Comment la Russie mène sa "guerre hybride" en mer Baltique

Plusieurs incidents se sont déroulés ces dernières semaines dans cette zone frontalière, poussant les pays baltes et scandinaves à réagir face à des menaces attribuées à Moscou.
Article rédigé par franceinfo
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Un bateau en mer Baltique, photographié depuis un avion de patrouille français, le 16 juin 2022. (FRED TANNEAU / AFP)

Une escalade des tensions en mer Baltique. Le chef de la diplomatie française a déploré, vendredi 24 mai, la multiplication des "provocations" de la Russie aux frontières de l'Estonie, de la Finlande et de la Lituanie. "Pleine solidarité face à ces actions agressives inacceptables", a réagi Stéphane Séjourné dans un message publié sur le réseau social X, à l'issue d'une semaine marquée par des coups d'éclat géopolitiques de Moscou dans cette mer qui sépare la Russie de ses voisins de l'Otan. "Nous suivons attentivement la situation aux côtés de nos alliés, qui agissent avec calme et sang-froid", a ajouté le ministre des Affaires étrangères. 

Craignant que les ambitions de Vladimir Poutine ne s'étendent vers le Nord-Ouest, après l'invasion russe en Ukraine, six pays membres de l'Alliance atlantique (Pologne, Norvège, Finlande, Lituanie, Lettonie et Estonie) ont déclaré vendredi avoir trouvé un accord pour ériger une "muraille de drones s'étendant de la Norvège à la Pologne". Mais quelles sont les "provocations" russes dont ils entendent se protéger ? Franceinfo passe en revue les divers incidents et menaces relevées ces dernières semaines dans cette zone frontalière

Un "incident frontalier" avec l'Estonie

Les garde-côtes estoniens ont déclaré jeudi 23 mai au matin avoir vu leurs homologues russes retirer, au beau milieu de la nuit, des bouées placées sur la rivière Narva, qui sépare les deux pays. L'emplacement des balises flottantes, qui sont utilisées pour empêcher les bateaux de s'égarer accidentellement dans des eaux étrangères, est contesté depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, assure Tallinn. "Cette année, la Russie a déclaré contester l'emplacement d'environ la moitié des bouées prévues", ont affirmé les garde-côtes estoniens dans un communiqué.

"Il s'agit d'un incident frontalier, dont nous sommes en train de clarifier les circonstances précises", a déclaré la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, assurant que l'Estonie a contacté la Russie afin d'obtenir des informations à ce sujet. "La Russie multiplie les incidents aux frontières pour susciter la peur et l'anxiété, afin de semer l'insécurité dans nos sociétés. Nous constatons une tendance générale en la matière", a-t-elle ajouté.

Un vrai-faux projet de loi pour mordre sur les frontières finlandaises et lituaniennes 

Des médias russes se sont fait l'écho, mardi 21 mai, d'un projet de résolution du ministère de la Défense envisageant d'étendre les eaux territoriales russes en modifiant les frontières en mer Baltique avec la Finlande et la Lituanie, à compter du 1er janvier 2025. Selon ce document, mentionné notamment par le journal indépendant The Moscow Times, les frontières de la Russie dans la région de Kaliningrad et dans le golfe de Finlande seraient également modifiées. Des modifications qui permettraient à Moscou de déclarer les zones maritimes finlandaises et lituaniennes comme étant russes.

Le président finlandais, Alexander Stubb, qui supervise la politique étrangère du pays, a assuré sur X que "la Russie n'a pas été en contact avec la Finlande à ce sujet". Le ministère des Affaires étrangères lituanien a pour sa part annoncé dans un communiqué qu'il "convoquait un représentant de la Fédération de Russie pour obtenir une explication complète".

L'annonce surprise et unilatérale n'a guère de valeur en termes de droit maritime international, rappelle Arkady Moshes, spécialiste de la Russie à l'Institut finlandais des affaires internationales, interrogé dans le journal Helsingin Sanomat. Elle permet cependant au Kremlin de "démontrer qu'il est capable de créer des problèmes et des disputes sur des points qui ne posaient pas de problème jusqu'alors", explique-t-il, ce qui s'apparente à une forme de guerre hybride. Il s'agirait donc, selon le plus important quotidien finlandais, de provoquer des discussions à Helsinki et Tallinn sur une éventuelle riposte. Une analyse partagée par la ministre des Affaires étrangères finlandaise, Elina Valtonen : "Il ne faut pas oublier que semer la confusion, c'est aussi avoir une influence hybride. La Finlande ne se laissera pas désorienter", a-t-elle écrit sur X.

Pour les experts, il ne fait aucun doute que l'opération de communication sur ce projet de résolution russe a pour objectif de tester la réaction des pays visés. Quelques heures après sa publication sur le site du ministère de la Défense russe, le texte a d'ailleurs disparu. Pour Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité maritime à l'université britannique de Lancaster, cité par France 24, ce projet de loi déposé puis retiré avait pour principal but d'intensifier la "pression politique dans cette région pour jauger la réponse de l'Otan". 

Des navires aux comportements risqués

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les "provocations" se sont multipliées en mer Baltique. "Depuis des mois, des navires 'fantômes', vieux et mal entretenus, appartenant à des propriétaires douteux et dépourvus d'assurance internationalement reconnue, [transportent] du pétrole dans [les] eaux [des pays voisins] d'une manière intrinsèquement risquée", rappelle la chercheuse et éditorialiste Elizabeth Braw, dans le quotidien britannique Financial Times. Spécialiste des menaces hybrides, elle cite un ancien ambassadeur de la Lituanie auprès de l'Otan, Vytautas Leskevicius. Ces navires "tâtent le terrain, à la fois métaphoriquement et littéralement", a expliqué ce diplomate, interrogé sur ces incursions douteuses dans les eaux voisines.

"Une mer Baltique plus peuplée [avec une présence accrue de navires] et d'importance stratégique augmente le risque d'accidents en cas de démonstration de force navale plus importante", expliquait déjà fin avril Marion Messmer, spécialiste des questions de sécurité pour l'institut britannique Chatham House. "Cela fournit également plusieurs vecteurs d'attaque potentiels pour le sabotage russe."

Des risques pour les infrastructures sous-marines

Pour la première fois, des experts de l'Alliance atlantique se sont réunis jeudi 23 mai au siège de l'Otan, afin d'évoquer le renforcement de la sécurité des infrastructures sous-marines (câbles et pipelines sous-marins) et la surveillance des potentielles menaces, y compris en mer Baltique. "Nous savons que les Russes ont développé de nombreuses guerres hybrides sous la mer pour perturber l'économie européenne, au moyen de câbles, de câbles internet et de pipelines. Toute notre économie sous-marine est menacée", a déclaré le vice-amiral Didier Maleterre, commandant adjoint du commandement maritime allié de l'Alliance (Marcom), cité le 16 avril dans The Guardian.

Si les enquêtes menées par différents pays à la suite des sabotages des gazoducs Nord Stream 1 et 2, en septembre 2022, et du gazoduc Balticconnector, en octobre 2023, n'ont pas permis d'incriminer la Russie, les membres de l'Otan s'accordent pour reconnaître l'exposition de leurs infrastructures sous-marines dans cette zone.

Moscou interfère aussi dans les airs 

Et il n'y a pas qu'au niveau de la mer que la Russie tente d'interférer. Plusieurs compagnies aériennes ont ainsi signalé des perturbations liées au brouillage à grande échelle par Moscou du signal de géolocalisation par satellite (GPS) des appareils, a rapporté Le Monde début mai.

Deux avions de la compagnie Finnair reliant Helsinki à Tartu, la deuxième ville estonienne située à quelques dizaines de kilomètres de la Russie, ont notamment été contraints de faire demi-tour fin avril, perturbés par du brouillage GPS. "De telles actions constituent (…) une menace pour notre population et notre sécurité, et nous ne les tolérerons pas", avait réagi le ministre des Affaires étrangères estonien, Margus Tsahkna, dans un entretien au Financial Times.

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