Syrie : dans Alep assiégée, l'avenir de la rébellion en péril
A Alep, la rébellion syrienne est acculée par les forces loyalistes de Bachar Al-Assad, qui voient leur salut dans des groupes radicaux.
Voilà déjà quatre ans qu'Alep est en guerre. Jamais pourtant la situation n'a semblé aussi critique pour les rebelles syriens. Le 17 juillet, les forces loyalistes de Bachar Al-Assad les ont totalement encerclés : elles ont coupé la dernière route qui mène vers leurs quartiers. Asphyxiée, l'opposition modérée joue désormais sa survie. Quant aux 250 000 habitants piégés, leur vie est un véritable calvaire : menacés par les bombes syriennes et russes, ils sont maintenant affamés par le siège.
La ville assiégée, la rébellion menacée
Ancien poumon économique de la Syrie, Alep est divisée depuis 2012 entre zones rebelles à l'est, et quartiers loyalistes à l'ouest. La ville est devenue un bastion de l'opposition modérée et le fief de l'ASL, l'Armée syrienne libre. Aujourd'hui, les quartiers rebelles sont tenus par des groupes locaux, dont certains sont soutenus par les Etats-Unis.
Offensives et contre-offensives ont rythmé la ville depuis le début de la guerre. Mais depuis septembre 2015, l'intervention russe a changé la donne. Les bombardiers frappent les zones rebelles. Et le régime reprend de vastes zones, comme l'illustre ce gif animé – repéré par Vox – qui montre l'évolution sur la seule période de janvier à février 2016 (les zones vertes sont tenues par les rebelles, les claires par le régime, les jaunes par les Kurdes, les noires par l'Etat islamique).
Le 17 juillet 2016, les forces loyalistes, appuyées par des milices chiites, bouclent complètement les quartiers rebelles. Elles prennent le cordon ombilical de la rébellion, la route du Castello. Cette voie au nord-ouest était le dernier axe que pouvaient emprunter les hommes et les marchandises pour entrer ou sortir des quartiers rebelles. Elle permettait notamment de rejoindre la Turquie voisine.
Voici le zoom sur Alep publié par un think tank qui montre cet encerclement.
Jaish al-Fateh (Nusra,Ahrar& Ajnad etc.) announce #Aleppo offensive break siege from south. pic.twitter.com/u6Kq3VnhjT
— Military Advisor (@miladvisor) 31 juillet 2016
Première ville de Syrie avant la guerre civile, avec plus de deux millions d'habitants, Alep est depuis des années l'un des principaux enjeux du conflit. Perdre la ville serait un coup dur, dont la rébellion, déjà supplantée par les groupes jihadistes, pourrait ne pas se remettre.
Le calvaire des habitants d'Alep
Le 9 juillet, l'Ocha, le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, alertait sur les combats qui menacent la vie des civils et affament les populations.
Fighting in east #Aleppo #Syria putting an est. 300,000 civilians at risk of death & injury & cutting access to aid https://t.co/LC4snrMY4E
— OCHA Syria (@OCHA_Syria) 9 juillet 2016
Alep est sur le point d'être totalement encerclée, et les habitants des quartiers rebelles ressentent déjà les effets du siège : pénuries, flambée des prix, fermeture des boulangeries faute de farine et de mazout.
Un photographe travaillant pour l'AFP, Karam Almasri, partage des photos des longues files qui se forment en ville pour obtenir du pain.
Dans un article du Monde, le président du Conseil local, qui gère les quartiers orientaux, décrit une "situation (…) très difficile. (…) Il n'y a déjà presque plus de légumes sur les marchés. Le prix du riz et du sucre a été multiplié par trois en une semaine. Nous sommes au bord d’une catastrophe humanitaire". Selon Le Monde, le blocus devenu total, "chaque nuit, quelques camions de fruits et légumes parviennent à se faufiler en ville. Ils profitent de l’obscurité pour échapper aux tirs des milices prorégime postées en surplomb de la route du Castello. Mais leur cargaison ne suffit pas (…). Les étals se vident et les prix s’envolent"
Ce n'est pas tout. Les bombes continuent de s'abattre sur la ville, comme en témoigne ce sujet d'Itv.
Les victimes des bombardements sont secourues, au péril de leur vie, par les "casques blancs", une organisation de la société civile composée de volontaires. Ils témoignent sur Twitter des destructions.
Aleppo: Al Zahraa hospital, Albayan hospital, and Al Daqqaq hospital were targeted yesterday and now out of service. pic.twitter.com/tQbLR2oIME
— The White Helmets (@SyriaCivilDef) 24 juillet 2016
22 civilians killed in aerial bombardment of Aleppo today. pic.twitter.com/f0n68JJZez
— The White Helmets (@SyriaCivilDef) 16 juillet 2016
Les hôpitaux sont cachés, souvent sous terre, pour résister aux bombardements. Néanmoins, le 20 juillet, l'Ocha estime que les deux tiers de la population ne peuvent avoir accès à des soins.
66% of ppl can't get health care in #Aleppo #Syria. See how a mobile hospital is a solution https://t.co/UepLpUiMZw pic.twitter.com/LQ2oFVmcOC
— OCHA Syria (@OCHA_Syria) 20 juillet 2016
Il ne reste que 30 médecins à Alep et cinq hôpitaux en état de fonctionner, écrit Arte. L'UOSSM-France (Organisation de secours et de soins médicaux), une ONG fondée en 2011 pour venir en aide aux populations syriennes, lance une campagne pour sensibiliser sur les conditions dans lesquelles ces derniers travaillent.
Et maintenant ?
Pour tenter d'empêcher les bombardements, les habitants d'Alep brûlent des pneus, tweete une journaliste syrienne. Ils créent artisanalement leur propre "zone d'exclusion aérienne", comme le réclament depuis des années des ONG, en plus de la possibilité de larguer de l'aide humanitaire.
#Aleppo sky now covered n dark smoke as civilians r burning wheels 2 apply a hand made NoFlyZone V @MahmoudRashwani pic.twitter.com/BTuA6D4UjR
— Zaina Erhaim (@ZainaErhaim) 31 juillet 2016
#Aleppo landscape today trying 2 blind #Russia & #Assad airforce. Vid filmed by @MahmoudRashwani #Syria pic.twitter.com/tU9dcZZeRJ
— Zaina Erhaim (@ZainaErhaim) 31 juillet 2016
Moscou et Damas ont annoncé l'ouverture de "couloirs humanitaires". Ils doivent permettre aux civils et aux rebelles prêts à déposer les armes de quitter la ville. Des médias du régime syrien affirment que des dizaines de familles assiégées sont déjà sorties par un de ces couloirs. Ils ont même diffusé des images, explique France 24. Mais les rebelles dénoncent des mensonges. "Ces corridors ne sont pas pour apporter de l'aide, mais pour faire sortir les gens, pointe Bassma Kodmani, membre de la Coalition de l’opposition en exil auprès de la BBC. Le message brutal envoyé aux nôtres, c'est : partez ou mourez de faim".
Abandonnée par les Occidentaux, bombardée par les loyalistes et les Russes, et même trahie par les Kurdes (selon le chercheur Fabrice Balanche), la rébellion pourrait voir son salut dans les groupes jihadistes. Le Front Al-Nosra a annoncé qu'il rompait avec Al-Qaïda pour se renommer Front Fatah Al-Cham (Front de la conquête du Levant). Premier objectif : échapper à l'étiquette Al-Qaïda. Al-Nosra chercherait à se protéger d'une éventuelle campagne russo-américaine, après un accord entre les chefs des diplomaties contre Al-Nosra et l'EI. Devenus plus "fréquentables", les groupes rebelles sont aussi tentés de pactiser avec eux.
Selon Le Monde, vendredi 22 juillet, "à la sortie des mosquées d’Alep-est, des fidèles se sont rassemblés pour clamer leur détresse. (…) Terrorisés à l’idée de subir le même sort que les autres villes assiégées de Syrie, comme Homs, qui a agonisé plus de deux ans avant de se rendre, les manifestants ont appelé à l’aide celle qu’ils considèrent comme leur dernier espoir : Jaysh Al-Fatah (l’Armée de la conquête), une coalition de groupes radicaux, stationnés à quelques kilomètres au sud d’Alep, incluant le Front Al-Nosra et les salafistes d’Ahrar Al-Cham". Le journal précise que l'un des principaux commandants rebelles a aussi appelé cette coalition radicale à la rescousse, même si certains groupes redoutent encore de voir les jihadistes entrer dans la ville.
En attendant, les combattants rebelles ont lancé dimanche une offensive pour tenter de percer le siège. Au même moment, des groupes islamistes, les salafistes d'Ahrar Al-Cham et des jihadistes, notamment ceux de l'ex-Front Al-Nosra, ont annoncé qu'ils lançaient une bataille pour tenter d'ouvrir une nouvelle route d'approvisionnement au sud de la ville. La bataille d'Alep n'est pas terminée.
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