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Italie: CasaPound, ces fascistes qui vous veulent du «bien»

Depuis plus de dix ans, le «8, rue Napoléon III» à Rome est squatté par un mouvement ouvertement fasciste. Le bâtiment, rebaptisé Casa Pound en hommage au poète Ezra Pound serait devenu, d’après les squatters, l’épicentre d’un «fascisme du troisième millénaire». Géopolis s'est penché sur ce groupe difficile à cerner.
Article rédigé par
France Télévisions Rédaction Afrique
Publié
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Manifestation de CasaPound Italia en 2012. L'emblème du mouvement est la tortue, en référence à la formation de la légion romaine. (GABRIEL BOUYS / AFP)
Il faut distinguer la «Casa Pound», le squat romain fondé en 2003 qui sert à la fois de centre social (une vingtaine de familles y sont hébergées) et de local au mouvement, et «CasaPound Italia» (CPI), l’association d’utilité publique créée en 2008 qui est la structure légale du groupe.
 
Aujourd’hui, CPI revendique 4 000 militants et occupe une dizaine d’autres bâtiments dans toute l’Italie. Reprenant une vieille tradition de l’extrême-gauche italienne, les squats deviennent des lieux de manifestations politiques et culturelles et le siège d’associations gravitant autour de CPI. Jusqu’à former littéralement l’embryon d’une «fachosphère».
                                                                 
Slogan : «Dans le doute, cogne !» 
«Nous sommes un mouvement politique mais pas un parti. (…) Nous sommes fascistes et assumons tout l’hĂ©ritage de la pĂ©riode fasciste, y compris les erreurs. (…) Contrairement au communisme, le fascisme n’a pas Ă©chouĂ©, il a Ă©tĂ© vaincu sur le champ de bataille», dĂ©clare Adriano Scianca, l’un des idĂ©ologues de CPI.

Leurs rĂ©fĂ©rences historiques et intellectuelles incluent Che Guevara, Hugo Chavez ou Michel Foucault (Ă  cĂ´tĂ© des incontournables D’Annunzio et Mussolini), le signe de la nĂ©cessaire Â«actualisation» que reprĂ©sente CPI. Ils affirment d’ailleurs avoir Â«ramassé» le fascisme que la droite italienne avait laissĂ© en dĂ©shĂ©rence. Scianca avoue mĂŞme que les premières activitĂ©s de la Casa Pound n’auraient intĂ©ressĂ© personne si les gens n’avaient pas Ă©tĂ© interpellĂ©s par l’étiquette «fasciste».


Il faut en effet rappeler que l’Italie n’a jamais réellement été «défascisée» par les Alliés au sortir de la Guerre. La prospérité économique des Trente Glorieuses sous l’égide de la Démocratie Chrétienne avait repoussé le fascisme dans le passé, le laissant aux nostalgiques de Mussolini et à des groupes ultraminoritaires. Puis étaient venues les Années de Plomb, pendant lesquelles l’extrémisme venait bien davantage de l’extrême-gauche que de l’extrême-droite. Ne s’en réclamaient guère que des hooligans et des anticommunistes.
 
La culture politique de CPI porte la marque d’une culture urbaine politisĂ©e qui fait de la politique dans une ambiance rĂ©crĂ©ative (expositions, concerts, sport…). Le discours du mouvement s’efforce de donner une dimension romantique et esthĂ©tique Ă  son «combat». S’en dĂ©gage ce que le journaliste allemand des annĂ©es 30 Sebastian Haffner nomme Â«encamaradement», la dissolution de la pensĂ©e individuelle dans les Ă©lans collectifs.

Bien que le groupe se défende de tout racisme, leur discours attaque la mondialisation, la finance internationale, l’immigration et le multiculturalisme. CPI revendique un monde où les «identités» nationales et collectives coexistent mais ne se mélangent pas. Les immigrés sont vus comme des victimes du Capital qui les a arrachés à leurs foyers pour faire baisser le coût du travail en Italie. Il serait donc dans l’intérêt de tous que chacun reste ou retourne «chez soi»…

Cela n’empĂŞche pas que des bagarres Ă  connotation raciste Ă©clatent assez souvent, d’autant que la Casa Pound est situĂ©e dans un quartier très cosmopolite. En 2011, un proche du mouvement s’était suicidĂ© après avoir abattu deux vendeurs ambulants sĂ©nĂ©galais Ă  Florence.
 
Sur tous les fronts
Ce qui fait l’originalité de CPI, c’est la variété de ses activités. A côté de son combat politique, le mouvement s’efforce d’être présent dans un maximum de domaines. Une ambition englobante qui est une caractéristique des mouvements totalitaires.
 
Leur première revendication politique est le prêt social (mutuo sociale). Il s’agit de logements à bas coûts inaliénables construits par les régions pour loger des familles italiennes. Les mensualités seraient calculées en fonction du revenu, et seraient suspendues en cas de chômage.

La deuxième est le «temps d’être mères» (Tempo di Essere Madri), possibilitĂ© pour un jeune parent de rĂ©duire sa journĂ©e de travail Ă  6 heures au lieu de 8 sans perte de salaire (les heures non-travaillĂ©es Ă©tant prises en charge par l’Etat).
 
Aux côtés de CPI, on trouve souvent le Bloc étudiant (Blocco Studentesco), un syndicat étudiant fasciste créé en 2006 qui revendique 3000 adhérents.
Si le Bloc Ă©tudiant agite volontiers des drapeaux noirs, on reste loin des coups de batte et de couteau des annĂ©es 70 oĂą des jeunes trouvaient parfois la mort. Le Bloc reste un renfort utile pendant les manifestations et permet de toucher la population Ă©tudiante, très durement frappĂ©e par le chĂ´mage et Ă  l’avenir plus qu’incertain (44% de chĂ´mage des moins de 25 ans selon Les Echos).
 
Enfin et surtout, CPI est au centre d’un rĂ©seau d’associations. En Italie, la politique passe aussi par l’encadrement social et culturel.
 
La Salamandra, proche de CPI, est un regroupement de «noyaux de protection civile» créé suite au sĂ©isme de L’Aquila en 2009, oĂą les nĂ©ofascistes avaient Ă©tĂ© parmi les premiers Ă  venir en aide aux sinistrĂ©s. SolidaritĂ©s-IdentitĂ©s ou La forĂŞt qui avance gravitent aussi autour de CPI.

Des clubs sportifs aux noms évocateurs de «Instinct Rapace» (parachutisme), «Requins Noirs» (water-polo), «Diables de mer» (plongée), «Cercle combattant CasaPound» (arts martiaux) forment les militants au combat.

L’éducation politique et culturelle passe par un rĂ©seau de librairies, des revues (Occidentale et Fare Quadrato), un club de théâtre, une radio (Radio Drapeau noir), un club de musique (Bunker Noise Academy)... Le prĂ©sident de CasaPound, Gianluca Iannone, est le chanteur du groupe Zetazeroalfa, qui pratique la cinghiamattanza (variante du pogo avec coups de ceinture) en concert. CasaPound a mĂŞme participĂ© Ă©pisodiquement Ă  des programmes d’aide humanitaire Ă  l’étranger.

CPI partage ainsi avec le fascisme mussolinien la recherche d’un encadrement total, la très forte composante sociale, la culture plébéienne et le nationalisme exacerbé.

Gianluca Iannone, leader de CPI, en voyage humanitaire au Kenya en 2011. CasaPound a mené plusieurs opérations humanitaires «identitaires», soutenant les Karen de Birmanie ou les Serbes du Kosovo.
  
La (longue) marche vers le pouvoir
A l’échelle europĂ©enne, CasaPound Italia a peu d’équivalent en termes de structuration et d’activisme, Ă  part peut-ĂŞtre en Grèce : Aube DorĂ©e, qui a choisi la forme du parti politique, dĂ©tient 8% des sièges du Parlement et s’efforce d’être prĂ©sent sur le terrain social. Le caractère proprement fasciste de CPI les sĂ©pare d’autres familles de l’extrĂŞme-droite. En France, leurs premiers admirateurs sont les Identitaires et EgalitĂ© et RĂ©conciliation.
 
Plus notable est le fait que CasaPound Italia s’inscrit dans un mouvement général de dédiabolisation des extrêmes-droite grâce à l’action sociale et à l’élimination de références «repoussoir» comme celles à l’Allemagne nazie.

En Italie, leur objectif affiché est la conquête du pouvoir, officiellement par les urnes. Leurs premiers adversaires sont bien entendu l’extrême-gauche antifasciste, à qui CPI fait concurrence sur le terrain de l’action de rue. Des alliances ont eu lieu avec la droite, notamment avec la Ligue du Nord.
 
CPI a connu son baptême électoral aux municipales de 2011, en présentant des candidats sur les listes du PDL, le parti de Silvio Berlusconi. Sept proches du mouvement ont été élus conseillers municipaux.
En 2013, CPI prĂ©sente une liste aux Ă©lections gĂ©nĂ©rales (lĂ©gislatives et sĂ©natoriales) menĂ©e par Simone di Stefano. Pendant la campagne, des heurts se sont produits avec des antifascistes. Di Stefano n’obtiendra pas 0,15% des voix. La conquĂŞte du pouvoir est encore loin.

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