"Brexit" : "Au sein de l'UE, tout le monde fait un effort pour aider Cameron à remporter son référendum"
Le Royaume-Uni entend renégocier sa place dans l'Union européenne avant de proposer à ses citoyens de se prononcer sur la question fatidique, avant 2017 : faut-il, oui ou non, sortir de l'UE ?
David Cameron n'a que quelques mois pour rĂ©concilier les Britanniques avec l'Union europĂ©enne. Alors que les sujets de Sa MajestĂ© doivent voter dans les mois qui viennent pour dĂ©cider ou non de sortir de l'UE, le Premier ministre, hostile Ă l'idĂ©e d'un "Brexit", est entrĂ© dans une phase de nĂ©gociations dĂ©cisives avec les institutions europĂ©ennes : mercredi 3 fĂ©vrier, le voilĂ en possession d'un projet d'accord, soit l'avant-goĂ»t des concessions que l'UE est prĂȘte à lui accorder pour l'aider Ă convaincre les Britanniques de ne pas quitter le navire.
Les propositions de l'UE pour éviter un "Brexit" prévoient notamment un frein d'urgence pour que Londres puisse couper certaines aides sociales aux travailleurs intra-européens, et des garanties que la City ne pùtira pas d'un renforcement de l'euro. Elles prévoient aussi un mécanisme par lequel les neuf pays qui n'ont pas adopté l'euro pourraient faire part de leurs inquiétudes et recevoir "les assurances nécessaires" sur les décisions des 19 autres Etats de l'UE qui utilisent la monnaie unique.
Des concessions en apparence loin d'ĂȘtre anecdotiques. En brandissant la menace de quitter l'Union, le Royaume-Uni fait-il dĂ©sormais la loi ? Nous avons posĂ© la question Ă Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique Ă lâuniversitĂ© de la Sorbonne Nouvelle.
Francetv info : Le Royaume-Uni est-il en train d'imposer ses rĂšgles du jeu Ă l'Union europĂ©enne ?Â
Pauline Schnapper : Non, car il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit lĂ essentiellement d'une question de politique intĂ©rieure. Avec les propositions de David Cameron, nous sommes trĂšs loin d'une modification radicale du mode de fonctionnement des institutions europĂ©ennes. Ce n'est pas le Royaume-Uni qui impose quoi que ce soit Ă l'UE, mais plutĂŽt l'UE qui accepte de jouer le jeu, en prĂ©tendant faire des concessions aux Britanniques, afin d'aider le Premier ministre à convaincre les Ă©lecteurs de voter en faveur du maintien de son pays dans l'Union. Il ne faut pas se laisser abuser par le discours de David Cameron et des EuropĂ©ens : tous ont intĂ©rĂȘt Ă faire semblant qu'il s'agit lĂ d'une nĂ©gociation cruciale, quitte Ă surjouer un peu.
Si, effectivement, certains points de ces négociations sont sensibles et font réellement débat [notamment avec les pays de l'Est], globalement, tout le monde est décidé à trouver un compromis, car personne ne veut d'un "Brexit". Au sein de l'UE, tous les chefs d'Etat et de gouvernement connaissent chez eux, à divers degrés, les contraintes auxquelles David Cameron est confronté. Alors tout le monde fait un petit effort pour l'aider à gagner son référendum.
Il propose pourtant des rĂ©formes qui remettent en cause des fondements de l'UE, comme la libertĂ© de circulation, lorsqu'il demande de limiter certains droits sociaux pour les immigrĂ©s europĂ©ens sur le sol britanniqueâŠÂ
Sur cette question, il a tout de mĂȘme mis beaucoup d'eau dans son vin pour tenter de dĂ©crocher un accord. Il y a trois ans, il assurait qu'il allait fermer les frontiĂšres aux migrants europĂ©ens tout en restant dans l'UE, ce qui Ă©tait tout simplement impossible en vertu des rĂšgles de libre-circulation.
DĂ©sormais, il obtiendrait un "frein d'urgence", sous contrĂŽle du Conseil europĂ©en, dans le cas oĂč les services publics britanniques seraient sous tension en raison d'un afflux d'immigrĂ©s, ce qu'il ferait immĂ©diatement. C'est un changement qui n'est pas nĂ©gligeable, mais loin de ce qu'exigent les eurosceptiques, Ă savoir un contrĂŽle pur et simple des frontiĂšres.
David Cameron Ă©voque toutefois son dĂ©sir de rĂ©former l'UE, menaçant mĂȘme d'Ćuvrer pour un "Brexit" s'il n'obtient pas gain de causeâŠÂ
Le rapport de force se joue Ă l'intĂ©rieur du pays plutĂŽt qu'Ă Bruxelles. Le problĂšme de David Cameron, c'est que son camp, le parti conservateur au pouvoir, est devenu extrĂȘmement anti-europĂ©en ces derniĂšres annĂ©es, sans oublier la percĂ©e des europhobes de l'Ukip. Le rejet de l'UE est dĂ©sormais plus idĂ©ologique que pragmatique. Or, bien que David Cameron ait toujours Ă©tĂ© trĂšs critique envers l'UE, il n'a jamais souhaitĂ© en sortir.
Les crises économiques depuis 2008 et, plus récemment, la question des réfugiés ont eu un impact énorme sur l'opinion publique britannique. Si la crise des réfugiés n'a pas directement de rapport avec l'existence ou non de l'UE, elle montre que celle-ci n'est pas capable de gérer ce dossier.
En proposant ces rĂ©formes, Cameron tente donc de dĂ©montrer qu'il n'est pas seulement en train de faire plaisir Ă ses eurosceptiques, mais bien de soumettre la rĂ©forme dont l'UE a besoin. Il est parti d'un problĂšme de politique intĂ©rieure et a essayĂ© d'en faire quelque chose de plus intĂ©ressant et utile pour tout le monde. Sauf que le tout reste extrĂȘmement modeste.Â
L'issue des nĂ©gociations entre l'UE et le Royaume-Uni peut-elle vraiment peser dans le rĂ©fĂ©rendum ?Â
Ce qui est problĂ©matique et incertain, c'est le rĂ©fĂ©rendum, pas la nĂ©gociation en elle-mĂȘme. Personnellement, je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle aboutira. Il va y avoir un accord. Le problĂšme sera de le "vendre" aux Britanniques afin d'avoir la majoritĂ©Â lors du rĂ©fĂ©rendum. David Cameron va-t-il arriver Ă faire passer son message ? Va-t-il convaincre les indĂ©cis que cette nĂ©gociation constitue un changement suffisant pour justifier de rester dans l'Union europĂ©enne ? Tout reste Ă Ă©crire.Â
Commentaires
Connectez-vous Ă votre compte franceinfo pour participer Ă la conversation.