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Syrie : des commandos rebelles entraînés par la CIA sont-ils en action ?

Un article du "Figaro" assure que les Etats-Unis entraînent en secret, en Jordanie, des rebelles anti-Assad. Mais la journaliste qui l'a écrit estime, elle-même, que son article a été "surinterprété". Décryptage.

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des combattants rebelles à Alep (Syrie), le 22 août 2013. (SALIH MAHMUD LEYLA / ANADOLU AGENCY)

"Syrie : l’opération anti-Assad a commencé." Jeudi 22 août, ce titre du Figaro a fait l’effet d’un électrochoc. Et les médias de reprendre à l’unisson l’explication que chacun recherchait : on savait enfin pourquoi le régime syrien avait massivement utilisé des armes chimiques au moment même où une équipe de l’ONU est sur place pour enquêter sur l’emploi des gaz neurotoxiques.

La réponse tient en une phrase lâchée sur les antennes : "Des commandos israéliens, jordaniens et des hommes de la CIA seraient à la manœuvre dans le sud du pays." Hormis l’importance du scoop, le conditionnel de cette annonce attire les questions. D’où vient l’information ? Est-il possible d’en remonter le fil ? Contactée par francetv info, l’auteure de l’article confie sa surprise. "Je suis effarée par la surinterprétation médiatique de mon papier, déplore Isabelle Lasserre. A aucun moment je n’ai voulu dire que Bachar était sur le point de tomber. Le titre donne un faux éclairage à l'article que j’ai écrit. Je ne retire rien de son contenu. C'est l'emballement médiatique qui me prête des choses que je n'affirme pas. D'ailleurs, je ne suis pas sur le terrain, je ne suis pas une spécialiste de la région, j’ai une compétence en matière militaire et je parle d’éléments déjà connus, dont les informations sur l’existence de camps d’entraînement en Jordanie."

Pourquoi Bachar commet-il un acte aussi irrationnel ?

Cité dans ce même article, le chercheur David Rigoulet-Roze, de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas), fait lui aussi assaut de prudence pour francetv info. "Pour ma part, je n’ai fait que rapprocher les éléments d’un puzzle, confie-t-il. La formation de contingents sélectionnés de l’ASL [Armée syrienne libre] a été révélée dès mars-avril 2013 par la presse, américaine entre autres. Cela permet aux occidentaux d’éviter les épineuses questions de l’engagement islamiste dans ce conflit, et surtout celle de l’envoi d’armes à des personnes potentiellement dangereuses. J’ai moi-même précisé que l’information de poussées fortes sur le terrain restait à confirmer. En fait, en tant qu’expert, j’ai voulu tenter de répondre à la question : pourquoi Bachar commettrait-il un acte aussi irrationnel ? Que peut-on penser avec ce que l’on peut savoir ? Mais à aucun moment, je n’ai parlé de commandos israéliens ou américains en tant que tel, là-bas, en Syrie."

Confusion, précipitation, le système médiatique est-il pris en défaut ? Le spécialiste du Moyen-Orient Jean-Pierre Filiu estime que le constat dressé dans l'article du Figaro peut s'expliquer. "Toutes ces rumeurs, infos, contre-infos, ont des origines précises, assure-t-il à francetv info. Il faut savoir que Bachar Al-Assad a rendu impossible l’exercice du métier d’informer depuis qu’il est au pouvoir. Il tient cela de famille. Rompu aux techniques soviétiques, Hafez Al-Assad [le père de Bachar, président de la Syrie de 1970 à 2000] a toujours pratiqué l’art de la désinformation. Les meurtres, les enlèvements d’opposants visaient à ce que rien ne sorte du pays. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer tout ce qui se dit et s’écrit. De plus, le souverain jordanien [Abdallah II], pour sa part, est toujours soucieux de faire savoir qu’il peut servir de plateforme efficace si quelque chose doit être mis en place. Enfin, les services secrets sont tout heureux, via ce type de fuites, de laisser entendre qu’ils sont en action, alors qu’ils ne font rien. Je crois, hélas, qu’après les bombardements de Damas, Bachar Al-Assad ira porter la mort chimique dans d’autres endroits du pays et avec la même violence."

C’était au XIXe siècle, un auteur britannique écrivit beaucoup pour la jeunesse, dont un livre resté célèbre : Le Livre de la jungle. On connaît moins Rudyard Kipling pour une citation toujours salutaire par les temps qui courent : "La première victime d’une guerre, c’est la vérité."

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