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Israël : comment un jeune chauffeur français s'est retrouvé accusé de transporter des armes de la bande de Gaza

Un Nordiste de 24 ans se trouve en prison en Israël pour avoir convoyé des armes vers les Territoires palestiniens. Il travaillait pour le consulat français à Jérusalem depuis un an.

Article rédigé par Raphaël Godet, franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Français Romain Franck, le visage camouflé sous sa veste de prisonnier, au tribunal de Beer-Sheva (Israël), le 19 mars 2018. (JACK GUEZ / AFP)

Dans un échange de SMS avec franceinfo, cet ami décrit quelqu’un de "loyal", "de confiance". A nos confrères de France 3, un certain Mike parle d'une "arrestation improbable." Dans les colonnes de La Voix du Nord, un autre ami qui connaît Romain Franck depuis le collège ne "comprend rien à cette histoire." 

La dernière fois que je l’ai vu c’était à Noël. Il m’a dit qu’il avait signé un nouveau contrat comme chauffeur-livreur, qu’il avait rencontré quelqu’un.

un ami de Romain Franck

à La Voix du Nord

C'est pourtant ce même Romain Franck qui a été inculpé, lundi 19 mars, par la justice israélienne pour trafic d'armes. Les services de sécurité intérieur du pays (Shin Beth) accuse le jeune Français de 24 ans, qui travaillait comme chauffeur pour le consulat de France à Jérusalem, d'avoir profité des privilèges associés aux activités diplomatiques pour transporter des armes de la bande de Gaza vers la Cisjordanie pour le compte d'un réseau de trafiquants palestiniens.

Des pistolets et des fusils automatiques

D'heure en heure, le scénario s'éclaircit. Selon les premiers éléments de l'enquête, Romain Franck est accusé d'avoir reçu les armes d'un Palestinien employé au Centre culturel français à Gaza. Il aurait ensuite franchi le poste-frontière d'Erez, entre la bande de Gaza et Israël. Puis il aurait parcouru quelques dizaines de kilomètres à travers le territoire israélien jusqu'en Cisjordanie, autre territoire palestinien, sous occupation israélienne. Une fois arrivé, il aurait remis les armes à un individu qui les revendait à des trafiquants. Au total, environ 70 pistolets et deux fusils automatiques auraient été transférés au cours de cinq voyages de Gaza vers la Cisjordanie.

Le jeune homme a été arrêté le 19 février dernier au terminal frontalier d'Erez, alors qu'il sortait de la bande de Gaza. Sa mission auprès des autorités françaises lui donne droit à un passeport de service, et non à un passeport diplomatique. Ce qui signifie que Romain Franck ne bénéficie pas de l’immunité diplomatique. 

L'enquête fait clairement apparaître que l'employé du consulat français a agi pour l'argent, de son propre chef et à l'insu de ses supérieurs.

le Shin Beth

dans un communiqué

Romain Franck aurait avoué avoir convoyé à plusieurs reprises des armes, selon des sources israéliennes. Mais il nierait les avoir transportées pour le compte d'organisations terroristes, comme le Hamas. Une traductrice, qui a pu assister à son audience lundi 19 mars, explique à nos confrères de la chaîne de télévision israélienne I24 news que Romain Franck "se sent très bien", qu'"il a confiance", sans en dire davantage sur ses possibles aveux. En tout cas, il n'est fait aucune mention dans l'acte d'inculpation de relations avec une organisation terroriste. "Selon le dossier d’accusation, le Français aurait perçu la somme de 700 dollars (570 euros) à chacun des cinq convois qu’il aurait effectués", rapporte Libération.

Une mission de deux ans

Romain Franck a commencé à travailler au consulat général de Jérusalem il y a un peu plus d'un an. En janvier 2017 précisément. Originaire de Laventie (Pas-de-Calais), commune de 4 300 habitants située à une vingtaine de kilomètres de Lille, le jeune homme a été recruté comme "volontaire international" pour une mission de deux ans. Ce statut, géré directement par le ministère des Affaires étrangères, permet à de jeunes adultes de bénéficier d'une expérience professionnelle de terrain à l'étranger.

Le post Facebook de Romain Franck lors de son départ en Israël, le 16 janvier 2017. (CAPTURE D'ECRAN/FACEBOOK)

Contactée par franceinfo, sa mère "préfère ne faire aucun commentaire". Même silence du côté de la caserne de Laventie, où le jeune homme a été pompier volontaire : "Vu l'affaire, on ne dira rien", nous a-t-on dit, avant de raccrocher. C'est le célèbre avocat nordiste Franck Berton qui va défendre le jeune homme. "Ses parents ont déjà contacté mon cabinet", affirme-t-il à franceinfo, sans plus de détails.

"Cette histoire ne me surprend pas plus que ça"

Le consulat français de Jérusalem n'est pas une simple représentation nationale comme les autres. Il assure une mission diplomatique sensible auprès de l'Autorité palestinienne, embryon d'un Etat palestinien indépendant. Les locaux, situés à une vingtaine de minutes à pied du mur des Lamentations, emploie régulièrement de jeunes Français en mission.

Comme Lisa* qui y est restée pendant deux ans il y a plusieurs années. Si elle n'a, de fait, jamais croisé le jeune homme, elle connaît très bien le poste de chauffeur qu'occupait Romain Franck. "Son rôle, c’est notamment de transporter des diplomates, mais aussi d’autres personnels du consulat, des chargés de mission comme moi à l’époque, décrit la trentenaire à franceinfo. On demandait surtout pour du courrier. Il pouvait aussi faire sortir des tableaux pour des expositions, mais c'était plus rare."

La fonction est assez délicate, et on met ça entre les mains de quelqu’un qui n’a pas d’expérience, qui n’a pas de formation, et qui a juste eu un briefing de sécurité. Traverser la frontière de Gaza deux fois par semaine en moyenne, ce n’est pas rien.

Lisa*

à franceinfo

Au téléphone, Lisa* n'a pas l'air très étonnée. "Cette histoire ne me surprend pas plus que ça. Je pense que c’est assez facile de manipuler quelqu’un." Comment ? "Des gens peuvent tout à fait observer que chaque semaine telle personne passe la frontière. Donc quelqu’un d’un peu naïf ou de sentimental peut accéder, peut-être, à une demande particulière, sans vraiment savoir ce qu’il est en train de faire."

Elle se souvient avoir été reçue par le numéro deux du consulat (celui en charge de la sécurité des personnels) à son arrivée à Jérusalem. "Il nous a fait un briefing concernant les réflexes de sécurité, mais également les choses sur lesquelles il faut être prudent, notamment lors des déplacements, les choses à ne pas dire...", énumère l'ancienne agente consulaire.

L’idée, c'est de ne pas s’étendre. Il faut garder une réserve sur notre fonction, sur l'identité des employés du consulat, sur nos missions, sur nos réunions de travail... Si on nous pose des questions tendancieuses sur le terrain, il faut être alerte.

Lisa*

à franceinfo

Pendant ses vingt-quatre mois de mission, celle qui est depuis rentrée en France affirme n'avoir jamais subi de pression. "Les gardes-frontières israéliens sont très tatillons à Erez, même avec les voitures qui portent des plaques consulaires, explique-t-elle. S'ils ne sont pas autorisés à fouiller nos véhicules, ils font intervenir leurs chiens-renifleurs."

Chacun doit sortir du véhicule et montrer son passeport.

Lisa*

à franceinfo

Cette affaire met en tout cas dans l'embarras les autorités françaises. Surtout que ce n'est pas la première fois. En septembre 2013, un chauffeur du consulat avait été expulsé vers la France, après avoir transporté 152 kilos d'or entre la Jordanie et la Cisjordanie. Du tabac, des téléphones et plus de deux millions de dollars en chèques avaient également été retrouvés dans son véhicule consulaire. "Mais ce n'était pas aussi grave qu'aujourd'hui car cette fois, il s'agit d'armes, explique à Europe 1 Vincent Lemire, maître de conférences en histoire contemporaine, spécialiste d'Israël. Surtout, le risque est élevé pour que, sur ces 70 armes, il y en ait une qui ait servi par exemple à tuer un policier israélien."

Un sujet pris "très au sérieux"

L'affaire tombe (très) mal. Elle éclate quelques jours avant le déplacement dans la région du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, prévu les dimanche 25 et lundi 26 mars. Officiellement, les autorités des deux pays insistent sur leur coopération dans ce dossier. "Les relations avec la France sont excellentes et ne seront pas affectées par cette affaire", assure-t-on du côté israélien, sous couvert d'anonymat. Au Quai d'Orsay, on parle d'"une affaire individuelle" tout en affirmant prendre le sujet "très au sérieux." Une enquête administrative sur place a d'ailleurs été ordonnée pour tirer "toutes les conclusions."

Notre compatriote bénéficie pleinement de la protection consulaire et a pu être visité à plusieurs reprises par notre ambassade à Tel Aviv, y compris par notre ambassadrice elle-même.

le ministère des Affaires étrangères

dans un communiqué

Un juge de la ville de Beer-Sheva (sud d'Israël) a prolongé la détention du ressortissant français jusqu'au 28 mars. Ce jour-là, il connaîtra les modalités de son procès.

* Le prénom a été changé

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