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«Enfant 44», un autre film qui fâche la Russie
Le thriller américain qui met en scène un serial killer d'enfants soviétique en pleine Seconde guerre mondiale n'a pas eu l'heur de plaire aux autorités russes. Pas d'«Enfant 44» sur les écrans chez Vladimir Poutine. Et ce n'est pas à cause du piètre accent russe de la version en langue anglaise !
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Enfant 44, produit par la société américaine LionsGate, devait sortir en Russie le 16 avril 2015 (le 17 avril pour la sortie internationale) et être diffusé dans plus de 500 salles. Mais le 14, un «comité d'experts», composé entre autres de représentants du ministère de la Culture ainsi que du ministre lui-même, a visionné le film terminé (après avoir réclamé des modifications en cours de tournage) et apposé son veto.
La fiction hollywoodienne raconte la traque d'un tueur en série dans la Russie de 1952, un an avant la mort de Staline : Andreï Tchitikalo, meurtrier de 53 femmes et enfants entre 1978 et 1990. Le tueur, célèbre, a déjà fait l'objet d'un téléfilm américain en 1995 : Citizen X. Toutefois, ce n'est pas le (mauvais) goût américain pour les serial killers soviétiques, ni la ridicule caricature d'accent à grand renfort de «r» laborieusement roulés du couple de héros dans la version originale (même les journalistes britanniques, comme John Patterson du Guardian, en ont marre des accents étrangers des acteurs anglo-saxons) qui motivent ce veto.
Parfum de Guerre froide et mise en abyme
Raison invoquée : «La distorsion de faits historiques et l'interprétation particulière d'événements se déroulant avant, pendant et après (la Seconde Guerre mondiale)». A la veille du 70e anniversaire de la fin de la «Grande Guerre patriotique» – célébrée le 9 mai, en particulièrement grande pompe cette année –, c'est tout bonnement «inacceptable», a jugé le ministre de la Culture. «Les films comme Enfant 44 ne doivent pas sortir sur grand écran dans notre pays et gagner de l'argent sur le dos de nos spectateurs», a-t-il déclaré.
La fiction hollywoodienne raconte la traque d'un tueur en série dans la Russie de 1952, un an avant la mort de Staline : Andreï Tchitikalo, meurtrier de 53 femmes et enfants entre 1978 et 1990. Le tueur, célèbre, a déjà fait l'objet d'un téléfilm américain en 1995 : Citizen X. Toutefois, ce n'est pas le (mauvais) goût américain pour les serial killers soviétiques, ni la ridicule caricature d'accent à grand renfort de «r» laborieusement roulés du couple de héros dans la version originale (même les journalistes britanniques, comme John Patterson du Guardian, en ont marre des accents étrangers des acteurs anglo-saxons) qui motivent ce veto.
Parfum de Guerre froide et mise en abyme
Raison invoquée : «La distorsion de faits historiques et l'interprétation particulière d'événements se déroulant avant, pendant et après (la Seconde Guerre mondiale)». A la veille du 70e anniversaire de la fin de la «Grande Guerre patriotique» – célébrée le 9 mai, en particulièrement grande pompe cette année –, c'est tout bonnement «inacceptable», a jugé le ministre de la Culture. «Les films comme Enfant 44 ne doivent pas sortir sur grand écran dans notre pays et gagner de l'argent sur le dos de nos spectateurs», a-t-il déclaré.
Parallèlement au «parcours» du tueur en série, le film suit la destinée du policier qui le traque : Léo Demidov (interprété par Tom Hardy). Orphelin de la grande famine d'Ukraine de 1932, devenu un héros sur le front russe, il participe à la prise du Reischtag avant d'entrer au MGB, l'ancêtre du KGB... Mais «le crime n'existe pas au paradis» de l'Union soviétique, a dit Staline... «L’homme à abattre» n’est donc pas le meurtrier mais le policier. Sa femme Raïssa et lui vont être accusés d'être des espions à la solde des Etats-Unis. Une parfaite ambiance de Guerre froide bien américaine, avec en toile de fond la bêtise d’un système plus enclin à se protéger qu’à assurer la sécurité de ses citoyens. Pour l'auteur du livre basé sur la biographie d'Andreï Tchikatilo, «l’un des principaux héros du roman est la Russie soviétique, un monstrueux mélange d’horreur et d’absurdité».
Une belle mise en abyme que cette censure cinématographique d'un film qui dénonce une forme de censure policière, fait remarquer Russie Info.
«44 nuances de dégoût», titre une revue favorable au Kremlin
Des images de cauchemar qui ont visiblement traumatisé le ministre de la Culture russe, Vladimir Medinski : «Ce n'est pas un pays, mais un Mordor rempli de créatures physiquement et moralement déficientes, une débauche sanglante où s'ébattent des anthropophages et des vampires (...)». Et de conclure, amer (lien en russe) : «C'est ainsi qu'est dépeint notre pays (des années 30 à 50), ce même pays qui a gagné la Grande guerre, a rejoint le peloton des nations leaders et vient d'envoyer le premier homme dans l'espace.»
Tout aussi révulsée, la revue Kultura, dirigée par un proche de Vladimir Poutine, a vomi le 21 avril sur son site internet le dégoût en «44 nuances» que lui inspire le film, «une accumulation de mensonges et d'insultes à la Russie et aux Russes».
La déclaration officielle de Vladimir Medinski, publiée sur le site (lien en russe) du ministère, en plus d'une bonne quantité de pommade aux anciens combattants dont il refuse que soient «blessés les sentiments», met en avant la nécessité (pour les Russes) de se définir eux-mêmes en tant que «descendants de la grande et unique civilisation russe». «Sinon, prévient le ministre dans un élan un brin paranoïaque, nous nous ferons avoir. Ou bien nous serons capables de nous autodéterminer dans notre histoire et, par conséquent, notre avenir, ou bien on nous "autodéterminera" sans notre consentement».
L'histoire militaire pour culture
Cette obsession de contrôler l'histoire du pays n'est pas une nouveauté chez ce jeune (45 ans) historien auquel on a pu accoler l'épithète de «révisionniste». En 2012, quelques mois après la réélection de Vladimir Poutine à la tête du pays et sa nomination, il déclarait : «Notre élite intellectuelle et les médias doivent cesser de creuser de façon masochiste dans notre passé et de chercher la petite bête, de se focaliser sur les échecs et les erreurs.» Le ministre préside par ailleurs la Société russe de l'histoire militaire et n'hésite pas à souligner que «la Russie a passé en guerre plus des deux tiers de son histoire».
Pour Isabelle Mandraud, du Monde, Vladimir Medinski «incarne le tournant patriotique» du pouvoir. Et c'est selon ce critère que sont triés les films historiques, puis subventionnés – ou pas – et diffusés – ou pas. Ce «propagandiste», comme le définit une journaliste de la Novaïa Gazeta, a mis en place en 2013 un circuit pour superviser en trois étapes ceux qui traitent de cette fameuse «Grande Guerre patriotique». Dernier chaînon de ce circuit ? la Société russe d'histoire militaire...
Ce ministre au profil de premier de la classe, décrit comme un des radicaux du Kremlin, a fait parler de lui en trois années d'exercice. On se souvient de sa loi interdisant les «gros mots» au cinéma. Une façon d'édulcorer la version russe de Leviathan – «lâché» après avoir été subventionné. Vladimir Medinski s'était dit très déçu par le «désespoir existentiel» du film, et avait accusé le réalisateur Andreï Zviaguintsev d'«aimer surtout les statuettes et les tapis rouges». Honnies aussi, évidemment, les Pussy Riot, traitées de «hooligans». D'une façon générale, le ministre exècre l'art contemporain, comme le montre son portrait que vient de brosser le Temps, et trouve «la Russie trop tolérante avec les artistes».
Le retour des films de commande et de la censure
Depuis la révolution ukrainienne de l'hiver 2013-14, les artistes sont sommés de choisir leur camp, explique Isabelle Mandraud dans son article «L'art russe face au péril patriote». En mars 2014, le ministre de la Culture a lancé une pétition de soutien à la politique étrangère de la Russie en Crimée et en en Ukraine. Elle a été signée par 511 célébrités des arts et spectacles. Parmi eux, le réalisateur bien connu en Occident Pavel Louguine (Taxi Blues, Luna Park, Tsar…). Le patron de Mosfilm, la grande société de production du cinéma russe, jure n'avoir «pas subi la moindre pression pour signer cette pétition. Un fonctionnaire du ministère de la Culture m'a sollicité par téléphone et j'ai signé bien volontiers. Voilà tout. Je connais un tas de gens qui ont choisi de ne pas signer et il ne leur est rien arrivé.»
«La plupart n'ont pas le choix, explique l'écrivain populaire et opposant à Vladimir Poutine Boris Akounine, cité par l'Express : leur travail dépend des aides de l'Etat. Soit ils apposent une petite signature de rien du tout au bas d'une pétition et il ne leur arrivera rien, soit ils font la forte tête et risquent de tout perdre, entraînant dans leur chute ceux qui travaillent sous leur responsabilité...»
Des pressions accrues depuis la révolution ukrainienne... qui s'accentuent à l'approche du 9 mai
L'approche des grandes commémorations du 9 mai rend encore plus sensibles toutes ces crispations : la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie fêtera cette année son 70e anniversaire sur fond de réhabilitation de Staline. Les «Loups de la nuit», eux (ces motards dont le chef est l'une des vedettes du mouvement Antimaïdan), sont déjà en route pour Berlin (certains se sont fait refouler en chemin), où ils veulent reconstituer la marche de l'Armée rouge. A suivre...
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