Gaza : ces deux versions qui s'affrontent après la mort d'une centaine de Palestiniens lors d'une distribution d'aide humanitaire

Au lendemain du drame, sur fond de famine qui affecte une partie de la bande de Gaza sous blocus israélien depuis les attaques 7 octobre, Hamas et armée israélienne avancent des versions différentes.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La distribution alimentaire, filmée par un drône israélien, où plus de 110 Palestiniens sont morts, le 1er mars 2024 à Gaza. (capture d'écran drône)

Des tirs israéliens sur une foule affamée et une vaste bousculade pendant une distribution d'aide qui a tourné au chaos jeudi dans le nord de Gaza ont fait plus de 110 morts selon le Hamas, soulevant au sein de la communauté internationale indignation et appels à établir la vérité. Tout en reconnaissant des "tirs limités" par des soldats israéliens se sentant "menacés", un responsable de l'armée a fait état "d'une bousculade durant laquelle des dizaines d'habitants ont été tués et blessés, certains renversés par les camions d'aide". 

A Gaza, le drame a désormais un nom côté palestinien : "Le massacre de la farine". Au moins 112 Palestiniens ont été tués et 750 blessés, selon le ministère de la Santé du Hamas, jeudi 29 février, lorsqu'une foule s'est ruée sur un convoi d'aide alimentaire dans la ville de Gaza où la situation humanitaire est désespérée selon l'ONU. Un drame aux versions contradictoires : le Hamas affirme que l'armée israélienne a ouvert le feu sur la foule, quand Israël reconnaît des "tirs limités" des soldats qui se sentaient "menacés", assurant que la majorité des personnes tuées l'ont été dans une bousculade.  Le seuil des 30 000 morts dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre le 7 octobre a été franchi ce 29 février. 

"Importante bousculade"

Au lendemain de ce drame qui a fait réagir toute la communauté internationale, les deux versions sont toujours bien différentes malgré des témoignages. Le Hamas considère ainsi que l’armée israélienne a délibérément tiré sur une foule affamée au niveau du "rond-point de Naplouse", dans l'ouest de Gaza City. Des accusations largement partagées par les habitants du Nord de Gaza, comme Mohammed : "Je vous répète ce que m’ont raconté des témoins oculaires : à l’aube, il y a eu une importante bousculade près d’une position de l’armée israélienne. Ensuite, plusieurs salves de tirs sont parties d’un char israélien en direction de la foule. Il y a eu beaucoup de morts, et des blessés", détaille l'homme, contacté par franceinfo.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par franceinfo (@franceinfo)

De son côté, l’armée israélienne réfute, images de drones à l’appui et diffusées depuis sur les réseaux sociaux et qui montreraient des dizaines de Gazaouis encerclant les camions d'aide, avoir visé des civils. "Aucune frappe de l’armée israélienne n’a ciblé le convoi", affirme le porte-parole Daniel Hagari. Elle concède, en revanche, avoir bien tiré pour disperser la foule : "Les tanks, qui étaient là pour sécuriser le convoi, ont vu des Gazaouis être piétinés. Ils ont essayé avec précaution de disperser la foule avec quelques tirs de sommation. Des milliers de Gazaouis ont atteint ces camions. Il y a eu une violente bousculade. Certains sont morts. Et il y a eu des pillages d’aide humanitaire", a détaillé le militaire lors d'une conférence de presse.

Des images amateurs, tournées peu avant 5h du matin, le 29 février, au milieu de la foule, montrent des dizaines de silhouettes debout sur ce qu'on devine être la benne d'un camion. Sur ces vidéos d'une durée d'un peu moins de deux minutes, diffusées par la chaîne qatarie Al-Jazeera, on découvre également des hommes qui portent sur le dos des sacs d’aide humanitaire. Des rafales de tirs résonnent alors. Mais impossible d’en déterminer la provenance. Quelques heures plus tard, sur une autre vidéo, il fait jour : une femme pleure, crie, elle se prend la tête entre les mains et semble chercher le corps d’un proche mort ou blessé disposé dans la remorque d’un camion avec d’autres victimes. Mais, là encore, impossible de savoir si ces victimes ont été visées par l’armée israélienne ou par des hommes armés, ou piétinées, voire écrasées, par ces camions d'aide.

D'où venait ce convoi ?

Ce convoi, qui comportait 38 camions, était conduit par des Palestiniens et sécurisés par l’armée israélienne. C’était le cinquième, en cinq nuits, à remonter vers le Nord de la bande de Gaza pour essayer de ravitailler une population qui manque de tout. Le porte-parole de l'armée israélienne a indiqué que ce convoi, entré à Gaza depuis le terminal de Rafah, à la frontière égyptienne, était affrété par des "entreprises privées", sans autre précision. Le chef de l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini, a souligné sur X (ex-Twitter) que "ni l'Unrwa ni aucune autre agence de l'ONU n’ont été impliquées dans cette distribution". 

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par franceinfo (@franceinfo)

Les estimations de l'ONU montrent que 2,2 millions de personnes - la grande majorité de la population de la bande de Gaza - sont menacées de famine, en particulier dans les zones nord autour de la ville de Gaza. Or, on le sait depuis plusieurs semaines : des bousculades éclatent fréquemment autour de ces camions de ravitaillement. Une tension telle que la semaine dernière, l’ONU a stoppé ses convois en direction du nord face à l’insécurité sur les routes devenue trop élevée. Depuis quelque temps, les habitants de Gaza parlent même de l'apparition de mafias, qui n'hésitent pas à détourner l'aide humanitaire. L'ONU confirme et dit constater que les attaques contre des camions dans le secteur de la frontière avec l'Egypte et sur la route du Nord augmentent et sont de plus en plus violentes.

Celles-ci ne viennent pas de gens désespérés qui demandent de l'aide, mais il s'agit d'un trafic organisé. Ces attaques ciblent précisément les camions d'aide humanitaire afin de revendre la nourriture à prix d'or au marché noir. "Il y a des jeunes de 15, 16, 17 ans qui font des barrages. Ils arrêtent les camions et montent à bord avec des couteaux, avec des bistouris... C'est la mafia parce qu'il n'y a pas de la loi", expliquait ainsi Nabil, qui fait partie des déplacés de Rafah, à franceinfo.

Tollé international

Depuis l'annonce du drame, à travers le monde, les condamnations et la stupeur se répondent. Le président français Emmanuel Macron a exprimé sa "plus ferme réprobation" et exigé "vérité" et "justice".
"Profonde indignation face aux images qui nous parviennent de Gaza où des civils ont été pris pour cible par des soldats israéliens, écrit le chef de l'Etat sur X. J'exprime ma plus ferme réprobation envers ces tirs et demande la vérité, la justice et le respect du droit international."  Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a dénoncé un "nouveau carnage" et des morts "totalement inacceptables".

À Washington, le président Joe Biden a dit que son administration "vérifiait" les "deux versions contradictoires de ce qui s'est produit". Avant de confier qu'il jugeait improbable qu'un cessez-le-feu dans la bande de Gaza puisse être conclu d'ici lundi après un tel désastre. "Nous ferons pression pour obtenir des réponses", assure le président américain.

La Turquie, elle, qualifie de "nouveau crime contre l'humanité" ces événements. Enfin, le président colombien Gustavo Petro a aussitôt suspendu l'achat d'armements fabriqués par Israël, l'un des principaux fournisseurs des forces de sécurité du pays sud-américain.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.