Jean-Pierre Filiu: «Aucun espoir pour la Syrie tant qu'Assad restera au pouvoir»

Le camp palestinien de Yarmouk est le théâtre d’affrontements entre l'Etat islamique et des groupes palestiniens. Quel est l’objectif de l’EI en prenant le contrôle de ce camp?
Je me permets de renverser votre question en m'interrogeant sur les objectifs du régime Assad à laisser les djihadistes de Daech, l'acronyme arabe de l'Etat islamique, pénétrer dans un camp qui est assiégé par les forces gouvernementales depuis juillet 2013. Il n'y a pas eu en ce cas initiative de Daech, mais décision d'Assad de briser la résistance de Yarmouk en utilisant les commandos djihadistes contre les factions palestiniennes et les forces révolutionnaires de ce camp.

Je rappelle que 18.000 réfugiés vivent à Yarmouk depuis près de deux ans dans une situation abominable, avec au moins 166 morts de faim, selon les organisations humanitaires. Cette famine est l'arme qu'a utilisée Assad pour contraindre les combattants de Homs à capituler, ainsi que ceux de nombreuses banlieues de Damas. Mais Yarmouk tenait bon, envers et contre tout. C'est pourquoi Assad n'a pas hésité à ouvrir les entrées sud du camp à Daech, puis à bombarder la contre-offensive des résistants de Yarmouk. Jamais la collaboration entre Assad et Daech, unis contre les forces révolutionnaires, n'était apparue aussi clairement.
  
Ce camp est situé dans les faubourgs de Damas. Le régime de Bachar al-Assad ne semble pas réagir alors que le groupe Etat islamique n’a jamais été aussi proche de la capitale syrienne…
Assad ne peut que se féliciter de l'horreur dans laquelle il vient de plonger Yarmouk et ses habitants. Au lieu d'avoir un bastion de la résistance, il a désormais une enclave djihadiste qui lui permet de mettre en scène auprès du monde entier la menace de Daech, afin de justifier son maintien au pouvoir. En outre, il utilise les djihadistes, qui ont procédé à de très nombreuses exécutions à Yarmouk, notamment par décapitation, pour achever de liquider les forces révolutionnaires dans ce secteur sur lequel il s'acharne depuis des années.

Les Etats-Unis et l’Occident ne sont plus pressés du départ de Bachar al-Assad. Est-il devenu incontournable?
Il faut enfin comprendre deux réalités essentielles: il n'y a aucune contradiction entre Assad et les djihadistes, car plus Assad s'accroche au pouvoir, et plus les djihadistes se renforcent. Daech ne s'empare pas de territoires contre Assad, mais contre les révolutionnaires, pris avec la population syrienne (et palestinienne de Yarmouk) sous les feux croisés de ces deux terreurs. Les puissances occidentales n'ont jamais sérieusement aidé l'alternative révolutionnaire à Assad. Le résultat de cette absence de détermination est aujourd'hui accablant: à force de jouer Assad contre les djihadistes, on a Assad et les djihadistes, avec la menace terroriste sans précédent que cela implique pour l'Europe.
 
Y a-t-il selon vous une solution à ce conflit syrien?
Il n'y a aucun espoir pour la Syrie tant qu'Assad restera au pouvoir, il est inutile de se voiler la face à ce sujet. Mais au-delà des considérations morales, par ailleurs légitimes, le maintien au pouvoir de ce despote déstabilise l'ensemble de la sécurité de la région. Assad n'a pas hésité en août 2013 à utiliser les armes chimiques contre les habitants de sa capitale, il n'a pas hésité en avril 2015 à infiltrer des colonnes de Daech dans le camp palestinien de Yarmouk. Qui sait de quelle nouvelle escalade dans l'horreur il sera capable demain pour ne rien céder de son pouvoir absolu? Assad est le principal responsable de la principale catastrophe humanitaire du monde actuel. Il faudra bien un jour en tirer toutes les conséquences. Avant qu'il ne soit trop tard.