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Vivre aujourd'hui dans la «zone» de Tchernobyl

Comment la vie a repris dans la «zone» interdite de Tchernobyl, grande comme le Luxembourg, après la plus grande catastrophe nucléaire de l'histoire : l'explosion du réacteur numéro 4, le 26 avril 1986.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'entrée dans la ville de Pripiat (photo de juin 2013).

 (Celestino Arce / NurPhoto / AFP)


Pripiat, à 3 kilomètres de la centrale : au moment de la catastrophe, une «ville modèle» de 49.000 habitants. Le 26 avril 1986, les enfants vont à l'école comme d'habitude. Les familles ne seront averties par la radio locale que le lendemain.

Dans un documentaire à sensation diffusé par la chaîne NTV, les Mystères de Tchernobyl trente ans après (en russe), quelques scènes de psychose, comme ces frigos (l'électricité est coupée dans la ville) et meubles devenus radioactifs passés par la fenêtre des tours d'habitation. Des images filmées au lendemain de l'accident à l'intention du Politburo et restées secrètes pendant vingt ans, affirme le commentaire. 

Le 27 avril 1986, avant l'ordre d'évacuer la ville et alors que l'électricité a été coupée à Pripiat, des habitants passent frigo et meubles par la fenêtre.  (Capture d'écran / YouTube / NTV)


Pripiat, de «ville modèle» à ville fantôme
Dans l'après-midi du 27 jusqu'au soir, les 110.000 habitants d'un rayon de 30 kilomètres autour de la centrale sont évacués en autobus. Pour seuls bagages, quelques provisions, leurs papiers et la promesse de pouvoir revenir quelques jours plus tard. Trente ans après, la zone est toujours interdite, et la «ville modèle» de Pripiat, figée telle Pompéi, est devenue en quelques heures une ville fantôme.

La photo de la grande roue, déserte et solitaire, du parc d'attractions qui devait être inauguré le 1er mai, fait partie des images marquantes de l'après-Tchernobyl. 


La ville fantôme de Pripiat et son parc d'attractions désert filmés par un drone  : 


Un désert peuplé d'irréductibles babouchkas...
La «zone» est interdite, ce qui n'a pas empêché quelques irréductibles de revenir y vivre : on les appelle les «samosely», sortes de «nouveaux colons». Telle cette paysanne du documentaire de NTV, réintégrant un mois plus tard les lieux de la catastrophe : elle ne «croit pas» à la radioactivité et fait visiter le site à des touristes, en leur offrant à boire l'eau de son puits…

D'autres font des conserves de baies ou de champignons (les végétaux les plus radioactifs) en estimant que leurs récoltes sont sans danger pour la santé. Cent quatre-vingts «babouchkas» peupleraient les villages environnant Tchernobyl. Les autorités ont renoncé à les déloger. Aucun contrôle, à part les quelques médecins de la zone et les missions humanitaires qui passent de temps en temps.


Un petit monde que vous présente Igor, vidéaste et rocker, dans cette vidéo diffusée sur info.arte.tv«Il a perdu un oncle adoré à cause de la catastrophe, mais il n’est pas rancunier, précise le texte d'accompagnement : il est employé sur le site, qui selon les scientifiques les plus optimistes, cessera d’être radioactif dans 24.000 ans…»

#Tchernobyl 30 ans après : en zone contaminée, la vie reprend prudemment son cours. https://t.co/kl6HZ9b3eX pic.twitter.com/U07hdyo6eB


... et d'une faune sauvage qui prolifère
Les animaux, surtout les carnivores tels que les loups (7 fois plus que dans les parcs des environs), prolifèrent. Lynx, renards, sangliers, élans, loutres, hermines... (photos ici) ont été filmés aux abords de la centrale. La nature reprendrait-elle ses droits ? Des populations sans doute «beaucoup plus nombreuses aujourd'hui qu'avant l'accident», selon Jim Smith, un scientifique britannique de l'université de Portsmouth  ce qui «ne signifie pas que la radioactivité est bonne pour la faune sauvage, mais seulement que les effets des activités humaines comme l'agriculture, la chasse et l'exploitation forestière sont nettement pires».

Une poignée de chevaux sauvages de Przewalski, en voie de disparition, a été introduite en 1990 dans la zone d'exclusion : aujourd'hui, ils sont une centaine à pâturer dans les environs de la centrale... «Une renaissance environnementale», pour Denis Vichnevski, ingénieur en chef de la zone.
 

#Tchernobyl, 30 ans plus tard, https://t.co/ZyjJEfW74n pic.twitter.com/cldxvwkHVr


Après un documentaire d'Arte, Tchernobyl, une histoire naturelle ? montrant une faune abondante et en apparence saine, Sortir du nucléaire, notamment, a rappelé que des mutations sont constatées chez les rongeurs, et des malformations inquiétantes chez les alevins de carpes – et ce dans un rayon de 400 km autour du site contaminé. La population d'hirondelles a diminué de 74% depuis cinq ans, avec une proportion importante d'albinos chez celles qui restent, et les oiseaux prédateurs se sont raréfiés.

Un tourisme nucléaire en plein boom
Depuis que les visites sont autorisées sur le site de la centrale Lénine, en janvier 2011, les touristes affluent par milliers, en quête d'«exotisme», de selfies avec compteur Geiger ou masque à gaz... ou simplement d'une réalité difficile à concevoir. Gerd Ludwig, un photographe germano-américain rencontré par RFI, d'abord dégoûté par ce nouveau tourisme nucléaire, en fera l'un de ses sujets favoris. 

Pour faire un peu de «dark tourism» à Tchernobyl, comme le font chaque année 10.000 personnes, il vous en coûtera (à condition d'être majeur) un peu plus de 115 euros. Pour ce tarif, «vous pourrez aller partout, sans aucune sécurité, au milieu des gravats, des plafonds et des planchers qui s’écroulent», relate France Info. Vous ferez halte à Kapouchi, un village évacué une semaine après l'accident. Dans l'école maternelle envahie par la végétation, cette poupée allongée sur les restes d’un sommier dont la photo a fait le tour du monde... Dans les ruines du bâtiment et dehors, tout est mis en scène. 

 

La jeunesse du coin s'ennuie, picole, s'amuse aussi
Juste après la catastrophe, les autorités soviétiques ont bâti artificiellement une ville sur une forêt, à 30 kilomètres de la centrale, pour loger les ouvriers liquidateurs. A Slavoutytch, la radioactivité n'est, paraît-il, pas le problème principal. Malgré les décès dus à des cancers (moins nombreux aujourd'hui) ou à de simples grippes (à cause des atteintes au système immunitaire), dans cette ville-champignon isolée qui manque d'activités cuturelles, le problème majeur est l'alcoolisme. 

30 ans après #Tchernobyl, le photographe @nielsack raconte la vie de la jeunesse d'#Ukraine https://t.co/EpPPZBZ7Zf pic.twitter.com/m4TR1xAn9X


De 2012 à 2015, le photographe suisse Niels Ackermann a suivi des jeunes époustouflants de vitalité, qui tentent d’avancer malgré l'héritage de Tchernobyl et la crise ukrainienne. Dans un entretien avec le magazine les Inrocks, l'un d'entre eux explique notamment à quelles contradictions ils sont confrontés : «Aujourd’hui, la centrale fait travailler 3.000 habitants de Slavoutytch. Elle est une espèce de trou noir. Elle offre des métiers bien payés et une sécurité de l’emploi. De fait, les jeunes qui ont appris à être journaliste, ingénieur ou autre mettent de côté leurs ambitions pour devenir soudeur, conducteur de camion ou comptable au sein du projet Novarka (projet de construction de l’arche qui servira à rendre hermétique le réacteur qui a explosé).»

Une vie en quasi-autarcie... et en liberté 
Des milliers de personnes travaillent dans la zone interdite. Et la «zone», ils l'adorent, explique Galia Ackerman, l'auteure de Traverser Tchernobyl, dans une interview au Figaro (lien abonnés). L'essayiste habituée à séjourner dans le périmètre de la centrale n'est pas loin de partager leur sentiment. «Les salaires y sont confortables, ils ont beaucoup de temps libre et se sentent comme sur une île, dans cet endroit clos à l'atmosphère si particulière. (...) On dit aussi que Tchernobyl favorise les histoires romantiques, car les employés peuvent y avoir des liaisons extraconjugales sans craindre d'être découverts par leur mari ou leur femme, puisque la zone est interdite d'accès!»


Quant à ceux, et surtout celles, qui sont rentré(e)s à la maison, pour Galia Ackerman, même si l'existence est dure, l'eau courante absente, la solitude pesante et les aliments contaminés, «ces femmes sont sans doute plus heureuses que les habitants qui ont été relogés. Car elles se sentent libres».

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