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Génocide arménien : les raisons de la brouille entre la France et la Turquie

L'Assemblée doit voter jeudi une proposition de loi condamnant la négation des génocides reconnus par la France, comme le génocide arménien. La Turquie a condamné le texte et menacé Paris de sanctions diplomatiques et commerciales.

Article rédigé par franceinfo
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Le président turc Abdullah Gül à Londres (Royaume-Uni), le 22 novembre 2011. (DAN KITWOOD / GETTY IMAGES)

Le torchon brûle entre la France et la Turquie. Objet du litige : la proposition de loi UMP visant à réprimer la négation des génocides que s'apprête à adopter, jeudi 22 décembre, l'Assemblée nationale, avec le soutien de la gauche.

Cette proposition prévoit un an de prison et une amende de 45 000 euros en cas de contestation d'un génocide reconnu par la France, comme le génocide arménien, reconnu depuis 2001. Le chef de l'Etat turc, Abdullah Gül, a exhorté mardi la France à abandonner une loi "inacceptable" et prévoit d'imposer une panoplie de sanctions diplomatiques et commerciales contre l'Hexagone si ce texte est voté. Mais à la veille de son adoption, la majorité tente d'en minimiser la portée, soulignant que son adoption définitive n'interviendra certainement pas avant la présidentielle.

• Pourquoi cette loi fait-elle polémique ?

Si la décision suscite tant la colère de la Turquie, c'est qu'elle estime que le génocide arménien est une conséquence de la Première Guerre mondiale, et non un acte volontaire orchestré par l'Empire ottoman, devenu République de Turquie en 1923.

A la fin du XIXe siècle, les Arméniens sont près de deux millions dans l'Empire ottoman. Voyant leurs droits bafoués, des groupes indépendantistes se forment. A la même époque, un groupe d'opposants au sultan forme le Comité Union et Progrès (ou Jeunes-Turcs). Ils parviennent à le renverser et prennent la tête de l'Empire en 1908. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, l'Empire ottoman combat aux côtés de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie et de l'Italie.

Le gouvernement Jeune-Turc, opposé à la création d'un Etat arménien, accuse alors les Arméniens de collaborer avec l'ennemi russe, et organise leur extermination. Des déportations massives et des exécutions sommaires ont lieu dès 1915. Les massacres font 1,5 million de morts entre 1915 et 1916, mais la Turquie, qui nie l'appellation de génocide, admet environ 500 000 victimes.

De nombreux Etats ont reconnu le génocide arménien depuis le premier, l'Urugay, le 20 avril 1965. Le Parlement européen l'a fait le 18 juin 1987.

Mais sa reconnaissance de la part du gouvernement turc implique des enjeux financiers importants, comme le versement d'une indemnisation, à l'instar de l'Allemagne après le génocide juif, voire la restitution de territoires à l'Arménie. De plus, la majorité des dirigeants turcs actuels sont issus des rangs des Jeunes-Turcs, qui ont fondé la République en 1923.

• Quelles sont les menaces de la Turquie  ?

Ces derniers jours, Ankara a menacé Paris d'un rappel de son ambassadeur, de l'expulsion de son homologue français en Turquie, et de "conséquences graves (et) irréparables" pour les relations bilatérales.

L'Etat a également dépêché en début de semaine à Paris deux missions, l'une d'industriels, l'autre de parlementaires, pour obtenir que le Parlement n'examine pas la proposition de loi. "Il n'est pas question pour nous d'accepter cette proposition de loi (…) qui dénie le droit de rejeter des accusations infondées et injustes contre notre pays et notre nation", a déclaré le président turc, indique Le Parisien.

Des sanctions diplomatiques et commerciales ont également été évoquées. Selon le Nouvel Obs, une source anonyme proche du gouvernement affirme que les entreprises françaises en Turquie "seront écartées des marchés publics, notamment dans le domaine des transports, de l'armement et du nucléaire", et que "la coopération culturelle, scientifique et technologique turco-française sera également gelée".

• Pourquoi la France est-elle déterminée ?

Face aux menaces d'Ankara, le ministère des Affaires étrangères a mis en garde la Turquie, en rappelant qu'elle était tenue par ses engagements internationaux. "Je rappelle que la Turquie est membre de l'Organisation mondiale du commerce, et qu'elle est liée à l'Union européenne par un accord d'union douanière. Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l'égard des entreprises de l'Union européenne", a déclaré lors d'un point-presse le porte-parole du ministère, Bernard Valero.

Malgré la colère de la Turquie, il semble que la proposition de loi sera bel et bien votée jeudi. "Nous allons voter le texte sur la négation des génocides même s'il pose problème et comporte des lacunes sérieuses", a affirmé Roland Muzeau, chef de file des députés communistes et du Parti de gauche, rapporte Le Parisien.

Axel Poniatowski, le président (UMP) de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée, a néanmoins indiqué à Libération qu'il s'abstiendrait lors du vote prévu jeudi, se disant "réservé sur les dégâts que cela pourrait engendrer dans les relations franco-turques". Car si Ankara le prend personnellement, ce texte "n'est pas une attaque contre la Turquie", assure Jean-Marc Ayrault. Il ne fait qu'encadrer le "respect de cette loi pour ceux qui ne la respecteraient pas". "C'est une proposition de loi qui vise à sanctionner la non-reconnaissance de tous les génocides quels qu'ils soient. Ce n'est pas uniquement le problème des Arméniens", ajoute Patrick Ollier, ministre des Relations avec le Parlement et qui représentera le gouvernement jeudi lors de l'examen du texte.

• La majorité tente de minimiser le différend

Mercredi, la porte-parole du gouvernement, Valérie Pécresse, a contesté qu'on puisse voir dans ce texte une "attaque contre la Turquie". "Le gouvernement y voit simplement la réaffirmation d'un principe universel qui est que chaque pays doit avoir le courage de faire son travail de mémoire et de regarder son histoire avec lucidité."

Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, qui n'est "pas favorable au texte", en a minimisé la portée, jugeant que son adoption définitive par le Parlement était peu probable d'ici la fin de la législature en 2012. En effet, le gouvernement n'ayant pas mis "l'urgence" sur ce texte, ce qui aurait limité chaque assemblée à une seule lecture, le vote définitif ne pourrait pas intervenir d'ici à la fin février, date à laquelle le Parlement interrompt ses travaux, en raison de la campagne présidentielle.

 

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