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Affaire Oksana Vodianova : quelle place pour les handicapés en Russie?

Les médias russes en ont parlé des jours entiers. La sœur autiste de la célèbre mannequin Natalia Vodianova s'est fait expulser d'un café par son propriétaire. Du délit de faciès, simplement. L'occasion d'évoquer les conditions de vie des handicapés en Russie.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Natalia Vodianova et sa soeur Oksana (Fondation Naked Heart)

Ce buzz aura eu le mérite d'ouvrir le débat. L'histoire concerne Natalia Vodianova, la fameuse mannequin russe égérie de la marque française Etam. Enfin presque. Mardi, dans un café à Nijni Novgorod, à 200 kilomètres au nord-est de Moscou, sa sœur autiste, Oksana, 27 ans, s'est vu ordonner de quitter les lieux car elle faisait «peur aux gens». C'est ce que raconte la star russe sur son compte Facebook. Le propriétaire du café aurait dit à la nourrice d'Oksana «d'aller la faire soigner, de se soigner elle-même, pour pouvoir ensuite se permettre d'aller dans les lieux publics». Des propos d'une rare violence qui ont ému les réseaux sociaux russes.

Le gouvernement a réagit en menaçant de condamner le propriétaire du café à cinq ans de prison. Une condamnation démesurée selon Vodianova, qui a appelé à cesser les attaques contre celui-ci. «Pas besoin de surrenchérir dans l'intolérance», a-t-elle dit. En attendant, le café a fermé et une enquête est en cours.

Natalia Vodianova et sa soeur autiste, Oksana (Starlife.ru)

Quelle histoire pour les handicapés en Russie ?
Tous les ans, le président Vladimir Poutine donne rendez-vous aux Russes lors d'un exercice de questions-réponses en direct à la télévision. L'an dernier, une adolescente de 15 ans souffrant de paralysie cérébrale se plaignait auprès du président que sa famille ne pouvait lui payer des soins adaptés. Depuis, et c'est souvent le cas après cette émission, la petite a reçu tous les soins dont elle avait besoin. Gros coup de com', mais cette petite ne représente qu'un cas sur les 13 millions de handicapés que comptent la Russie.
 
Mais tous les handicapés n'ont pas la chance d'avoir une sœur mondialement connue ou de pouvoir passer un coup de fil au président. «Personne ne nous écoute jusqu'à ce qu'une star se prononce sur le sujet. C'est sans doute normal. Considérons cela comme une opportunité pour apporter des changements», a commenté le dramaturge russe Evgeny Kazachkov sur sa page Facebook.
 
«La situation qui a eu lieu avec ma sœur Oksana hier n'est pas un incident isolé. Malheureusement, cela correspond à la réalité dans laquelle toutes les familles qui élèvent des enfants ayant des besoins particuliers vivent». Renchérit le mannequin Natalia Vodianova sur le réseau social. 


En 2012, la Russie signait la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. Le texte rappelle, entre autres, qu'«il importe que les personnes handicapées aient pleinement accès aux équipements physiques, sociaux, économiques et culturels, à la santé et à l’éducation ainsi qu’à l’information et à la communication pour jouir pleinement de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales». Deux ans plus tard, un rapport publié par Human Rights Watch a montré que 30% des enfants handicapés en Russie résidant dans des orphelinats de l'État vivaient dans des conditions de violence et d'isolement.
 
Pire qu'en URSS ? Les experts sont partagés. «Globalement, la politique de l'Etat soviétique à l'égard des personnes handicapées était de les cacher de la vue, souvent les entreposer dans des pensionnats spéciaux et les maisons de soins infirmiers, et de leur fournir le minimum nécessaire pour exister - une petite pension et quelques services, mais pas grand-chose » explique Sarah Phillips, professeur à l'Université de l'Indiana, interviewée par le Moscow Times.
 

Les Moscovites profitent de l'eau pour se rafraîchir sous la canicule. Parc Gorky, Moscou, 9 août 2015. (SERGUEI KARPUKHIN / REUTERS)


La chercheuse, qui a consacré ses recherches à la question du handicap dans l'Union soviétique, a noté que la situation s'était améliorée au cours des dernières années. Selon elle, les personnes handicapées ont de meilleures conditions de vie, et davantage de possibilités d'éducation et d'emploi. Pour Konstantin Lapchine, un membre du personnel administratif de la Société des aveugles de Russie, au contraire, la situation des handicapés était meilleure à l'époque soviétique.

En termes d'emploi, en tout cas : «En 1991, 50 000 aveugles sont employés dans une entreprise à travers tout l'URSS. Aujourd'hui, ils sont seulement 6000 en Russie.» Ces chiffres, issus des rapports de l'ONG, qui existe depuis 1926, sont difficilement vérifiables. Selon lui, seule une économie communiste pouvait permettre un tel score. Le capitalisme, la concurrence chinoise, ne permettraient pas aujourd'hui à l'Etat russe à mener une réelle politique de l'emploi pour les handicapés. Des arguments difficilement recevables...

Des mesures inefficaces pour l'emploi
Les initiatives juridiques ne manquent pas. Dans le domaine de la législation russe concernant le handicap, la loi la plus importante est celle de 1995 «Sur la protection sociale des handicapés». Cette loi déclare que l'État doit assurer pour les handicapés les mêmes droits et chances que les personnes valides. Avec du recul, difficile d'affirmer qu'elle ait été appliquée. 
 

Des bénévoles jouent avec des enfants dans un centre pour handicapés, à Sergueï Possad, près de Moscou. (OKSANA YUSHKO / REUTERS)


Dans son rapport du printemps 2009, le Président russe Dimitri Medvedev a mentionné que si 6 millions de handicapés sur 13 millions étaient capables de travailler, seulement 15% étaient embauchés. Alors que le chômage en Russie atteint un niveau record à la fin de 2013 (à 5,5%), le taux pour les personnes handicapées est extrêmement élevé puisqu'il atteint 70%. En 2014, 600 000 handicapés ont un travail, sur 12,8 millions. En d'autres termes, seulement 4,6% des Russes handicapées sont employées. A titre de comparaison, au Royaume-Uni, selon certaines sources, 40% des personnes employées handicapées aux États-Unis - 24%.
 
Une autre difficulté est pointée du doigt par les experts : l'absence de décideurs directs dans les organismes fédéraux. Par exemple, personne n'a été désignée responsable de l'exécution du décret présidentiel du 7 mars 2012 qui exigeait, entre autres, de créer 14 200 emplois pour les personnes handicapées dans l'année.
 
Autre problème majeur, les emplois fictifs. Les subventions du gouvernement pour les entreprises employant des personnes handicapées sont détournées. Les sociétés font signer des contrats à des personnes qui ne travaillent pas réellement. Ainsi, ils empochent des sommes d'argent de la part de l'Etat sans créer d'emploi ni adapter leurs locaux aux personnes à capacités diminuées. Dmitri Kasatkine, directeur du Centre pour la promotion de l'emploi des personnes handicapées, confirme l'existence de ces pratiques : «Rien que sur les 12 entreprises que j'ai récemment inspectées, 600 personnes sont déclarées alors que seulement 15 personnes y travaillent réellement»
 
«En attendant, pour les personnes handicapées, le travail n'est pas tant un moyen de gagner de l'argent mais de se sentir pleinement humain», explique Dmitry Kasatkin.
 


Du manque d'accessibilité à l'isolement
«Le gouvernement russe a pris des mesures médiatisées pour améliorer l'accessibilité de certains lieux, mais quand il s'agit de la vie quotidienne – comme aller au travail ou chez le médecin – les personnes handicapées sont confrontées à une tâche ardue», regrette Andrea Mazzarino, chercheuse sur les droits des personnes handicapées en Europe et en Asie centrale à Human Rights Watch. «Si le gouvernement n'agit pas, des millions d’handicapés resteront coupés de la société.»

Dmitry Polikanov, président de la Co-yedininiye (Con-nection), dénonce : «La société doit être consciente que l'accessibilité ne concerne pas seulement les questions techniques, mais aussi 'élimination des freins psychologiques quant à la perception des handicapés et de la communication autour du handicap». «Un des exemples frappants pour moi était l'attitude dans les supermarchés, qui préfèrent d'isoler les personnes sourdes et aveugles et ne pas les laisser dans, plutôt que d'essayer de les aider à faire leurs courses», raconte Polikanov. «Les magasins ne sont pas équipés avec des signes en braille, et le personnel de sécurité et les vendeurs ne sont pas formés pour traiter avec les personnes handicapées.»

En 2011, le gouvernement a investi 180 milliards de roubles (2,4 milliards d'euros) pour adapter les transports en commun aux personnes à moblité réduite, comme ajouter des passerelles dépliantes aux autobus pour les chaises roulantes. Mais c'est loin d'être suffisant.  

Une application spéciale pour les transports en commun
Récemment, le jeune Maxime Doubinine a développé une application qui permet aux personnes à mobilités réduites d'adapter leur trajet en fonction de l'accessibilité de chaque station. Des heures de travail pour les développeurs qui ont sillonné le métro moscovite de long en large, comptant les marches une par une, mesurant les trajets au mètre près, etc. 
 
«Dans beaucoup de grandes villes, il est parfois tout simplement impossible, pour une personne à mobilité réduite, de se rendre d’un point A à un point B», explique Maxim Doubinine au Courrier de Russie. À Moscou, seuls 8 % des stations de métro et 30 % des itinéraires sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. 

Mais pour pouvoir sortir dehors, encore faut-il avoir du matériel adapté. Selon la nature du handicap, une chaise roulante, par exemple, peut-être nécessaire. Mais leur coût est toujours très élevé, car la Russie importe tout son matériel médical.
 
Contraint les patients à utiliser un matériel vétuste fourni par l’État, soit « des fauteuils roulants à 250 euros dans lesquels, une fois assis, on ne peut plus bouger », explique Svetlana Valioullina, directrice adjointe du centre de recherche de chirurgie pédiatrique d’urgence à Roussky Reporter.

Les évolutions sont donc lentes et insuffisantes. Et c'est sans parler des petites villes hors Moscou et Saint-Pétersbourg, qui sont à peine concernées.

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