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"Nous voulons réduire le nombre de chocs à l’entraînement", l'ancien joueur Alix Popham dénonce les troubles neurologiques liés au rugby

Plus de 150 anciens rugbymen, dont l'ex-international gallois, qui souffrent de troubles neurologiques liés à leur pratique sportive, ont décidé de se tourner vers la justice britannique. Ils souhaitent que les instances internationales prennent des mesures pour mieux protéger les joueurs. 

Article rédigé par franceinfo, Richard Place
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des anciens joueurs ont lancé une action devant la justice britannique pour alerter sur les risques de troubles neurologiques liés à la pratique du rugby (Illustration 17 janvier 2021). (SYLVAIN THOMAS / AFP)

La rencontre entre le Pays de Galles et l'Angleterre samedi 27 février est bien l’affiche de la 3e journée du Tournoi des six nations. Au-delà de l'aspect sportif plus de 150 anciens joueurs ont décidé de lancer une action devant la justice britannique. Ils souffrent tous de troubles neurologiques liés à leur pratique sportive. Ils veulent donc que l’instance internationale, la World rugby, et les fédérations nationales prennent rapidement rapidement pour protéger les joueurs. Alix Popham est l’un de ces plaignants. Cet ancien international Gallois a subi trop de chocs pendant sa carrière. Il en paie le prix aujourd’hui à 41 ans. 

franceinfo : Comment vous êtes-vous rendu compte que quelque chose clochait ? 

Alix Popham :  Il y a un an et demi ma femme voulait que j'aille chez le médecin pour différents symptômes avec lesquels je luttais et je disais : "Ok j’ai du stress au travail mais je vais bien." Et puis, je me suis perdu lors d'une balade à vélo que j'ai fait près de 100 fois. J’étais chez mon médecin le lendemain. Il m'a ensuite emmené pour un test du cerveau. C'était en septembre 2019. Et c'est là, que le parcours des tests a commencé. Par rapport à ma carrière, je sais où j'ai joué, quand j'y ai joué et combien de saisons. Mais les détails et les souvenirs de matchs, il ne m'en reste pas beaucoup, malheureusement.

Mon neuropsychologue m'a dit que mon cerveau était "enflammé" à cause de la quantité de contacts au jour le jour, de semaine en semaine, de mois en mois, et les saisons sont devenues de plus en plus longues. C’est comme si j’avais pris des photos de ces matchs où je jouais dans de grands stades avec beaucoup de gens mais je n’enregistrais pas en vidéo, donc pas de souvenirs. Donc, ma carrière, je ne m’en souviens pas trop, malheureusement. 

Quels sont les symptômes qui ont alerté votre femme, et que vous subissez encore ?

La mémoire à court terme. J’ai une conversation avec ma femme quelques heures plus tard, le lendemain, je n'en ai aucun souvenir. La concentration. Lire et digérer une information à partir d'un simple e-mail, j’ai vraiment lutté avec ça. C’est devenu évident dans le travail. J'aimais lire des autobiographies et j'ai maintenant beaucoup de mal à lire un livre. Ma femme pensait que j'allais mourir tellement je devais lutter contre ça. Lors d'une réunion du conseil d'administration ou à un dîner et que plusieurs personnes parlaient, j'avais du mal à recueillir les informations de la personne à qui je parlais à cause du bruit de fond. Je ne pouvais pas filtrer.

"Beaucoup de maux de tête, je perds aussi le fil de ma pensée. Donc si je parle à quelqu'un et que je pense à autre chose, même brièvement, j'oublie de quoi je parlais juste avant. Alors je demande : 'De quoi je parlais ?'"

Alix Popham

à franceinfo

Ça devenait de plus en plus fréquent. Je mêlais les mots aux choses. Je nommais quelque chose avec le mauvais mot, des choses vraiment simples. Et puis aussi mon tempérament. Je perds mon sang-froid rapidement, ce qui ne m’arrivait pas avant. Ces symptômes, je les ai eus pendant un an et demi avant de consulter.

Et ces failles vous les reliez directement à votre carrière de rugbyman professionnel ?

Oui. Quand j'ai joué au Royaume-Uni, je faisais trois entraînements par semaine avec contacts puis le samedi, il y avait le match. En France, ces séances avec contacts, j’en faisais trois par semaine. Chacun de ces chocs provoque de petits dégâts. C’est comme un robinet qui fuit sur une motte de boue. Si ça coule une fois ou deux, il n’y a pas de trace. Mais si ça coule pendant 14 ans, ce qu’a duré ma carrière, il y un grand trou dans la boue. 

Il faut réduire le nombre de contacts lors des entraînements. Certains clubs travaillent mieux mais ce n'est pas assez encadré. Prenez l’exemple de la NFL, la ligue de football américain. Il y a dix ans, ils ont réduit le nombre d’entraînements avec contacts, ils en font 16 par saison. Ainsi, un joueur qui arrive en phase finale pourrait être impliqué entre 30 et 40 jours de contact par saison. Pour un rugbyman professionnel, c’est entre 220 et 240 jours. C’est incroyable, la différence entre les deux sports ! Il y a 85% de mes contacts au cours de ma carrière se sont produits à l’entraînement. Quand j'ai commencé mes examens, il y avait environ 15 joueurs qui avaient des symptômes similaires. Maintenant, au Royaume-Uni, il y en a plus de 260. En Australie, environ 100 et une cinquantaine en Nouvelle-Zélande. Les chiffres augmentent tous les jours.

Que demandez-vous ?

Nous voulons réduire le nombre de chocs à l’entraînement, dès la saison 2021/2022. Nous voulons des contrôles de santé complets pour tous les joueurs, notamment un scan DTI. C’est ce qui a détecté les dégâts dans cinq zones de mon cerveau. 

"Nous voulons protéger les joueurs actuels et les générations futures."

Alix Popham

à franceinfo

Le rugby que nous aimons tous est un sport de contact. Il va y avoir des commotions cérébrales. Il va y avoir des blessures. Mais nous voulons le rendre aussi sûr que possible. En tant que joueur, vous ne voulez jamais montrer de faiblesse et voir les dégâts, c’est très difficile. Et c'est pour ça qu’il ne faut pas laisser ces décisions aux joueurs. Ils vous diront toujours que tout va bien. Il doit y avoir un spécialiste du cerveau, indépendant pour surveiller les joueurs et les sortir des entraînements, des matchs. Ça ne peut pas être quelqu'un qui est associé au club parce qu'il y a un conflit d’intérêt.

Vous avez fini votre carrière en France, à Brive, diriez-vous que les choses s’y passent différemment ?

C'est difficile à dire parce que j’ai arrêté il y a dix ans. Les choses ont peut-être changé. Mais quand je jouais là-bas, il y avait beaucoup plus de chocs qu’au Royaume Uni. Un entraînement avec contacts de plus par semaine. J'espère que ça s'est amélioré mais on doit pouvoir faire mieux, j’en suis sûr.

Avec ce que vous racontez, arrivez-vous encore à regarder des matchs de rugby ?

J'adore le rugby. J'avais 4 ans quand j’ai commencé et j'ai pris ma retraite, j’en avais 31. Il y a tellement de moments incroyables que le rugby apporte à ma vie, à la vie de ma famille, à mes amis. Nous voulons juste le rendre aussi sûr que possible. Les parents seront heureux d'envoyer leurs enfants au rugby si World rugby fait tout ce qui est en son pouvoir pour le rendre sûr.

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