"Ni le gouvernement israélien, ni le Hamas n'ont intérêt à un véritable emballement"
Israël a lancé des frappes aériennes meurtrières en début de semaine. Pour comprendre l'opération en cours, francetv info a interrogé le géopolitologue Frédéric Encel.
L'escalade de violences continue au Proche-Orient. Dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 juillet, Israël a mené 300 raids sur la bande de Gaza. Depuis le début de l'opération "Bordure de protection", au moins 64 Palestiniens ont été tués, selon les services d'urgence gazaouis. Dans le même temps, le Hamas multiplie les tirs de roquette vers Israël.
Les choses s'accélèrent aussi sur le plan diplomatique. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a menacé mercredi "d'intensifier les attaques contre le Hamas". De son côté, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a accusé Israël de commettre un "génocide" dans la bande de Gaza. Pour comprendre ce nouvel engrenage de violence, francetv info a interrogé le géopolitologue Frédéric Encel, professeur à l'ESG Management School ainsi qu'à Sciences Po Paris, et auteur d'un Atlas géopolitique d'Israël (Autrement, 2012).
Francetv info : Les événements des derniers jours représentent-ils un basculement du conflit ?
Frédéric Encel : Je ne le crois pas. On reste dans l'escalade militaire et rhétorique, qui correspond à la montée en puissance de toute crise. Ni le gouvernement israélien, ni le Hamas n'ont intérêt à un véritable emballement, pour ne pas rompre les équilibres fragiles. Israël bénéficie d'une vraie mansuétude des Occidentaux sur le plan diplomatique depuis les printemps arabes. Quant au Hamas, il reste isolé sur la scène internationale, et il ne va pas prendre le risque de remettre en cause l'accord signé avec le président palestinien, Mahmoud Abbas.
Je pense donc que, comme en 2012, lors de l'opération "Pilier de défense", une solution diplomatique permettra d'obtenir un cessez-le-feu. Nous sommes dans une configuration différente de celles des deux Intifada de 1987 et 2000. Les progrès obtenus par l'Autorité palestinienne placent la population dans une désespérance économique et sociale moins importante. En revanche, de fortes tensions demeurent en raison de l'échec du processus de paix. Il faut donc vite réinjecter du politique entre Israéliens et Palestiniens.
Vous ne croyez donc pas à l'hypothèse d'une intervention terrestre à Gaza, comme l'a laissé entendre le gouvernement israélien ?
Non, je n'y crois pas malgré les déclarations d'intention du gouvernement de Nétanyahou. Je pense que pour Israël, la démonstration de force suffit. L'enjeu politique, c'est la crédibilité. Il s'agit de montrer sa détermination à ses ennemis. Par exemple, en 2012, Israël avait amené 40 000 réservistes à la frontière, avant de les renvoyer chez eux.
Je ne crois donc pas à une intervention terrestre, sauf à voir le Hamas frapper délibérément le cœur de Tel-Aviv ou de Jérusalem-Ouest. Pour cette dernière, ils ne prendront pas le risque de faire des victimes arabes ou de toucher l'esplanade des Mosquées. Pour le reste, ils ont montré leur capacité technique, mais je pense que pour l'instant, ils visent à côté, à l'image des deux missiles qui ont atterri hier au nord de Tel-Aviv. Comme Israël, il s'agit d'une démonstration de force.
Quelles peuvent être les conséquences diplomatiques de cette nouvelle escalade militaire ?
Dans l'hypothèse d'une guerre au sol entre Israël et le Hamas, le gouvernement israélien y perdrait sûrement politiquement. Mais en même temps, la peur des Occidentaux concernant la menace islamiste pourrait diminuer l'ampleur des réactions occidentales.
De son côté, le Hamas joue la carte de la tension, tout en évitant le chaos. La tension lui permet d'exister et de se montrer comme le principal combattant du front du refus à Israël. Cela représente un gain politique dans la population palestinienne. Le chaos, en revanche, lui coûterait cher, avec des pertes civiles, des destructions matérielles et surtout l'effondrement des tunnels de ravitaillement.
Le risque porte en fait sur les relations israélo-palestiniennes. A chaque coup de boutoir, Mahmoud Abbas s'affaiblit politiquement, et c'est une mauvaise nouvelle. De leur côté, les Etats-Unis sont en train de montrer leur faiblesse diplomatique en devenant inaudibles sur ce dossier.
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