L'usine à trolls du Kremlin condamnée par la justice russe
L'affaire est devenue médiatique lors de la sortie d'une longue enquête du New York Times, appelée «The Agency». L'agence, c'est un bâtiment situé en banlieue de Saint-Pétersbourg, où des dizaines de personnes sont occupées à «troller» sur les réseaux sociaux. Leur quotidien, envoyer des messages pro-Poutine, anti-Ukraine, ou anti-américains. Avec plus ou moins de subtilité.
La source principale de cette enquête, c'est Lioudmilla Savtchouk, une activiste russe infiltrée dans l'«usine». Dans le New York Times, elle raconte : «La première chose que font les employés en arrivant, c'est modifier certains proxys pour qu'on ne puisse pas les localiser. Ensuite, on nous donne une liste de thèmes à aborder, tous liés à l'actualité. Avec la crise ukrainienne, ça tourne beaucoup autour du dénigrement du président Petro Porochenko et de la mise en avant des exactions causées par l'armée ukrainienne. Pendant la crise du rouble, on était chargés d'envoyer un flux de messages positifs sur la reprise de notre économie»
Un rouble symoblique pour «faire sortir de l'ombre ces trolls informatiques»
Les conditions d'emploi à l'«usine» sont troubles : pas de contrat de travail, un employeur inconnu, un salaire particulièrement élevé, un devoir de réserve absolu. En juin 2015, Savtchouk attaquait en justice l'«Agence d'investigation de l'Internet», le nom officiel de cette entreprise. Et le 17 août, la justice russe a rendu son verdict : la jeune femme a remporté son procès. Savtchouk aura obtenu le salaire qu'on lui devait, et un rouble symbolique de dommages et intérêts. «Je suis très contente, c'est une victoire. J'ai accompli mon devoir : faire sortir de l'ombre ces trolls informatiques», a déclaré la plaignante à l'AFP.
Mme Savtchouk avait été licenciée en mars 2015 après avoir été démasquée. Elle avait alors porté plainte pour «attirer l'attention de la société sur les trolls et les forcer à sortir de l'ombre»
Militante pour le droit à l'information, elle avait travaillé pour cette agence pendant deux mois, tenant plusieurs blogs sur LiveJournal, une plateforme virtuelle. Sur chacun de ses blogs, où elle endossait alternativement l'identité d'une femme au foyer, d'une étudiante ou d'un sportif, la jeune femme publiait des articles positifs sur la vie en Russie, agrémentés de quelques allusions politiques.
L'autre partie de son travail consistait à laisser des commentaires sur des forums de discussion ou des sites d'actualité, une centaine par jour en moyenne. Après avoir été démasquée et licenciée, elle avait dénoncé les activités de l'agence dans plusieurs interviews à la presse russe et étrangère, notamment l'AFP, sans préciser alors, «pour des raisons de sécurité», qu'elle s'y était infiltrée intentionnellement.
L'utilisation de ces «trolls» informatiques est allée crescendo depuis plus d'un an au rythme du conflit en Ukraine et de la crise entre la Russie et les Occidentaux, qui accusent Moscou de soutenir militairement les séparatistes ukrainiens prorusses, ce que le Kremlin dément. Le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, avait assuré récemment que le Kremlin n'avait rien à voir avec cette «Agence d'investigation de l'internet».
«Il existe dans de nombreux pays des équipes de trolls payé pour faire passer un message politique»
Nous avons interrogé à ce propos Alexandre Latsa, chef d'entreprise français installé en Russie, et rédacteur pour le site d'information Sputnik, «si cette affaire d'usine a trolls est avérée. elle traduit seulement ce que tout le monde sait, à savoir qu'il existe dans de nombreux pays des équipes de trolls payé pour faire passer un message politique. Ces processus sont cependant parfaitement habituels : le gouvernement ukrainien interdit les médias russes et la version ukrainienne de Yandex (le Google russe) censure nombre d'informations. Bruxelles a également développé
récemment son centre de propagande Internet pour contrer les eurosceptiques sur les réseaux sociaux. Le ministre israélien des Affaires Etrangères a, lui, mis en place une équipe spéciale et secrète de salariés, dont le travail consiste à surfer sur internet 24 heures sur 24, afin de diffuser la bonne parole.»
Quant à l'implication éventuelle de Vladimir Poutine dans cette «usine», Alexandre Latsa n'y croit pas une seconde : «Je doute que Vladimir Poutine ne finance quoi que ce soit. Soyons sérieux, le Kremlin a deja des outils de communication bien plus subtils. Je crois plutôt que ce centre de propagande Internet est une initiative privée ... Peut-être que les motivations du fondateur sont purement financières.»
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