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Que se passe-t-il en Irak où les manifestations, durement réprimées, se succèdent ?

La répression a déjà fait une trentaine de morts et des centaines de blessés.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Des manifestants irakiens dénonçant la corruption des dirigeants brûlent des objets pour bloquer une route du centre de Bagdad, le 3 octobre 2019. (AHMAD AL-RUBAYE / AFP)

Le bilan s'alourdit en Irak. Samedi 5 octobre, les forces de sécurité irakiennes ont tiré sur des dizaines de manifestants dans le centre de Bagdad, la capitale du pays, au cinquième jour d'un mouvement de contestation durement réprimé. La répression a fait près de 100 morts chez les manifestants, et plus de 4 000 blessés. Le mouvement, qui rappelle les "printemps arabes" de 2011, a désormais gagné la quasi-totalité du sud du pays. Que se passe-t-il en Irak ?

Un mouvement né sur les réseaux sociaux

Mardi, plus d'un millier de manifestants se sont rassemblés à Bagdad et dans plusieurs villes du Sud, pour réclamer du travail et des services publics fonctionnels. Il s'agit de la première contestation sociale d'envergure depuis la mise en place du gouvernement d'Adel Abdel Mahdi, il y a presque un an. Fait marquant, aucune organisation, aucun parti politique ou leader religieux ne s'est déclaré à l'origine des appels à manifester. Née d'appels sur les réseaux sociaux dénonçant la corruption, le chômage et la déliquescence des services publics, la contestation s'est propagée par les mêmes moyens.

Dans un premier temps, les manifestations ont été dispersées avec des canons à eau, des grenades lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Puis, des tirs à balles réelles des forces de l'ordre ont résonné à Bagdad, mardi. Vendredi, la plupart des magasins et des stations essence étaient fermés à Bagdad. Ceux ouverts étaient pris d'assaut par les clients voulant acheter des légumes, dont le prix a triplé depuis la fermeture de routes menant à la capitale irakienne.

Et le mouvement semble désormais avoir fait tache d'huile. Des protestataires continuent ainsi de bloquer de nombreux axes routiers, ou incendient des pneus devant des bâtiments officiels dans les provinces de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Babylone et Bassora, grande ville pétrolière du pays.

manifestations sanglantes en irak
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A défaut d'une filiation claire, le mouvement apparaît marqué du point de vue géographique : tandis que Bagdad et le sud, majoritairement chiite, s'embrasent, le calme prévaut au nord et à l'ouest de la capitale, principalement sunnites et récemment ravagés par la guerre contre le groupe Etat islamique, ainsi qu'au Kurdistan autonome.

Une répression meurtrière

Dès le 1er octobre, les autorités ont répondu vivement aux manifestants. Dans la nuit du mardi au mercredi, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a dénoncé "des saboteurs" cherchant à "propager la violence". Le lendemain, les forces anti-émeutes ont de nouveau tiré à balles réelles à Bagdad, ainsi qu'à Najaf et à Nassiriya (sud), pour disperser des milliers de manifestants. En quatre jours, 37 personnes (33 manifestants et quatre policiers) ont été tuées dans les heurts.

Les autorités ont également décidé de refermer la "zone verte" de Bagdad, où siègent les plus hautes institutions du pays et l'ambassade américaine. Elles ont aussi déclaré un couvre-feu dans la capitale et plusieurs villes du Sud. Couvre-feu bravé par de nombreux jeunes du quartier de Bayaa, à Bagdad, comme le montre cette vidéo partagée par la journaliste américaine Liz Sly, chef du bureau du Washington Post à Beyrouth. "Les forces de l'ordre ont complètement perdu le contrôle", note la reporter.

Pour empêcher le mouvement de se propager, les autorités ont aussi décidé de couper l'accès à Facebook mercredi soir et à internet le lendemain. Ce qui n'empêche pas les images de la répression de circuler. Cette vidéo du journaliste Zaid Benjamin montre ainsi des tirs ininterrompus pendant deux minutes au centre de Bagdad. Ces images ont été diffusées avec plus de 24 heures de retard, lors d'un "retour sporadique d'Internet".

Dans la nuit de jeudi à vendredi, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi, au pouvoir depuis un an, a défendu le bilan de son gouvernement, et la répression de cette crise menaçant, selon lui, "de détruire l'Etat tout entier". De son côté, le Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a demandé à l'Irak une enquête "rapide" sur les morts et "de permettre à la population d'exercer ses droits à la liberté d'expression".

Une colère face au chômage et à la corruption

Cette contestation sociale a pris rapidement de l'ampleur, motivée par le taux de sans-emploi dans le pays. Un "jeune sur quatre est au chômage", souligne Le Figaro. En colère, la jeunesse exige du travail, et les moyens d'une vie décente. "Nous réclamons nos droits. Nous voulons un emploi qui améliore notre vie !", s'indigne un manifestant interrogé par France 24. "Qu'est-ce que le gouvernement a fait pour nous ? Nous l'avons élu pour que ça finisse comme ça ? Ils ont dégradé nos conditions et les leaders religieux sont corrompus !"

"Ce n'est pas la première fois que la population irakienne fait exploser son exaspération dans la rue, face à la corruption généralisée, l'absence de services publics de base, des conditions de vie qui ne changent pas", analyse Pierre Haski dans sa rubrique Géopolitique diffusée sur France Inter. "L'an dernier, rappelle-t-il, Bassorah, la capitale du pétrole, avait connu de violentes émeutes. Mais celles de cette année ont pris une ampleur particulière, bien que sans leader, ni organisation structurée".

Ainsi, la révolte traduit surtout l'exaspération face à une "classe politique corrompue et incapable de fournir un minimum de services à 28 millions d'Irakiens, épuisés par les guerres, les attentats et les embargos", relève Le Figaro. L'Irak est le 12e pays le plus corrompu au monde, selon l'ONG Transparency International. Et les ressources pétrolières servent peu à la reconstruction de ce pays dévasté, qui fait face à des pénuries d'électricité et d'eau potable depuis des décennies.

Depuis que les Etats-Unis ont envahi l'Irak en 2003 et renversé le dictateur Saddam Hussein, en affirmant vouloir y établir la démocratie, la corruption a englouti plus de quatre fois le budget de l'Etat, soient 410 milliards d'euros. "Le fléau s'est mué en système de gouvernance entre factions politiques qui se partagent la manne, sans avoir le moindre intérêt à remettre en cause leurs privilèges", écrit encore Le Figaro.

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