Cet article date de plus de six ans.

Frappes sur des positions iraniennes en Syrie : "Les Israéliens se sentent pousser des ailes"

Selon Frédéric Pichon, professeur de géopolitique, spécialiste de la Syrie, invité jeudi sur franceinfo, la réponse "disproportionnée" d'Israël est "un message politique", "une manière de mettre la pression" sur Vladimir Poutine.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un soldat israélien positionné à la frontière syrienne le 9 mai 2018. (JALAA MAREY / AFP)

Paris, Berlin et Moscou appellent à la "désescalade" au Moyen-Orient alors qu'Israël a tiré plusieurs missiles sur des installations iraniennes en Syrie, faisant 23 morts selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Israël répondait à des tirs de roquettes iraniens sur des positions israéliennes dans une partie du Golan. La réponse "disproportionnée" d'Israël est "un message politique", "une manière de mettre la pression sur Vladimir Poutine", selon Frédéric Pichon, professeur de géopolitique, spécialiste de la Syrie, invité jeudi 10 mai sur franceinfo.

franceinfo : Que représentent ces installations iraniennes ?

Frédéric Pichon : Elles font partie de ce qu'on appelle parfois l'arc chiite, cette espèce d'autoroute iranienne qui court de Téhéran au Sud-Liban. Cela fait partie aussi des installations des contingents iraniens qui sont venus prêter main-forte au gouvernement de Damas dans sa lutte pour la reprise du pays. Il est évident que pour les Israéliens, la proximité de ces lignes, notamment au-dessus de la Syrie, est une menace. Il faut bien voir que le discours de Donald Trump avant-hier, lorsqu'il a décidé de sortir de l'accord sur le nucléaire iranien, c'est un discours qui reprenait mot par mot le narratif israélien sur l'Iran. Donc les Israéliens se sentent pousser des ailes et, comme à leur habitude, ils sont dans une stratégie préventive, de manière à rester sur ce tempo politique qui leur est très favorable. La première puissance militaire mondiale, les États-Unis, donne en quelque sorte un blanc-seing à Israël pour agir sur le territoire syrien et agir contre l'Iran.

À quel point est-ce grave ?

Si on regarde du point de vue militaire, il faut d'abord préciser que les roquettes se sont abattues sur le territoire syrien, ou plutôt sur le territoire syrien occupé par Israël depuis 1967. Face à ces roquettes, on a eu là, pour le coup, une riposte disproportionnée, bien entendue, mais ça fait partie de la stratégie israélienne qui a consisté à frapper des installations, avec des missiles, et non-pas des roquettes. Je crois qu'il s'agit d'un message politique. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un embrasement général, encore une fois toujours à replacer dans le contexte de l'annonce par Donald Trump de la sortie du nucléaire iranien. Cela dit, maintenant, ça va se régler politiquement ou diplomatiquement. Ce qui est intéressant aussi, ce qu'on n'a pas beaucoup noté, c'est que Benjamin Netanyahou hier était à Moscou pour l'anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Benjamin Netanyahu, ça fait plusieurs mois qu'il demande à Vladimir Poutine de faire en sorte que les Iraniens ne s'approchent pas trop, justement, de cette frontière du Golan occupé. C'est un petit peu une manière aussi de mettre la pression sur Vladimir Poutine me semble-t-il.

Quelle portée ont les appels à la désescalade ?

C'est toute la question parce que là, Israël est dans un tempo politique, une fenêtre d'opportunité où il se sent pousser des ailes et il profite de ce moment, car encore une fois je pense que le discours de Trump est très clairement le cadeau que fait la diplomatie américaine à Israël pour la poursuite de ses intérêts dans la région. Il me semble que c'est surtout un message adressé, d'abord à l'Iran bien entendu, mais surtout à tous ceux qui peuvent infléchir éventuellement sur le terrain la position iranienne. C'est un message surtout à la Russie, me semble-t-il. Que la France ait condamné, que la France appelle à la retenue, n'a pas beaucoup d'importance dans la mesure où nous n'avons pas vraiment de levier militaire sur place, et diplomatiquement, cela va être un petit peu difficile également après cette claque qu'a représenté la sortie des États-Unis de l'"Iran deal".

Est-ce que la situation va se calmer ?

Vous savez on est dans une région où le calme et le sang-froid des acteurs sont toujours quelque chose d'assez subtil et d'assez compliqué à annoncer. Mais il est évident que de toute façon vue la disproportion des forces on ne voit pas comment demain on pourrait avoir un affrontement généralisé, sauf à ce que les conservateurs iraniens parviennent à reprendre la main sur la politique de l'Iran, ce qui n'est pas encore le cas pour le moment. Hassan Rohani essaie encore de faire vivre cet accord, donc je pense que maintenant tout ça est une préparation d'artillerie si je puis dire pour de la négociation politique.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.