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L'histoire méconnue du pont qui va relier la Crimée à la Russie
La péninsule de Crimée, rattachée à la Russie en mars 2014, sera désormais reliée physiquement à la Russie grâce à un pont. Ce même pont qu'Hitler avait commencé à construire, et qu'un proche de Vladimir Poutine va définitivement achever.
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D'ici 2018, la Crimée sera reliée au sud de la Russie grâce à un pont sur le détroit de Kertch, un bras de mer de 4,5 km entre mer d'Azov et mer Noire. Il sera doté de quatre voies routières, de deux voies ferrées et de trottoirs pour piétons.
Le projet sera réalisé en collaboration avec des entreprises turques et sud-coréennes, et des compagnies chinoises qui participeront à hauteur de 3 milliards de dollars à la construction. La Russie, quant à elle, serait prête à y consacrer la même somme.
Mais la tâche revient principalement à la société Stroïgazmontazh (SGM), un des groupes phares dans les secteurs de la construction, du pétrole et du gaz, des transports et des chantiers navals.
Arkadi Rotenberg, un multi-milliardaire proche de Poutine
Parmi les 70 appels d'offres publiés pour la construction du pont, c'est la société d'Arkadi Rotenberg qui a été choisie. D'abord parce que ce dernier n'a pas peur que sa société tombe sous le coup des sanctions occidentales. «Je ne compte aller nulle part», explique-t-il dans une interview au journal Kommersant. D'ailleurs, il a déjà été frappé, personnellement, par les sanctions européennes le 30 juillet 2015 avec interdiction de visas et actifs étrangers gelés.
Mais aussi, on le devine, parce qu'il est proche du président. Petit, le futur oligarque apprenait le judo dans le même club que Vladimir Poutine. Les amis d'enfance se retrouvent dans les années 90 et s'entraînent ensemble. Et pour cause. Arkadi Rotenberg est directeur général du club de judo de YavaraNeva, dont Poutine est le président.
Aujourd'hui, le Pétersbourgeois M.Rotenberg est propriétaire ou principal actionnaire de plusieurs grandes banques et infrastructures dans le domaine du gaz et du pétrole. Sa société a notamment participé à la construction du gazoduc Northstream et de l'autoroute qui relie Moscou à Saint-Pétersbourg. Avec ses quelque quatre milliards de dollars, il figure à la 27e place dans la liste des deux cents hommes d'affaires russes les plus riches dans le classement Forbes de 2014.
Une construction mainte fois tentée, jamais réalisée
Durant l'occupation de la Crimée par les nazis, ces derniers avaient déjà commencés les travaux sans qu'ils aient le temps de les achever. En 1945, l'armée rouge avait repris le chantier grâce aux matériaux laissés par les Allemands. Mais le pont s'est écroulé la même année sous le poids de la glace.
En 2010, Dmitri Medvedev, président russe de l'époque, s'était accordé avec son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch pour la construction de ce pont. Sauf qu'il devait être construit avant les Jeux olympiques de Sotchi, ce qui n'a jamais été fait.
Kertch, ville antique, trésor archéologique
«Kertch et Taman ont 2600 ans», explique Guennadi Maïkov, ancien maire de la commune de Taman, dans le quotidien russe Gazeta. «Entre ces deux villes ont circulé les plus importantes migrations de l'humanité – des Varègues aux Grecs et aux Sarrazins. Elles étaient des étapes de la grande route de la soie.»
Les premiers villages créés à Taman datent de 5000 avant J-C., avec des populations rattachées à la civilisation des Sumériens d'Ourouk, en Irak, arrivés du Moyen-Orient par les montagnes du Caucase. Vestiges d'un village khazar, peuple qui vécut entre le VIe et le XIIIe siècle. «A en juger par les squelettes, ils sont morts suite à une attaque militaire», explique un archéologue dans le même article.
«Les sapeurs pompiers désamorcent les mines et les munitions, vestiges de la Seconde Guerre mondiale ; on repértorie les espèces végétales et animales protégées; on fore les sols pour y implanter les fondations des futures piles du pont.» peut-on lire dans un reportage de Gazeta.
Des trésors de l'époque où Kertch s'appelait Panticapée sont découverts. Les archéologues sur place se sont vu attribuer des budgets généreux. Certains disent n'avoir jamais eu d'aussi bonnes conditions de travail «en quarante ans de carrière.»
Quelles conséquences pour l'environnement ?
Etant donné les sols instables et la réalisation de grands travaux de forage depuis plusieurs années, la construction pourrait causer des dommages irréparables à l'écosystème du détroit de Kertch et de la baie de Taman.
Le 26 mai 2015, des auditions publiques ont été organisées dans les deux villes concernées. Les participants ont discuté de mesures spécifiques pour la protection des ressources biologiques, l'air, la faune et la flore de la région.
«Déjà, il est annoncé que l’impact des travaux de construction sera négligeable pour l’environnement. Avec précision, on avance que, certes, les ressources halieutiques du détroit de Kertch subiront quelques dégâts, évalués d’ores et déjà à 1.236,35 kg de poisson et que, pour compenser ces pertes, 16.000 jeunes esturgeons d’un poids d’1,5 kg seront réintroduits après travaux.» explique Céline Bayou, docteur en civilisation (INALCO) et membre de l'Observatoire des Etats post-soviétiques.
Touchée par un fort taux de chômage et snobée par les investisseurs, la ville pourrait bénéficier de ce pont qui ouvrirait un transit des biens et personnes vers la Crimée.
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