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Prix Nobel de médecine : "Svante Pääbo a inventé une machine à remonter le temps", s'enthousiasme un paléogénéticien

Le prix Nobel de médecine et de physiologie 2022 a été attribué, lundi 3 octobre, au Suédois Svante Pääbo. Le paléogénéticien "montre que Néandertal et nous avons échangé des gènes", souligne Ludovic Orlando.

Article rédigé par franceinfo
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Le paléogénéticien suédois Svante Pääbo a reçu le prix Nobel de médecine le 3 octobre 2022. (WALTRAUD GRUBITZSCH / DPA)

"Svante Pääbo et son équipe ont ni plus ni moins fait qu'inventer une machine à remonter le temps", estime lundi 3 octobre sur franceinfo Ludovic Orlando, paléogénéticien, directeur de recherche au CNRS, directeur du centre d'anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT). 

Le prix Nobel de médecine a couronné cette année le pionnier de la paléogénomique le Suédois Svante Pääbo pour le séquençage complet du génome de l'homme de Néandertal. Il est à l'origine de la fondation de cette discipline qui remonte à l'ADN du fond des âges pour éclairer les gènes humains d'aujourd'hui. "Même si les Néandertaliens ont disparu de la surface de la planète il y a environ 40 000 ans, une partie de leur patrimoine génétique continue à s'exprimer en nous aujourd'hui",  ajoute Ludovic Orlando.


franceinfo : Svante Pääbo, c'est le scientifique qui a fait émerger votre discipline qui l'a révolutionnée, qui est récompensé. Là, on débouche le champagne chez vous ?

Ludovic OrlandoCarrément. C'est celui qui a non seulement lancé la discipline, mais en plus, l'a révolutionnée d'année en année, et ce, depuis plus de trente ans maintenant. En effet, c'est une grande célébration aujourd'hui.

Ce qu'il découvre à la stupéfaction générale, c'est que nous sommes reliés aux Néandertaliens. C'est ça ?

Il démontre ça. En effet, on le savait déjà que Néandertal c'était pour ainsi dire notre espèce cousine, notre population la plus proche, d'une certaine manière. Mais ce qu'il montre, c'est véritablement que Néandertal et nous avons échangé des gènes, avons eu des enfants et des descendances fertiles ensemble et que finalement, même si les Néandertaliens ont disparu de la surface de la planète il y a environ 40 000 ans, une partie de leur patrimoine génétique continue à s'exprimer en nous aujourd'hui, 40 000 ans après. Et c'est ça qui est assez fabuleux dans ces découvertes qui nous montrent que le passé ne finit jamais tout à fait de disparaître et finalement a quelque chose à dire sur nos sociétés actuelles, y compris sur notre santé aujourd'hui. N'oublions pas que le prix Nobel ne lui est pas décerné au titre de la chimie mais au titre de la médecine.

On était loin de s'imaginer le résultat de ces découvertes quand il a commencé. Vous vous souvenez des réactions ou pas ?

On était tous déjà stupéfaits. Il faut se rendre compte de ça, de la gageure. Rendez-vous compte, séquencer le patrimoine génétique complet d'individus qui ne vivaient pas avant-hier ni même la semaine dernière, mais il y a 40 000 ans, donc ça veut dire que Svante Pääbo et son équipe ont ni plus ni moins fait qu'inventer une machine à remonter le temps. Véritablement, donc, la super action est grande quand on voyage dans le temps avec la génétique. Finalement sa découverte n'est pas vraiment surprenante au sens où certains des paléoanthropologues avaient déjà fait l'hypothèse que Néandertal et nous finalement on avait eu une descendance fertile. Mais il l'a démontré. Face aux hypothèses, la science a besoin de faits et de certitudes, de faits observables, il est l'un de ceux qui a répondu à cette question.

Et les recherches continuent aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il nous reste à découvrir ?

Il nous reste à découvrir l'essentiel de ce que nous ignorons, en particulier sur NéandertaI. Il a séquencé le premier génome des Néandertaliens en 2010, douze ans après, il n'y a guère que quelques poignées de génomes néandertaliens qui sont connus, qui ont été séquencés. Donc, évidemment, séquencer toujours plus d'hommes et de femmes de Néandertal, ça nous permettra de mieux connaître cette population au sens de son intimité génétique. Grâce à ça, on va pouvoir estimer combien ils étaient, combien d'entre eux se reproduisaient et comment ces populations se sont différenciées dans l'espace. Est-ce que les Néandertaliens qui vivaient en Europe de l'ouest étaient les mêmes que ceux vivant en Europe de l'est ou encore les mêmes que ceux qui vivaient en Asie centrale, par exemple ? Ça reste des questions qui sont toujours en suspens. Les travaux de Svante Pääbo ont permis d'amener au premier plan la génétique, sans jamais néanmoins oublier que la richesse est dans le dialogue avec les autres sous-disciplines de la paléoanthropologie.

Vous avez déjà déjà rencontré Svante Pääbo. Vous le connaissez ?

Alors, j'ai cette chance-là. Il a été l'un de ceux qui m'ont inspiré pour faire la carrière que je mène aujourd'hui en paléogénétique. J'ai eu la chance de travailler avec lui dans l'analyse génétique de Néandertaliens qui, eux, vivaient il y a environ cent mille ans. C'étaient des Néandertaliens dont les restes ont été trouvés dans les cavernes de Belgique et on se situait là aux alentours de 2007-2008, au moment où nous avions fait cette publication-là.

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