Prix Nobel de la paix : "Il y a une urgence à considérer la liberté de la presse comme un combat important pour nos démocraties", selon un journaliste
Laurent Richard, journaliste et président de l'association Forbidden Stories, salue l'attribution du Prix Nobel de la paix à la journaliste philippine Maria Ressa et au journaliste russe Dimitri Mouratov.
"Il y a une forme d'urgence à considérer le combat pour la liberté de la presse comme un combat important pour nos démocraties", a estimé vendredi 8 octobre sur franceinfo, Laurent Richard, journaliste et président de l'association Forbidden Stories, qui se bat pour poursuivre et protéger le travail des journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés. Il réagit à l'attribution du Prix Nobel de la paix à la journaliste philippine Maria Ressa (Rappler.com) et au journaliste russe Dimitri Mouratov (Novaïa Gazetta). "Sans liberté d'informer, ajoute-t-il, sans information, sans faits réels rapportés, les démocraties peuvent tomber dans une opacité incroyable et dans les plus dangereux populismes."
franceinfo : Le Prix Nobel de la paix a été attribué à deux journalistes plutôt qu’à une organisation. Est-ce que cela fait sens pour vous ? Ces journalistes sont-ils des emblèmes ?
Laurent Richard : Oui, c’est une formidable nouvelle. Ce sont deux journalistes mais derrière ce sont aussi deux organisations de presse, Novaïa Gazetta ou Rappler, qui se livrent à un combat extrêmement important, pas seulement pour les Philippins ou pour les Russes mais pour le monde entier parce qu'ils se battent pour défendre la liberté de la presse. Maria Ressa a été de nombreuses fois arrêtée, et toujours poursuivie pour des cas de diffamation, en risquant gros. C’est la raison pour laquelle nous avons tout fait pour amplifier son travail en publiant une série de vidéos, avec Forbidden Stories et de nombreux partenaires dans le monde. C’est une très bonne nouvelle et en même temps il y a une forme d’urgence à considérer le combat pour la liberté de la presse comme un combat important pour nos démocraties parce qu'on sait que sans liberté d'informer, sans information, sans faits réels rapportés, les démocraties peuvent tomber dans une opacité incroyable et dans les plus dangereux populismes.
Ce combat ne concerne pas uniquement des pays dans lesquels nous savons la liberté d'expression menacée, comme la Russie ou les Philippines. Vous vous êtes également engagés à Forbidden Stories pour que le travail d’une journaliste maltaise, tuée elle aussi, à Malte, ne soit pas perdu.
Oui, au coeur de l'Union Européenne, nous avons vu ces dernières années Daphnée Caruana Galizia, qui était Maltaise et qui a été assassinée après l’explosion de sa voiture. Elle enquêtait alors au plus haut niveau sur des faits de corruption. C'était un assassinat clairement politique. Mais aussi Ján Kuciak, qui enquêtait sur des réseaux d'affaires qui impliquaient aussi le gouvernement slovaque. En Europe, nous ne sommes évidemment pas épargnés. Peut-être que nous sommes moins menacés qu'au Mexique quand on travaille sur les cartels de la drogue mais ce qui arrive au Mexique, ce qui arrive à Bakou en Azerbaïdjan ou aux Philippines, est aussi une affaire française et une affaire américaine. Ce n'est pas seulement un fait divers isolé quand on tue un journaliste ou quand on l'emprisonne. C'est une atteinte grave à la liberté de la presse. D'autre part, derrière ces crimes, la deuxième victime est toujours l’opinion publique, parce qu'elle va manquer une information importante. Et quand on regarde de près pour quelle raison on emprisonne ou on assassine un journaliste aujourd'hui, en général c'est quand il enquête sur des faits de corruption, de blanchiment d'argent, de crimes environnementaux ou de violation de droits humains, des sujets extrêmement importants pour nous tous.
Vous évoquez le "bouclier" que peut représenter la protection apportée par le travail en collectif. Faut-il aller au-delà de l'idée reçue que "le journaliste enquête individuellement", aujourd'hui ?
Oui, il faut savoir aller au-delà et clairement changer de paradigme. On a été entraînés, formés, éduqués pour agir souvent en loup solitaire, et se battre pour la publication de nos propres scoops. Mais quand il s’agit d'enjeux aussi importants que ça, de grands cartels de trafiquants de drogue ou d'un régime extrêmement dangeureux, il faut savoir s’associer. D'autant que quand un crime est global de cette façon-là, il faut apporter une réponse globale. C'est tout le sens de la collaboration entre les journalistes. Depuis une quinzaine d'années, depuis le succès des "Panama Papers", et plus récemment avec le "Pegasus project", nous avons pu montrer que les journalistes savent s’associer, dépasser les limites actuelles du journalisme pour travailler ensemble au service de l'intérêt général dans le monde entier.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.