Brigades rouges et "doctrine Mitterrand" : six questions après l'arrestation d'anciens militants italiens en France
Ces anciens activistes, qui vivent en France depuis les années 1980, ont été condamnés en Italie pour des actes de terrorisme. Alors que la "doctrine Mitterrand" a empoisonné les relations entre Paris et Rome, ces arrestations sont présentées par l'Elysée comme un "moment historique".
Certains y verront la fin de la "doctrine Mitterrand". Sept anciens membres de l'extrême gauche italienne, notamment des Brigades rouges, ont été interpellés mercredi 28 avril en France à la demande de l'Italie. Deux autres se sont rendus à la police jeudi, et un dernier est toujours recherché par la police. Ces anciens activistes avaient été condamnés en Italie pour des actes de terrorisme commis dans les années 1970, mais s'étaient réfugiés en France dans les années 1980.
La justice française devra décider si elle autorise leur extradition, réclamée par Rome depuis des années. Franceinfo vous explique ce qu'il faut savoir sur les Brigades rouges et sur les relations de certains de leurs membres avec la France.
1Qu'appelle-t-on les Brigades rouges ?
Le groupe des Brigades rouges, constitué en 1970, est l'un des mouvements de l'extrême gauche italienne. Cette dernière, très active à partir de la fin des années 1960, choisit la lutte armée comme méthode de protestation. "Le groupe s'organise pour critiquer la 'modération' du Parti communiste italien, très puissant à l'époque et se développe autour des luttes révolutionnaires, confie à franceinfo Marc Lazar, directeur du centre d'histoire de Science Po Paris. Il existe beaucoup d'autres groupes de l'ultra gauche, mais c'est le principal."
La période d'activité des Brigades rouges se confond avec les "années de plomb" italiennes, de la fin des années 1960 à 1980. Cette période de forte tension politique, notamment entre l'extrême gauche et l'extrême droite, débouche sur des violences de rues ainsi que des actes de terrorisme qui font des milliers de victimes.
2 De quoi sont accusées les Brigades rouges ?
Le groupe, dès sa création, met en place des actions "spectaculaires, comme la séquestration et l'humiliation de cadres d'entreprise", note Marc Lazar. Puis, à partir des années 1974, "il va passer progressivement à des actions armées". Les militants commettent alors plusieurs attentats, "ainsi que des attaques ciblées contre des magistrats, des policiers, des universitaires ou des journalistes".
En 1978, le groupe "marque les esprits : il enlève et assassine Aldo Moro, ancien président du Conseil et président de la Démocratie chrétienne", le plus puissant parti politique italien de l'époque, précise l'historien. Les Brigades rouges qualifieront ce meurtre de "conclusion d'une bataille", s'attirant la condamnation de tout le champ politique italien.
3Pourquoi d'anciens militants des Brigades rouges se sont-ils réfugiés en France ?
Des centaines de militants italiens d'extrême gauche, dont des anciens des Brigades rouges, rejoignent la France au tournant des années 1980. "Ce pays était proche géographiquement, linguistiquement et culturellement de l'Italie", rappelait en 2019 à franceinfo la chercheuse Monica Lanzoni, qui a consacré une thèse à la vie de ces activistes réfugiés en France.
Ce sont surtout les positions de François Mitterrand qui convainquent un grand nombre de militants de rejoindre l'Hexagone. Le président socialiste, élu en 1981, souligne dans plusieurs discours l'attachement de la France aux droits de l'homme, et sa volonté d'accueillir ceux qui seraient "poursuivis pour des raisons politiques".
"Il explique aussi que les Italiens qui auront renoncé à la lutte armée et montré leur volonté de s'intégrer en France pourront bénéficier d'une protection, souligne Marc Lazar. Mais il précise également que la France n'accordera pas de protection aux personnes impliquées dans 'des crimes de sang'. Ce que l'on a appelé la 'doctrine Mitterrand' n'était pas gravée dans le marbre, mais entendue."
4Quel a été l'impact de cette doctrine sur les relations entre l'Italie et la France ?
La "doctrine Mitterrand" pollue pendant de longues années les relations entre Paris et Rome, l'Italie réclamant l'extradition de dizaines de personnes condamnées pour terrorisme par la justice. Les choses se détendent en août 2002, lorsque, sous le mandat de Jacques Chirac, Paolo Persichetti, ancien membre des Brigades rouges, est extradé.
Une polémique vive éclate ensuite en 2004 autour du cas de Cesare Battisti, réfugié en France depuis près de quinze ans. Cet ex-partisan de la lutte armée, auteur de polars et soutenu par la romancière Fred Vargas, a été condamné à la perpétuité en Italie pour quatre assassinats. A l'approche de son extradition par la France, il fuit au Brésil. Il est finalement arrêté en 2019 en Bolivie, avant d'être extradé vers Italie. Il reconnaît ensuite sa responsabilité dans les quatre meurtres.
5Pourquoi la France a-t-elle décidé de procéder à de nouvelles arrestations ?
Officiellement, l'Elysée explique ne pas avoir dévié de la "doctrine Mitterrand" en procédant à ces arrestations. Mais celles-ci ont lieu après des mois de tractations avec Rome, qui a réduit la liste des personnes qu'elle souhaitait voir extradées de 200 à dix. Les choses se sont accélérées le 8 avril, lorsque la ministre de la Justice italienne, Marta Cartabia, a officiellement transmis "une requête urgente" à son homologue français, Eric Dupond-Moretti, en raison d'un risque de prescription.
Plusieurs éléments peuvent expliquer la décision des autorités françaises. "Emmanuel Macron est jeune et a un regard très distant sur les 'années de plomb'", explique Marc Lazar. De plus, "Paris veut avoir une excellente relation avec Rome et se trouve sur la même ligne sur de nombreux sujets, notamment la crise sanitaire et l'économie". L'historien note aussi que le président de la République, qui "est en train de préparer sa campagne présidentielle", "axe beaucoup celle-ci sur les questions de sécurité intérieure". Il est donc "dans la continuité de cette question".
6Quelles sont les réactions après ces arrestations ?
Le Premier ministre italien, Mario Draghi, a exprimé sa "satisfaction", expliquant que les personnes arrêtées étaient "responsables de très graves crimes de terrorisme" et "ont laissé une blessure qui est encore ouverte". Pour l'Elysée, il s'agit d'"un moment historique de la relation franco-italienne". "Je suis fier de participer à cette décision qui, je l'espère, permettra à l'Italie, après quarante ans, de tourner une page de son histoire qui est maculée de sang et de larmes", a commenté Eric Dupond-Moretti.
Certaines voix s'élèvent contre la probable extradition des ex-brigadistes. "Tous les gouvernements de droite et de gauche ont refusé l'expulsion. Avec Macron, la France n'a plus de parole", a ainsi dénoncé sur Twitter Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise. "C'est une trahison innommable de la France. (...) Cette opération s'apparente à une mini-rafle", a réagi auprès de l'AFP Irène Terrel, avocate de cinq des personnes arrêtées.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.