Cet article date de plus de neuf ans.

Pourquoi l'Iran n'aurait-il pas sa bombe atomique ?

Pourquoi l’Iran (ou d’autres pays) ne pourrait-il pas se doter de l’arme atomique, détenue déjà, officiellement, par sept puissances? En effet, pourquoi certains pays auraient cette arme fatale et pas d’autres? L’histoire de la non-prolifération explique la situation actuelle.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Photo d'une des deux explosions de «l'Opération Crossroads», les deux premiers tests de bombes atomiques réalisés sur l'atoll de Bikini, dans les Îles Marshalls. (Domaine Public)

6 août 1945, le monde découvre une nouvelle arme. Les Etats-Unis viennent de larguer une bombe atomique sur Hiroshima. Mais les Etats-Unis ne vont pas garder leur avantage longtemps. En 1949, l’URSS procède à son premier essai nucléaire… Suivent la Grande-Bretagne (1952), la France (1960) puis la Chine (1964).  

Très vite, les Américains ont tout fait pour limiter la diffusion de l’arme nucléaire. Dès 1946, Washington réglemente sur cette question. Editée au moment où les tensions avec l'Union soviétique se développaient et que la Guerre froide s'annonçait, la loi Mac Mahon estimait que toutes les données relatives à l'énergie nucléaire étaient classées secrètes et leur utilisation dans l'industrie privée interdite. Les Etats-Unis voulaient conserver leur avance. 

L'exemple de la France
La tentative américaine de garder son avantage n'a pas duré, l'Union soviétique ayant rapidement refait son retard initial. La France a rapidement voulu se doter de son arme atomique. Le cas français montre que l'on peut être, selon les situations, pour la non-prolifération... et acteur d'une certaine prolifération. «Paris a été à la fois, mais pas toujours, la victime de politiques de non-prolifération, en particulier de la part des Etats-Unis, et par moments un proliférateur de première importance. La bombe israélienne certainement, la bombe pakistanaise probablement, doivent beaucoup à la France. Quant à l’Irak, si ses efforts nucléaires ont échoué, ce n’est certainement pas la faute des gouvernements français de l’époque», raconte la Revue Historique des Armées.

«Beaucoup pensaient que pour des raisons aussi bien économiques (exportations d’usines et de savoir-faire nucléaires) que politiques (échapper à la prétendue «hégémonie des deux supergrands, il convenait d’accepter ou même de promouvoir dans une certaine mesure la prolifération», ajoute la revue.

Essai nucléaire français en Algérie, 27 décembre 1960. (AFP)

Le traité de non-prolifération: un traité discriminatoire 
Dans un monde bipolaire, le contrôle de la prolifération des armes nucléaires était plus «simple». Les armes atomiques étaient réputées empêcher les guerres directes entre grandes puissances. La stratégie de la dissuasion était à la mode et semblait fonctionner malgré les tensions de la Guerre froide

Les deux grandes puissances ont négocié dans les années 60 un traité de non-prolifération. Les détenteurs de la technologie nucléaire ne voulaient cependant pas empêcher le développement civil du nucléaire avec tous les avantages économiques que cela pouvaient leur apporter tout en assurant une surveillance de ces techniques dans le but d’éviter toute dérive militaire.

Selon Gérard Challiand, universitaire et «géostratège», la non-prolifération «vise (également) à retarder le plus possible la sanctuarisation des puissances moyennes, surtout quand elles sont hostiles… Pour le plus puissant, il s’agit de conserver la capacité de contraindre le faible.»

Le TNP (Traité de non-prolifération) a été signé le 1er juillet 1968. Il est entré en vigueur le 5 mars 1970, après qu'il eut été ratifié par les gouvernements dépositaires (Etats-Unis d'Amérique, Royaume-Uni, Union des Républiques socialistes soviétiques) et quarante autres Etats signataires. Aujourd'hui, il est signé par la quasi totalité des pays, à l'exception de l'Inde, le Pakistan et Israël (la Corée du Nord s'en est détachée).

Le principe de base du TNP repose sur la discrimination opérée entre les Etats Dotés de l'Arme Nucléaire ayant fait exploser un engin nucléaire avant le 1er janvier 1967 (EDAN), et les autres Etats, Non Dotés de l'Arme Nucléaire (ENDAN) : les premiers (Etats-Unis, URSS, Royaume-Uni, France, Chine), également membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, s'engagent en signant le traité à ne pas aider un autre pays à acquérir des armes nucléaires ; les seconds s'engagent à ne pas fabriquer d'armes nucléaires et à ne pas essayer de s'en procurer. 

Sur cette base, tout un arsenal de textes (et notamment le rôle de surveillance dévolu à l'AIEA, créée en 1957) précise la mise en œuvre de la non-prolifération, à destination des pays signataires du traité

«La seule contrepartie susceptible d’atténuer le déséquilibre consacré par le TNP réside dans les obligations prévues par l’article VI du traité. Ce dernier prévoit que "chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace"», note Hamza Cherief. Un désarmement que l'on attend toujours.

Images de la télévision iranienne montrant des centrifugeuses sur site nucléaire iranien de Nantanz en 2012. (PRESS TV / AFP)

Des pays non-signataires se dotent de la bombe
Malgré les traités de non-prolifération, la bombe réapparaît. En Asie, avec les essais de l’Inde et du Pakistan en 1998. Mais ces deux pays n'étaient pas signataires du TNP.

«L'Inde a toujours refusé de signer le TNP en raison de son caractère discriminatoire. Aux yeux de l'Inde, le TNP sert tout simplement à légitimer et à perpétuer le monopole de la détention des armes nucléaires par les cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies », note Isabelle Capette, qui a fait une thèse sur le sujet.  L’Inde avait aussi refusé de signer le traité interdisant les essais nucléaires. Quant au Pakistan, il a toujours calqué sa politique sur celle de l’Inde. Tant que l’Inde ne signe pas, on signe pas!

Les deux pays se sont vu appliquer des sanctions par les Etats-Unis... qui ont fini par être largement levées.

Les cas de l'Iran, d'Israël et de la Corée
Trois pays, trois cas différents. Le développement du nucléaire iranien a commencé dans les années 50 avec l’aide des Etats-Unis, sans parler de la France dans les années 70. L’Iran a signé le TNP en 1968 et l'a ratifié en 1970. A la fin des années 80,  l'Iran aurait mis en route des technologies d’enrichissement (avec le Pakistan). Suspecté de vouloir se doter de l'arme, adhérent au TNP, l'Iran s'est retrouvé en conflit avec la communauté internationale et a été sanctionné. 

Le cas de la Corée du Nord est différent puisque le pays s'est retiré du TNP avant de procédér à des essais nucléaires.

Enfin, Israël, qui n'est pas signataire du TNP, entretient le flou sur ses capacités nucléaires militaires. «D’autres Etats encore possèdent la technologie et le savoir scientifique nécessaires pour fabriquer, rapidement, des armes nucléaires. Ces Etats peuvent alors affirmer officiellement ne pas posséder une telle arme», note le site Diploweb

Reste le cas des «Etats du seuil», ces pays réputés capable de se doter très rapidement de l'arme nucléaire mais qui ne l'auraient pas développée. Parmi ces pays, les Etats-Unis avaient placé l'Irak (ce qui était faux) et l'ont envahi. Mais d'autres pays peuvent entrer dans cette catégorie. Le concept est cependant flou. L'Iran semble se retrouver dans cette catégorie, mais aussi d'autres pays en mesure de maîtriser l'enrichissement de l'uranium comme l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil ou le Japon. 

Dans un monde multipolaire, l'absence de système de sécurité semble pousser les puissances moyennes à renforcer leur arsenal. Jusqu'à détenir l'arme nucléaire? Le système actuel de non-prolifération, basé sur l'inégalité entre pays ayant la bombe et ceux ne l'ayant pas, est peut être à bout de souffle. «Le débat sur le nucléaire est faussé dès lors que des pays s'arrogent le droit de dire qui a droit ou non à la maîtrise nucléaire. A l'époque de «l'équilibre de la terreur» entre les USA et l'ex-URSS, la paix régnait. Aussi, on est fondé à penser que la détention de l'arme nucléaire peut être dissuasive et contribuerait à la stabilité du monde. Il est patent que si la Libye avait eu la bombe atomique, elle n'aurait pas été bombardée par l'Otan, et l'Occident ne menacerait pas les régimes qui ne lui plaisent pas et voudrait les changer», notait le journal algérien (pro-gouvernemental) l'Expression.

Le président iranien 
Ahmadinejad qui a toujours fait figure de méchant aux yeux des occidentaux a eu beau affirmer que l'Iran n'a «pas besoin de bombe atomique», il n'a pas sur convaincre les grandes puissances nucléaires présentes au Conseil de sécurité de l'Onu qui ont décrété des sanctions contre l'Iran. Aujourd'hui, l'accord avec les Etats-Unis et les autres pays de la négociation, va peut être permettre à Téhéran de desserrer l'étau.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.