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Pourquoi des groupes jihadistes font allégeance à l'Etat islamique

L'enlèvement d'un Français opéré par un groupe algérien se revendiquant de l'EI montre le pouvoir d'attirance de l'organisation.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des combattants de l'Etat islamique paradant dans les rues de Raqa (Syrie), le 30 juin 2014. (WELAYAT RAQA / AFP)

Ils sont passés de la parole aux actes. En enlevant un randonneur français, dimanche 21 septembre, les membres du groupe algérien Jund Al-Khilafa ("Les soldats du califat") ont concrétisé le serment d'allégeance qu'ils ont prononcé en faveur de l'Etat islamique quelques jours plus tôt. Une affiliation qui pose des questions sur le pouvoir d'attirance de l'Etat islamique, une organisation qui semble inspirer de plus en plus de groupes de la galaxie jihadiste. Francetv info se penche sur ce qui les pousse à se réclamer d'un groupe qui s'est installé dans le fauteuil d'Al-Qaïda.

Parce que l'EI offre une visibilité médiatique

Depuis la prise de Mossoul (Irak) en juillet, plus un jour ne passe sans que la menace représentée par l'Etat islamique ne mobilise les médias du monde entier. Un pouvoir médiatique qui intéresse des groupes en recherche de légitimité. Selon Imad Mesdoua, analyste politique et spécialiste du Maghreb, c'est peut-être la quête de publicité qui a poussé Jund Al-Khilafa à prendre Hervé Gourdel en otage. "Personne, y compris en Algérie, ne connaissait ce groupe. En s'attaquant à un Français, ils ont touché le jackpot sur ce plan : ils se sont fait un nom, se sont attaqués à une cible prioritaire de l'EI. En s'alliant à l'Etat islamique, ils ont pu établir leur image en Afrique du Nord."

Parce que l'EI est en compétition avec Al-Qaïda

Derrière cette quête d'image des "soldats du califat" se cacherait une querelle interne au jihadisme algérien. Jusqu'à récemment, leur leader, Abdelmalek Gouri, alias Khaled Abou Souleimane, était un lieutenant d'Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique. Mais il a décidé de s'affranchir du groupe dirigé par Abdelmalek Droukdel, le chef d'Aqmi. "Souleimane, ancien du GIA et du GSPC, jugeait que la ligne d'Aqmi n'était pas assez dure, explique Imad Mesdoua. Il se reconnaissait davantage dans la vision de l'Etat islamique."

Selon Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement, interrogé par  francetv info, le même phénomène s'est reproduit chez des groupes jihadistes au Yémen, en Syrie, en Jordanie, au Liban ou dans la région du Sinaï (Egypte). "En quittant Al-Qaïda pour l'Etat islamique, ils ont suivi l'odeur de victoire. Car Al-Qaïda n'a jamais rien gagné. Ils ont commis beaucoup d'attentats, mais jamais conquis de territoire, contrairement à l'EI qui administre aujourd'hui une immense zone en Irak et en Syrie. Al-Zawahiri [le successeur de Ben Laden à la tête d'Al-Qaïda] a une image de 'planqué' affaibli. Al-Baghdadi [le chef de l'EI] a au contraire une image de combattant victorieux."

Ces nouvelles allégeances promises à l'Etat islamique seraient donc liées à une lutte interne au jihadisme, qui est également source d'inquiétude : "Cette course en avant pour regagner de la crédibilité peut avoir de graves conséquences. On l'a vu le 6 septembre au Pakistan, où Aqis, la nouvelle branche d'Al-Qaïda dans le sous-continent indien, a mené une action contre une frégate de l'armée, tuant un général pakistanais."

Parce que l'EI est supposé avoir de l'argent

Les images de combattants de l'EI conduisant des blindés dans les rues de Mossoul, armés de M16 américains flambant neufs, ont fait le tour du monde. Depuis, l'Etat islamique est fréquemment présenté comme le groupe terroriste le plus riche du monde, grâce au pillage des banques irakiennes et à l'argent du pétrole de contrebande. Une manne qui permettrait de recruter plus facilement des hommes. "L'EI paye bien, entre 300 et 400 dollars [par mois], explique à francetv info Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller pour le Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales. C'est bien plus que les autres groupes salafistes et bien plus que le salaire moyen d'un Syrien ou d'un Irakien."

Mais le calcul des jihadistes attirés par l'argent n'est peut-être pas le bon, selon Alain Rodier : "Il ne faut pas exagérer la richesse de l'EI. Aujourd'hui, Al-Baghdadi doit d'abord stabiliser son 'Etat'. Comme il n'a plus les moyens de l'étendre, il ne gagne rien en retour. Je ne pense pas qu'ils soient en excédent budgétaire. Pas sûr qu'ils aillent verser de l'argent à des groupes étrangers à l'autre bout du monde."

Parce que l'EI a besoin de soutien

L'enlèvement d'Hervé Gourdel est intervenu au moment même où l'Etat islamique lançait un appel aux meurtres de Français. Un message entendu par Jund Al-Khilafa, qui a indiqué être prêt à "obéir" à Abou Bakr Al-Baghdadi. Mais, selon Alain Rodier, cette sollicitation des musulmans à travers le monde est un "aveu de faiblesse" : "Dans son message, l'EI avoue qu'il ne peut rien faire contre les avions américains et français. C'est un aveu de faiblesse jamais vu. Et en appelant les autres à agir à leur place, ils reconnaissent qu'ils n'ont pas la possibilité de le faire eux-mêmes."

Ce serait donc par manque de troupes que l'Etat islamique a lancé ce qui ressemble à une campagne de recrutement. "Ils ont un territoire à gérer et surtout à défendre, estime Alain Rodier. Ce n'est pas avec 30 000 hommes qu'ils tiendront la moitié de l'Irak et une grande partie de la Syrie."

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