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Israël-Palestine : une reprise du dialogue pleine d’incertitudes

Israéliens et Palestiniens entament, lundi 29 juillet, une période d'au moins neuf mois de négociations en vue d’un accord de paix. Pour éviter un nouvel échec, les deux parties vont devoir s'entendre sur certaines questions épineuses.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La ministre de la Justice israélienne, Tzipi Livni, et le négociateur palestinien Saeb Erakat (D), attablés face au secrétaire d'Etat américain, John Kerry, le 29 juillet 2013 à Washington. (PAUL J. RICHARDS / AFP)

Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a réussi à renouer le dialogue. Lundi 29 et mardi 30 juillet, Israéliens et Palestiniens s'assoient une nouvelle fois autour de la table, à Washington (Etats-Unis), pour reprendre des négociations directes en vue d’un accord de paix. Interrompue depuis septembre 2010, la reprise a été rendue possible avec la décision du cabinet israélien, dimanche, de libérer 104 prisonniers palestiniens.

Malgré ce geste, les accords de paix semblent encore loin. Avec l’aide de Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po Paris et professeur à l’ESG Management School, et Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et senior advisor à l'Institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe, francetv info fait le point sur six problématiques auxquelles seront confrontées les deux parties.

1Deux pays, mais avec quelles frontières ?

Benyamin Netanyahu a déjà accepté depuis 2009 le principe d'un Etat palestinien démilitarisé, rappelle Le Figaro. En revanche, le Premier ministre israélien a rejeté la demande de l’Autorité palestinienne de négocier sur la base des frontières d’avant juin 1967 (voir la carte de La documentation française). Concernant un nouveau dessin des frontières, Sébastien Boussois n’envisage pas "d'échanges massifs de territoire", évoquant plutôt "des modifications mineures sur leurs frontières". Avec ses multiples colonies israéliennes, le territoire palestinien ressemble "à un gruyère", commente le spécialiste du Proche-Orient.

Frédéric Encel se veut plus optimiste sur cette question, qu’il considère moins difficile qu’il n’y paraît : "Ça a déjà été négocié à Camp David en 2000 et à Annapolis en 2007. On était presque arrivés à un accord sur un échange de territoires équivalents en surface." Concrètement, Israël investissait environ 10% des territoires palestiniens correspondant à ses principales zones d’implantation, en échange de la même proportion de son territoire.

2Quel avenir pour les colonies israéliennes ?

Le pouvoir israélien a refusé le gel de la construction de logements dans les colonies israéliennes, qui a repris avec vigueur en novembre 2012 quand la Palestine a obtenu le statut d'observateur à l'ONU, relève 20 minutes. Sébastien Boussois considère qu'Israël "n'est pas prêt à négocier la moindre parcelle de territoire, car il voit dans le maintien des implantations un élément vital, une condition de survie". Pour le chercheur, l’image des colons de Gaza évacués de force en 2005 (vidéo de l'INA) reste ancrée dans l'imaginaire des Israéliens, d'autant plus que les compensations financières promises sont toujours attendues.

Frédéric Encel reconnaît que "les Israéliens ont été échaudés par les deux dernières évacuations" et qu'un retrait reste inenvisageable à court terme. En revanche, il juge le démantèlement inévitable sur le long terme, "sinon aucun accord n'est possible". S'appuyant sur le passé, il se dit "très optimiste" sur la question : "En 1982 [évacuation du Sinaï après les accords de Camp David en 1978] puis en 2005, deux gouvernements conservateurs ont procédé à des évacuations. Ils peuvent donc recommencer."

3Quid du droit au retour ?

Le droit au retour des réfugiés palestiniens, contraints de quitter le territoire lors de la guerre israélo-arabe de 1948, revient systématiquement lors des négociations de paix. Pour Frédéric Encel, l’application du droit au retour est à dissocier de la revendication. Une des solutions serait qu'Israël reconnaisse "une part de responsabilité morale, apporte des compensations financières et accepte le retour de quelques milliers de personnes".

Peu de retours donc, rassureraient Israël tout en apportant une réparation symbolique aux Palestiniens. Ces derniers n'abandonneront jamais le droit au retour, car cela signifierait "soit qu'ils ont été lâches, soit qu’ils n’aimaient pas leur terre", affirme Frédéric Encel. Dans le même temps, les Israéliens ne reconnaîtront pas "avoir chassé des centaines de milliers de Palestiniens". Comme souvent, il faudra donc "trouver le plus petit dénominateur commun", ajoute le chercheur.

4Comment gérer les divisions politiques internes ?

L’acceptation, par Benyamin Netanyahu, de libérer 104 prisonniers, dont certains auraient tué des femmes et des enfants israéliens, a créé de vifs débats au sein de la coalition israélienne, raconte Le Figaro. Pour Sébastien Boussois, ces divisions s’expliquent par l’impact psychologique extrêmement fort pour la population israélienne : "On libère des assassins et des kamikazes en puissance, ça prend aux tripes, à l'ethos national." Pour Frédéric Encel, "c'est un risque politique pour Netanyahu ; même si la coalition est solide, il y a une fragilisation de l’opinion publique qui l’accepte mal".

De l'autre côté, cette libération pourrait renforcer l’Autorité palestinienne dans sa guerre à distance avec le Hamas. "Cela répond à une demande concrète. Jusque-là, le Hamas traitait Mahmoud Abbas [président de l’Autorité palestinienne] de lâche et de faible, justement parce qu’il ne parvenait pas à obtenir de libérations". En 2011, le mouvement islamiste avait lui récupéré plus de 1 000 détenus en échange du soldat Gilad Shalit.

5Jérusalem, une ville pour deux capitales ?

Pour Frédéric Encel, cette question s’annonce très épineuse. "En 1993, à Oslo, Jérusalem avait été délaissée et même si la question n’est plus un tabou depuis la proposition de partage d'Ehud Barak en 2000 [première fois qu'un leader israélien acceptait de partager Jérusalem], elle n’a jamais été négociée."

Le chercheur évoque la possibilité d’un partage fonctionnel. Les 250 000 Palestiniens de Jérusalem pourraient rejoindre le futur Etat palestinien, tout en continuant à bénéficier des prestations sociales de la ville. En échange, les Israéliens garderaient le contrôle du sol. "Aucun Israélien n’accepterait la présence d’une autre force qu'Israël à Jérusalem", assure Frédéric Encel. Il pense en revanche que l’Etat hébreu devrait pouvoir accepter que la Palestine se choisisse Jérusalem-Est comme capitale : "Une capitale pour les deux Etats, avec deux noms différents, c'est possible."

6L’économie, partie facile des négociations ?

"C’est sur les questions techniques qu’ils peuvent s’entendre le plus facilement, tout simplement car ce n’est pas identitaire", analyse Frédéric Encel. Pour Sébastien Boussois, si les négociations techniques (droits de douanes, problématique de l’eau) sont loin d’être abouties, il reste une certitude : "Le jour où la paix s'installera, le premier partenaire économique d’Israël devra devenir la Palestine, et vice versa. Cela permettra notamment à l’économie palestinienne de sortir de l’asphyxie." Frédéric Encel abonde et ajoute qu'un "vrai accord de paix permettrait à Israël de connaître un bond économique et commercial faramineux".

 

Plus largement, concernant les chances de succès de ces négociations qui débutent lundi à Washington, Frédéric Encel se dit pessimiste à court terme, mais optimiste à plus long terme. Il souligne "la vraie volonté des deux peuples à trouver un véritable accord pour deux Etats". Sébastien Boussois, lui, est moins enthousiaste et "reste persuadé que si la médiation américaine avait été efficace, elle aurait fonctionné depuis longtemps". Il fonde ses espoirs sur une médiation régionale, qui pourrait être menée par la Turquie dans les années à venir. Et considère surtout qu’Israël garde un intérêt à conserver le statu quo actuel.

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