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Kirsan Ilioumjinov, l'ami russe des extraterrestres et de Bachar el-Assad

Les échecs sont sa passion, le bouddhisme sa voie, les extraterrestres ses amis. Parmi ses amis, il y avait Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein. Aujourd'hui, il y a Bachar El-Assad. Que sait-on de ce fantasque homme d'affaires russe qui a rejoint la liste noire des Américains pour son soutien au régime syrien ? Kirsan Ilioumjinov est-il un illuminé, un (mauvais) génie ou tout simplement un truand ?
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Kirsan Ilioumjinov, alors président de la Fédération internationale d'échecs (Fide), enthousiaste après son week-end d'échecs à Tripoli avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, le 14 juin 2011. (Reuters/Alexander Natruskin )

Qui est cet homme d'affaires russe dont les Etats-Unis viennent d'ajouter le nom à la liste des personnalités sanctionnées pour leur soutien financier au régime syrien et, indirectement, à l'Etat islamique ? Kirsan Ilioumjinov a fait fortune dans les secteurs bancaire et automobile après la chute de l'URSS. Il est par ailleurs le président de la Fédération internationale d'échecs (Fide), mais ce n'est que l'un de ses nombreux avatars. 

Sanctionné par les Etats-Unis, il leur réclame 50 milliards de dollars en compensation...
Avec son partenaire syrien vivant en Russie Moudalal Khoury, le richissime businessman aurait servi d'intermédiaire dans la vente de pétrole de l'Etat islamique au régime syrien. Les avoirs des deux hommes aux Etats-Unis sont gelés, et toute relation d'affaires avec eux est interdite aux ressortissants américains. Les sanctions visent aussi la banque russe de l'Alliance financière, l'un de ses établissements. Après ce qu'il considère comme «une erreur ou une provocation», l'oligarque russe contre-attaque en réclamant 50 milliards de dollars de compensation aux Etats-Unis. Pas très logique, alors que dans le même temps il se dit flatté d'être sanctionné... «Tout le monde n'a pas la chance d'être sur liste noire», a-t-il ironisé.

... mais leur «donne 30 tournois d'échecs en 2016»
Pas rancunier pour un dollar, Ilioumjinov rappelle que la Fide organise en 2016 une exceptionnelle «Année des échecs» aux Etats-Unis. La sanction est tombée fin novembre, juste avant une visite programmée pour choisir la ville qui accueillera la coupe du monde 2016. «Ils me donnent des sanctions, je leur donne 30 tournois d'échecs», a-t-il commenté.

Est-il au cœur d'un sulfureux triangle Syrie-Etat islamique-Russie ?
La Syrie, via sa Banque centrale, participe-t-elle au financement de l'Etat islamique en achetant son pétrole via un «célèbre joueur d'échecs russe» ? L'accusation avait été lancée par le président turc Reçep Erdogan en réponse à celle de Vladimir Poutine (Ankara importerait le pétrole de Daech) après l'incident de l'avion militaire russe abattu par la Turquie. Des hommes d'affaires russes et chypriotes – Chypre étant un paradis fiscal prisé des oligarques russes – faisant partie du montage, explique le site Atlantico, difficile d'imaginer que le président russe en ignore tout. Bachar el-Assad serait donc le meilleur client de l'Etat islamique… avec la complicité de Vladimir Poutine ? M. Ilioumjinov, lui, nie tout lien avec la Banque centrale syrienne. Il reconnaît seulement être allé en Syrie il y a deux ans pour un tournoi d'échecs junior.

Il copine avec Saddam Hussein et ne voit pas où est le problème
Aujourd'hui, M. Ilioumjinov compte «revenir à Damas pour voir où en est la situation sur place» (à 260.000 morts en cinq ans), rapporte le Point. S'il a «des amis partout, en Libye, en Syrie, en Irak, en France, aux Etats-Unis, où est le problème ?» demande-t-il à l'AFP. En 2012, il avait passé trois heures au téléphone avec Bachar el-Assad, à parler notamment échecs. Car celui qui préside la Fédération internationale d'échecs depuis vingt ans se veut un «messager de la paix»... bien placé sur l'échiquier diplomatique. Un «messager» qui avait choisi la capitale irakienne Bagdad pour accueillir le championnat du monde d'échecs en 1996, en plein embargo américain contre le régime de Saddam Hussein... 

Il joue aux échecs avec Kadhafi pendant que la Libye brûle
Meilleur que Saddam Hussein aux échecs (selon une confidence à la Komsomolskaïa Pravda - en russe), et encore plus fort sur le plan médiatique, Mouammar Kadhafi. Cette partie à Tripoli en juin 2011, alors que l'Otan bombarde la Libye, restera son meilleur coup. Elle fut suivie d'une autre avec Mohammed, le fils aîné du «Guide de la révolution» en perdition. A son retour à Moscou, il s'était dit impressionné par le calme du dirigeant, quelqu'un qui non seulement joue correctement aux échecs, mais en plus écrit des poèmes... 

Une partie très médiatisée entre le président russe de la Fédération internationale d'échecs et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi le 12 juin 2011. Image diffusée par la télévision libyenne. (Fide/Reuters)
Ilioumjinov connaît la famille Kadhafi depuis des années, la Libye ayant accueilli les championnats du monde d'échecs en 2004. Dans le cadre de la Fide, il en a profité pour mettre en place avec les autorités libyennes un programme d'enseignement de cette discipline à l'école. 

Il fut pendant vingt ans le maître de la planète Echecs...
Aujourd'hui, sous la pression des sanctions américaines, il vient de transmettre ses fonctions à son numéro deux. Mais Kirsan Ilioumjinov a dirigé pendant près de vingt ans une Fédération aux finances opaques, soupçonnée de corruption et d'allégeance à Vladimir Poutine. Il a été réélu seize fois, dont l'une en 2010 contre Anatoli Karpov, ancien champion du monde de la discipline.

... challengé par Garry Kasparov dans un combat plus politique que sportif
En 2014, c'est au tour de Garry Kasparov, autre ex-champion du monde d'échecs, de tenter de le détrôner, mais son rival est à nouveau confortablement réélu. Kasparov, opposant à Poutine, accusait la Fide d'être «aussi corrompue que la Fifa» et de soutenir financièrement les services secrets russes, le FSB. Il avait alors dénoncé un «combat politique» et des «ambassades russes mobilisées à travers le monde pour soutenir M. Ilioumjinov». Gérard Demuydt, du magazine Europe Echecs, parlait, lui, d'une forme de diplomatie parallèle du Kremlin, affirmant que «Poutine, la Russie, Ilioumjinov, tout est lié».

Une affiche du candidat Kasparov à la présidence de la Fédération internationale d'échecs, en août 2014. (Fide/Reuters)

Il a déjà eu «69 vies»...
Diplomatie ou même univers parallèles, rien ne fait peur à cet excentrique bouddhiste qui croit à la réincarnation et dit en être à sa soixante-neuvième vie. C'est sa pratique de la méditation qui lui permet, dit-il, d'étirer le temps et lui offre des journées de vingt-cinq heures... Le choix de cette religion, pourtant, est plutôt logique : le bouddhisme tibétain est majoritaire dans sa région de Kalmoukie, entre Caucase et bassin de la Volga, où les Kalmouks, descendants des tribus mongoles, se sont installés au XVIIe siècle.

Dans sa première vie, le petit Kirsan est déjà champion de la rue aux échecs à l'âge de 5 ans (selon lui), sa mère est vétérinaire et son père descend des légendaires cosaques du Don. Il entre par la suite au MGIMO, la prestigieuse école des diplomates russes, d'où il tire une partie de son impressionnant carnet d'adresses.
 
... dont une de président de la Kalmoukie
En 1993, en pleine perestroïka, il est élu président de la Kalmoukie, région pauvre et sinistrée. Il affirme y avoir accompli des miracles : installé le gaz, goudronné les routes, construit des temples, restauré l'influence bouddhiste... et bien sûr édifié une dispendieuse Cité des échecs. Un jeu dont il rend obligatoire l'enseignement à l'école et fait une quasi-religion d'Etat : Elista, la capitale kalmouke, est la seule à avoir son «avenue des Echecs» !

Ce «showman qui sait bien faire "tut-tut-tralala"» aurait instauré un véritable culte de la personnalité. Le multimillionnaire est aussi suspecté d’avoir utilisé sa présidence pour faire fortune. Sous son règne, la Kalmoukie est devenue un paradis fiscal. Dmitri Medvedev, alors président russe, finit par l'écarter en 2010 après quatre mandats. Ce qu'il dément. «J'ai fait moi-même le choix de partir, confie-t-il au Figaro. Jamais je n'ai agi contre ma volonté. Ma vie a toujours été guidée par la logique et la rationalité.» 

Ses héros : le Dalaï lama et Lénine 
Un portrait du Dalaï lama orne ses murs. Le président kalmouke, fort de son bouddhisme et de rencontres précédentes en Inde et au Japon, lui avait arraché une courte visite dans sa petite République, jouant d'un autre côté les médiateurs avec Pékin. Sur son compte Twitter, il partage la carte de vœux de Sa Sainteté pour 2016.

Сердечно благодарю Его Святейшество Далай Ламу за поздравление и от всей души желаю ему успехов, здоровья и счастья! pic.twitter.com/SngojO6zIq


A part le Dalaï lama, Lénine est un autre de ses héros. Vladimir Illitch, grand amateur d'échecs, était un peu kalmouke – par sa grand-mère. Aussi, quand s'est posée la question de déménager de son mausolée le leader de la révolution bolchévique, a-t-il proposé de l'accueillir sur ses terres... Le Parti communiste a décliné l'offre.

Il a rencontré des extraterrestres
Ami des dictateurs (le président biélorusse Loukachenko voudrait bien lui aussi un championnat d'échecs dans sa bonne ville de Minsk) et du Dalaï lama, Kirsan Ilioumjinov a un sens exceptionnel des contacts humains. Mais aussi, ce qui est plus rare, des contacts extraterrestres. Une première rencontre du troisième type avait déjà eu lieu dans son enfance, avec ses camarades de classe.

La deuxième (lien abonnés) a lieu le 18 septembre 1997 à Moscou. Des petits hommes jaunes (la couleur de leurs scaphandres tels que décrits par notre illuminé) venus d'une autre planète débarquent dans son salon alors qu'il s'endort devant la télé. Les aliens (et sa rationalité) le guident dans un tube jusqu'à un immense vaisseau spatial et l'enlèvent. Ils communiquent avec lui par télépathie, puis le redéposent gentiment à domicile. Malheureusement, nous n'avons pas de photos de la rencontre... seulement le récit de l'ufologue en vidéo (et en anglais).


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