été écartés de la société, de la communauté, explique Deniz. D’un simple décret, ils nous ont tout pris. Et malheureusement, nos avis de licenciements sont toujours en ligne sur internet."

N’importe qui peut consulter nos avis de licenciements. Nous sommes une cible, maintenant. Quelqu’un peut voir mon nom, venir ici et me choisir comme cible.

Deniz, enseignant licencié

franceinfo

Pour tous ces fonctionnaires licenciés, l’espoir de retrouver un poste est mince. Leur seul recours est de contester le renvoi devant une commission spéciale, laquelle croule sous les demandes : si un dossier est déposé aujourd’hui, la réponse sera donnée dans trois ans.

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