Fukushima : trois questions sur le rejet en mer des eaux contaminées de la centrale nucléaire, qui vient de commencer et doit durer des décennies

Le rejet dans l'océan Pacifique de l'eau traitée de la centrale accidentée en 2011 a commencé jeudi. Ce premier déversement devrait porter sur quelque 7 800 m3 d'eau de la centrale de Fukushima Daiichi.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le 19 janvier 2023 au Japon. (AP/SIPA)

Les autorités japonaises ont actionné pompes et valves pour acheminer l'eau dans la mer. Le rejet dans l'océan Pacifique des eaux contaminées de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, dans le nord-est du Japon, a débuté, jeudi 24 août.

Ce plan controversé a été validé début juillet par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et Tokyo assure qu'il sera sans danger pour l'environnement et la santé humaine. Mais l'opération, qui doit durer plusieurs décennies, suscite aussi de vives inquiétudes et critiques, au Japon comme à l'étranger.

1Comment se déroule cette opération ?

Le processus a été enclenché jeudi peu après 13 heures (6 heures à Paris) après un bref compte à rebours, selon une retransmission vidéo diffusée en direct par Tepco, l'opérateur de la centrale. Ce premier déversement devrait durer environ 17 jours et porter sur quelque 7 800 m3 d'eau de la centrale de Fukushima Daiichi. Tepco prévoit trois autres déversements d'ici fin mars 2024, pour des volumes équivalents au premier.

Au total, Tokyo prévoit de rejeter dans l'océan Pacifique plus de 1,3 million de tonnes d'eau, actuellement stockées dans des réservoirs. Cette eau provient des pluies, des nappes souterraines et des injections nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs entrés en fusion après le tsunami de mars 2011, qui a dévasté la côte nord-est du Japon. Ce rejet, à raison de 500 000 litres par jour maximum, sera étalé jusqu'au début des années 2050, selon Tepco.

2Ce rejet comporte-t-il des risques ?

Ces eaux ont été traitées au préalable pour les débarrasser de leurs substances radioactives, à l'exception du tritium, qui n'a pas pu être retiré avec les technologies existantes. Toutefois, seules des doses hautement concentrées de tritium sont nocives pour la santé, selon les experts. Avant d'être rejetée, cette eau est diluée dans de l'eau de mer pompée : "Il y a trois pompes et chaque canalisation associée peut acheminer 170 000 tonnes d'eau par jour, soit 510 000 tonnes au total. La capacité de dilution est donc de 1 000 fois", détaille à franceinfo Kenichi Takahara, ingénieur de Tepco.

"Les simulations montrent que le niveau de tritium à plus de dix kilomètres au large restera quasi identique à celui de l'eau de mer normale", assure l'ingénieur. La concentration de tritium est censée rester en dessous de 1 500 becquerels par litre (Bq/L). Or la recommandation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 10 000 Bq/L maximum pour l'eau de boisson. Le Japon affirme par conséquent que toute l'opération ne présente aucune menace pour l'environnement marin et la santé humaine.

L'AIEA, qui contrôle le projet, est du même avis et a donné en juillet son feu vert. "Sur la base de l'évaluation exhaustive qu'elle a menée, l'AIEA a conclu que la démarche et les activités de rejet de l'eau traitée par le [système de filtration] Alps adoptées par le Japon satisfont aux normes de sûreté internationales pertinentes", a commenté le directeur général de l'agence, Rafael Mariano Grossi. Du personnel de l'AIEA travaille sur place pour s'assurer que le projet "reste conforme aux normes de sécurité" et mettra aussi à disposition de la communauté internationale des données de suivi "en temps réel et quasi réel", précise l'agence. Tepco et l'agence japonaise de la pêche mettront aussi des données de contrôle en ligne.

3Quelles sont les réactions au Japon et à l'étranger ?

L'industrie japonaise de la pêche redoute des conséquences néfastes pour l'image de ses produits, auprès des consommateurs nippons comme à l'étranger. "Nous sommes toujours opposés au rejet de l'eau" car "la sécurité scientifique n'équivaut pas nécessairement à un sentiment de sécurité dans la société", a déclaré le représentant de l'industrie de la pêche nippone, Masanobu Sakamoto. Une inquiétude partagée par 76% des Japonais, selon un sondage cité par Le Monde.

"Le gouvernement japonais a opté pour une fausse solution – des décennies de pollution radioactive délibérée dans l'environnement marin – à un moment où les océans du monde sont déjà sous haute tension", a pour sa part dénoncé Shaun Burnie, spécialiste du nucléaire chez Greenpeace

Du côté de la communauté internationale, la Chine a dénoncé, jeudi, une action "égoïste et irresponsable". "Le gouvernement japonais n'a pas prouvé la légitimité" de ces rejets, "ni qu'ils sont inoffensifs pour le milieu marin et la santé humaine", a estimé le ministère des Affaires étrangères chinois. Pékin a également annoncé la suspension de toutes ses importations de produits de la mer venus du Japon. Cette décision, prise au nom de "la sécurité alimentaire", vise à "prévenir les risques de contamination radioactive causés par le rejet en mer des eaux contaminées", ont fait savoir les douanes chinoises.

Le Japon doit "publier de manière transparente" les données sur l'impact des rejets de l'eau de Fukushima "durant les 30 prochaines années", a de son côté déclaré le Premier ministre sud-coréen Han Duck-soo. Le chef de l'exécutif de Hong Kong, John Lee, a lui déclaré mardi avoir ordonné à son gouvernement d'appliquer "immédiatement" des réductions sur les importations de certains produits alimentaires japonais.

D'autres pays soutiennent quant à eux l'opération. Le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a par exemple déclaré que les Etats-Unis étaient satisfaits du plan du Japon, écrit le New York Times. Même son de cloche pour l'Union européenne, qui a levé mi-juillet des restrictions sur les importations de produits alimentaires de la région.

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