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Les mouvements de grève de moins en moins fréquents au Japon

Au Japon, le droit de grève existe, mais c'est plutôt le consensus social qui prévaut. Il en va ainsi depuis plusieurs décennies dans un pays où le taux de chômage se maintient à 4%. Depuis 1975, le nombre de grèves n’a cessé de diminuer. Les difficultés économiques à partir du début des années 1990, compliquées par la reconstruction après le séisme de 2011, n'ont pas inversé cette tendance.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Des piétions dans le quartier de Gingza, à Tokyo. (KAZUHIRO NOGI / AFP)

Hajime, cadre supérieur de 58 ans, farfouille dans ses souvenirs: «Est-ce qu'un jour j'ai fait grève? Ah oui ! Il y a environ 30 ans, ce fut la première et la dernière fois !». A 21 ans, Anan, étudiante en économie, n'envisage pas à son tour de manifester. «Tout le monde ici est dans la classe moyenne et tout le monde peut trouver du boulot dans les entreprises moyennes. Il n'y a pas de raison d'être en colère», affirme-t-elle.

On est à des années lumière du bref bouillonnement d’après-guerre quand, en 1946 à l'appel du Parti communiste japonais, un million de personnes avaient battu le pavé à travers le Japon dévasté, dont 250.000 rien qu'à Tokyo. A l'époque, la moitié des salariés étaient syndiqués. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 17,7%.

«La grève n'a jamais été très populaire. On est dans la cooptation plutôt que la confrontation. Ainsi, chaque grosse entreprise a son propre syndicat. Et ces syndicats-maisons travaillent étroitement avec les patrons, une authentique collaboration de classe», explique Koichi Nakano, professeur en science politique de l'Université Sophia de Tokyo.

Des travailleurs patriotiques

Le fait qu'il n'y ait pratiquement plus de grèves a, selon lui, un rapport avec l'héritage de l'économie planifiée à l'époque de la Seconde guerre mondiale. «L'important n'était alors pas la classe (sociale), mais la survie de la nation: les employés devaient sacrifier leurs intérêts de classe et agir comme des travailleurs patriotiques pour le bien de la compagnie et du pays. C'était une idée très puissante», souligne-t-il.

«Après 1960, l'entreprise est devenue comme un bateau avec des passagers», souligne pour sa part Hideshi Nitta, responsable des questions syndicales au patronat nippon, le Keidanren. Traduction: si la boîte coule, tout le monde coule avec. C'était l'époque des années «de haute croissance» qui allaient faire du Japon la deuxième puissance économique mondiale.

Cette période, des années 60 aux années 70, a vu les conflits sociaux se multiplier  au Japon [voir la vidéo INA], notamment avec la généralisation du shuntô, la «lutte de printemps». Ces négociations entre syndicats et employeurs sont conduites simultanément au début du mois de mars sur le niveau de vie, les conditions de travail et salariales. 

La pratique est née en 1955, dans le Japon de l’après-guerre, et s’est répandue à partir de 1960, rappelle Minagawa Hiroyuki, spécialiste du droit du travail.  On dénombrait encore en 1974, rappelle-t-il, près de 5.200 grèves de plus d'une demi-journée suivies par 3,6 millions de personnes. Mais en 2010, il n'y en eut que 38 avec... 2.480 grévistes.

Précarité et pauvreté
Le climat est devenu moins propice au rapport de force social, dans un Japon vieillissant, essoufflé économiquement et englué par vingt ans de déflation, avec une montée de la précarité et de la pauvreté. En 2009, le taux de pauvreté s'établissait déjà à 16% de la population, représentant des salariés gagnant environ 16.000 yen par mois, soit environ 715 euros.

Alors que 36% des travailleurs japonais ont des emplois irréguliers, le Japon des «décennies perdues» a découvert une nouvelle catégorie de travailleurs: les
«freeters», contraction de «free arbeiter», un mélange d'anglais et d'allemand qui désigne les abonnés aux petits boulots.

La principale centrale syndicale du pays, Rengo, vient de réclamer des hausses de salaires. Pour la première fois depuis six ans, le patronat a timidement accepté. Les prochaines augmentations salariales, décidées lors des traditionnelles négociations de printemps, ne devraient toutefois pas dépasser 1,5%, selon Le Monde. Pas de risque cette fois encore qu'une mesure aussi minime fasse descendre les Japonais dans la rue.

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