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La Mecque : comment s'organise le pèlerinage ?

Un mouvement de foule a fait plus de 700 morts près du site de la lapidation de Satan, dans la ville sainte saoudienne, le 24 septembre. Cette année, le pèlerinage rassemble 2 millions de musulmans.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des pèlerins musulmans marchent vers le site de la lapidation de Satan, à La Mecque (Arabie saoudite), le 24 septembre 2015. (OZKAN BILGIN / ANADOLU AGENCY/AFP)

La fête religieuse est devenue une tragédie. Une gigantesque bousculade a fait  au moins 717 morts, jeudi 24 septembre, à Mina, près de La Mecque (Arabie saoudite), lors d'un rituel du hadj, le grand pèlerinage dans le premier lieu saint de l'islam.

Le roi Salmane Ben Abdelaziz Al-Saoud, qui a reçu en soirée les responsables du hadj, a dit attendre "au plus tôt" les résultats de l'enquête, ajoutant avoir ordonné "une révision des plans" d'organisation du pèlerinage pour que les fidèles "accomplissent leurs rituels en toute sécurité". Comment se déroule le pèlerinage  sur place ? Quels sont les risques encourus ? Les explications de francetv info.

Plus de 2 millions de pèlerins, répartis par quotas

Une fois par an, des millions de pèlerins convergent vers La Mecque, avec une demande qui va croissant. Au point que l'Arabie saoudite a fixé des quotas pour les étrangers, par nationalité, qu'elle a d'ailleurs réduit de 20% en 2013 en raison des travaux entrepris pour agrandir la grande mosquée de la ville sainte.

Le hadj (nom du pèlerinage à La Mecque), rassemble cette année environ 2 millions de pèlerins, selon des statistiques saoudiennes : 1,4 million de pèlerins sont venus de l'étranger et près de 600 000 de l'intérieur du royaume.

Un peu plus de 20 000 Français ont été autorisés à effectuer le pèlerinage en 2014. En France, le candidat au voyage doit passer par les agences agréées pour le pèlerinage, qui s'occuperont aussi des formalités d'entrée dans le royaume (et notamment le visa). Le séjour peut coûter jusqu'à 8 000 euros, selon le confort. Encore ne s'agit-il que du confort avant ou après le pèlerinage proprement dit puisqu'à Mina, il faut impérativement dormir sous une tente. En revanche, à La Mecque, certaines agences proposent des hôtels proches de la Kaaba, ce grand cube noir sacré autour duquel tournent les fidèles.

Sur place, ils dorment à Mina et sont répartis par continent

Le parcours des 2 millions de pèlerins autour des lieux saints est extrêmement codifié. Après La Mecque, tous dorment à Mina, dans une des 160 000 tentes installées par les autorités saoudiennes.

Dans Mina, les pèlerins sont répartis par zone selon les continents d'où ils viennent, explique Mustapha Khalissa, directeur de l'agence parisienne L'Autre voyage, spécialisée dans le hadj et joint à La Mecque par francetv info. "Nous, les Européens, sommes ensemble. Et il y a avec nous les Australiens et les Sud-Américains." C'est, précise-t-il, la zone la plus confortable, après celle des pays du Golfe. Chaque groupe, précise-t-il, se voit remettre un schéma spécial lui expliquant quels chemins suivre chaque jour autour des lieux saints.

Des marches qui peuvent être longues et éprouvantes par forte chaleur : il faisait plus de 45 °C jeudi lors de la catastrophe. C'est pourquoi les agences françaises spécialisées dans le pèlerinage prévoient souvent un médecin, d'autant plus utile que nombre de personnes âgées veulent accomplir, avant de mourir, le hadj, qui est un des piliers de l'islam.

 La marche autour des lieux saints 

"L’organisation du hadj est un cauchemar logistique. Le pèlerinage dure cinq jours. Les fidèles marchent des kilomètres pour accomplir une série de rituels", explique le journal suisse Le TempsLe même journal détaille l'emploi du temps : le premier jour, à La Mecque, les fidèles se purifient et font le tour de la Kaaba. Ils vont ensuite à Mina, à 5 km de là. Au petit matin du second jour, poursuit Le Temps, "une foule s’ébranle après la prière : le mont Arafat, distant de 20 kilomètres, est l’étape suivante, pour commémorer le discours d’adieu du prophète sur le lieu-même où il le fit. Le troisième jour, les pèlerins préparent la 'Fête du sacrifice' [l'Aïd-el-Kébir] en l’honneur du sacrifice d’Abraham. Au quatrième et cinquième jour, pour clore le pèlerinage, ils refusent les tentations diaboliques en la­pidant trois stèles représentant symboliquement Satan." C'est d'ailleurs lors de cette ultime étape que s'est déroulé le mouvement de foule qui a fait plus de 700 morts, jeudi 24 septembre.

Pour Mustapha Khalissa, pourtant, le chemin est extrêmement bien balisé : "Il y a des indications en plusieurs langues, dont l'arabe et l'anglais, systématiquement, explique-t-il. Des militaires et des policiers sont présents tout le long du parcours et contrôlent tout, et il y a des caméras. Ce n'est pas possible de se tromper." 

Un entrelac de rues fatal 

Le drame de jeudi s'est produit lors du rituel de la lapidation de Satan qui consiste, pour les pèlerins, à jeter des cailloux vers trois stèles, grande, moyenne et petite, représentant Satan. Selon un responsable du ministère de la Santé saoudien, un choc entre une marée humaine quittant l'une des stèles et une foule venant en sens inverse a provoqué la catastrophe. Elle a eu lieu sur une voie bitumée passant entre les milliers de tentes blanches dressées à Mina pour accueillir les pèlerins.

Le New York Times (en anglais) précise que la collision s'est produite au croisement des deux plus petites rues menant au lieu du rituel, à 500 mètres de là. Des milliers de pèlerins convergent vers le pont de Jamarat, situé au-dessus des stèles, via un entrelac de passages piétonniers. Ces passages sont censés canaliser une foule immense, mais ils ont peut-être contribué à empêcher tout échappatoire jeudi. Medhi Moussaïd, un spécialiste des mouvements de foule interrogés par L'Obs, estime "qu'au-delà de cinq individus par mètre carré, on dépasse un seuil critique et [que] les effets de cette concentration sont moins connus et plus difficiles à anticiper". Une journaliste d'Al Jazeera a posté une vidéo montrant comment les pèlerins se déplacent à cet endroit-là :

 Une sécurisation insuffisante du site ?

Le bilan est lourd pour ce mois de septembre : aux plus de 700 morts de la bousculade de jeudi 24 septembre s'ajoutent les 111 personnes décédées et les 400 blessées dans l'accident tragique de la grue, survenu le 11 septembre à La Mecque.

Pourtant, Ryad avait affirmé avoir pris le maximum de mesures nécessaires, dont la mobilisation de 100 000 policiers sur le lieu du pèlerinage. "La nouvelle tragédie est survenue malgré les importants travaux d’infrastructure réalisés ces dernières années par les autorités saoudiennes pour faciliter les mouvements des fidèles. Parmi les efforts engagés pour améliorer la sécurité à Jamarat, les trois piliers ont été agrandis et un large pont les contournant a été construit, afin de multiplier les points d’entrée et de sortie pour les pèlerins qui viennent accomplir le rite de lapidation", note Le Monde. 

Sur place, plusieurs pèlerins ont critiqué de façon virulente des mesures qu'ils ont jugé insuffisantes. "L’Arabie saoudite dépense beaucoup d’argent sur le hadj, mais l’organisation est défaillante", a déclaré à l'AFP Ahmed, un pèlerin égyptien, estimant que le flux des fidèles à Mina, une cité de tentes blanches, devrait être mieux géré. "Ils [les organisateurs] pourraient réserver une route aux fidèles qui partent et une autre à ceux qui rentrent" du rituel de lapidation.

"Il n’y avait pas de marge de manœuvre" sur le lieu de la bousculade, a déclaré Aminu Abubakar, un reporter de l’AFP faisant le pèlerinage et qui a survécu au drame car il était en tête de la procession. Selon lui, la foule était moins nombreuse et mieux contrôlée vendredi. France 2 a recueilli d'autres témoignages, dans la vidéo ci-dessous.

Selon Le Figaro, "pour le confort des pèlerins, les autorités saoudiennes consacrent des milliards d'euros dans les transports comme le métro et autres infrastructures afin de faciliter notamment les mouvements de la foule". Accepteront-elles de réduire le nombre de pèlerins tant que la sécurité ne sera pas mieux assurée ? Pas sûr : toujours selon Le Figaro, "si l'Etat saoudien investit autant dans des projets pharaoniques dans les villes du pèlerinage, c'est parce que celui de La Mecque et celui de la Omra, plus petit, rapportent une manne financière d'environ 37 milliards d'euros chaque année. Soit la deuxième ressource du royaume après le pétrole."

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