Cet article date de plus d'onze ans.
Mana Neyestani, dessinateur iranien en exil
Publié le 28/06/2013 14:02
Mis à jour le 28/06/2013 15:45
Portrait de Mana Neyestani, dessinateur iranien, réfugié politique en France.
Son style rappelle celui de Claude Serre et Roland Topor. Dix photos et illustrations pour découvrir cet artiste talentueux, primé plusieurs fois, et reconnu dans le monde entier.
naît à Téhéran en 1973. Ses deux parents sont professeurs de littérature persane. Son père est aussi un poète reconnu. Il lui fait découvrir la bande dessinée à travers les albums de Tintin, Astérix et Superman. Les livres des dessinateurs Sempé, Serre, Topor et Cardon trônent aussi en bonne place sur les étagères de la bibliothèque familiale.
Après la Révolution iranienne de 1979, qui transforme l'Iran en République islamique, la bande dessinée est interdite. Si en 1985, elle est de nouveau autorisée, la censure ne cessera depuis lors de s’y appliquer.
«Dans Tintin, le capitaine Haddock avait beau être saoul, il n'était pas censé boire d'alcool !» explique le dessinateur à Frédéric Potet dans Le Monde. (AFP PHOTO/PIERRE DUFFOUR)
suit des études d’architecture pendant deux ans à l'université de Téhéran. Mais à 17 ans, il choisit d’épouser la carrière de dessinateur et d’illustrateur. Dès 1990, il travaille pour de nombreux magazines réformistes culturels, littéraires, économiques et politiques iraniens, comme Asr-e Azadegan, Sobhe Emrooz, Mosharekat, Azad, Neshat et Aftab-e Emrooz.
En 1998, il rejoint le journal Zan, premier quotidien féminin à paraître en Iran. Un an plus tard, le journal est interdit.
«J'ai publié trois romans graphiques dans mon pays, les seuls publiés en Iran jusqu'à aujourd'hui : Kaaboos (Cauchemar) en 2000, Ghost House en 2001 et M. Ka’s Love Puzzle en 2004. Et j'ai réalisé des centaines de dessins publiés dans de nombreux titres. La plupart sont des publications réformistes ou des revues d'opposition et ont donc été censurées par le système judiciaire iranien au cours de la dernière décennie», dit-il à Adeline Journet pour L’Express.
Mais en 2005, les connotations politiques de ses dessins sont mal vues par Téhéran, et la disparition des journaux réformistes l’obligent à s’orienter vers l’illustration pour enfants. ( AFP PHOTO/PIERRE DUFFOUR et Mana Neyestani )
sa vie bascule suite à un dessin publié dans le supplément hebdomadaire enfants du journal L'Iran, quotidien officiel du gouvernement.
Dessinant une conversation entre un enfant et un cafard, l’auteur glisse dans la bouche de la bestiole un mot anodin d'origine azérie. Les Azéris, une minorité d’origine turque vivant au nord de l’Iran, souvent rejetés par le gouvernement iranien, se sentent humiliés par ce dessin. Des émeutes éclatent dans le pays.
«Moi, je n’avais même pas conscience que ce mot était turc. Je n’avais aucune arrière-pensée blessante», explique-t-il à Aurélie Champagne de Rue 89. (Mana Neyestani)
il est incarcéré avec l’éditeur du magazine à la prison 209, section non-officielle de la prison d'Evin. Cette dernière est administrée par Vevak, le ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale. Pendant trois mois, les deux hommes seront interrogés et mis à l’isolement.
Profitant d’un droit de sortie temporaire, se sentant menacé, il préfère ne pas attendre son jugement et décide avec sa femme de fuir son pays.
Le fait qu’il ait pu quitter si facilement l’Iran lui a toujours laissé penser que le gouvernement préférait le voir partir. («Une métamorphose iranienne» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
roman graphique publié en février 2012, raconte en 200 planches son passage dans les geôles iraniennes et son périple à travers différents pays. Le livre reçoit le dBD Awards 2012 du meilleur livre étranger.
La page de couverture est signée de Hassan Karimzadeh. Cet artiste iranien a été condamné à dix ans de prison au début des années 90 pour avoir représenté l’ayatollah Khomeini en joueur de football.
Libéré au bout de deux ans, «il vit toujours en Iran. Je lui ai demandé de me rendre ce service parce que je le connais depuis une dizaine d’années. Je lui fais entièrement confiance. Mais je lui ai dit que, s’il avait l’impression que c’était trop risqué, il pouvait refuser ou utiliser un pseudonyme. Mais il a fait cette mise en page sous son vrai nom. Je lui en suis très reconnaissant. De toute façon, vivre en Iran est risqué. Surtout pour un journaliste ou un dessinateur (…). Si vous voulez rester, vous n’avez pas le choix : vous devez prendre des risques», déclare-t-il à François Mauger de Mondomix. («Une métamorphose iranienne» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
l’oblige dans un premier temps à essayer de trouver refuge dans différents pays comme les Emirats arabes unis, la Turquie et la Chine. Le couple finit par s’installer en Malaisie en 2007 grâce au statut d'étudiant en anglais qu’obtient Mana Neyestani.
Sympathisant de l’Insurrection verte de 2009 (couleur du parti de Mir Hossein Moussavi opposant à Mahmoud Ahmadinejad), il continue d’exercer ses talents de dessinateur pour des webzines iraniens dissidents.
Une autre partie de ses travaux fait la part belle à des bandes dessinées, plus populaires, et des caricatures, comme la série Dargir ha (La famille engagée).
«Le matin, mes amis manifestaient. L'après-midi, ils me racontaient ce qui s'était passé via les réseaux sociaux, et cela m'inspirait. Ce n'était pas prudent, mais je me sentais porté par la Révolution verte, il fallait que je m'exprime» raconte-t-il à Laurence Le Saux de Télérama.
Ses dessins connaissent un énorme succès auprès d’une partie de la population iranienne et sont repris par les manifestants issus du mouvement vert. Il devient l’un des porte-parole de la contestation. (Vie privée, dessin issu de «Tout va bien !» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
le dessinateur envoie une candidature au Réseau international des villes refuges pour les écrivains persécutés (Icorn : International Cities of Refugee Network).
Le 12 janvier 2011, le maire de Paris Bertrand Delanoë signe un accord pour que Paris devienne membre de l’Icorn. Mana Neyestani est choisi comme premier lauréat pour bénéficier de ce dispositif. Il réside à la Cité internationale des Arts pendant un an et obtient une bourse mensuelle de 900 euros.
A Paris, il fait l'apprentissage de la liberté. «Je pense que les Iraniens, à cause de leur éducation, de leur famille et, en général, du système tyrannique dans lequel ils ont vécu ces cent dernières années, voire depuis des siècles, ont un cadre qui limite leur liberté. J'ai aussi ce cadre: c'est très difficile d'en sortir et de se libérer du système. Aujourd'hui, je ne vis plus en Iran, donc je suis libre, mais dans mon esprit, j'ai la sensation que je m'autocensure encore», confit-il à Hamdam Mostafavi pour Le monde des livres.
Quand la journaliste Myriam Chaplain-Riou (AFP) lui demande s’il retournera-t-il dans son pays, il répond, la gorge nouée: «Je le pourrais, mais aujourd'hui ce serait pour être jeté en prison !»
En 2013, il obtient le statut de réfugié politique. (Un acte d'avant garde, dessin issu de «Tout va bien !» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
son dernier recueil paru en avril 2013, est une sélection de 200 dessins de presse où l’humour noir omniprésent permet de dénoncer les dérives autoritaires de l’Iran.
La situation politique des pays du Moyen-Orient (Syrie, Israël, Palestine...) est aussi mise à mal sous le crayon acéré du dessinateur. Si les privations de liberté et la guerre sont des sujets récurrents, le sort des femmes, des homosexuels et des journalistes est souvent dénoncé.
Malgré la noirceur de son propos, la poésie y est présente, quelquefois représentée par un simple élément en couleur. («Tout va bien !» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
il rend également hommage à plusieurs personnalités qui luttent contre toutes les formes de dictature.
Siamak Poursand, un journaliste iranien assigné à résidence, qui s'est suicidé le 29 avril 2011 en se jetant par la fenêtre de son appartement.
Ahmad Zeidabadi, ancien rédacteur en chef du journal Azad. Arrêté après les élections en 2009, il purge une peine de six ans de prison, suivi d'un exil intérieur de cinq ans et d'une interdiction d'exercer à vie.
Arya Aramnejad, un chanteur pop iranien de 28 ans qui purge en 2010 une peine de neuf mois pour avoir composé et interprété Ali Barkhiz, une chanson d'opposition au régime sur la répression des manifestations d’Ashura.
Il rend aussi hommage à des réalisateurs iraniens comme Jafar Panahi ou Bahram Bayzai.
Les femmes ne sont pas oubliées : Neda Agha-Soltan, tuée par balle au cours d'une des manifestations de protestation qui ont suivi le résultat contesté de l'élection présidentielle iranienne de 2009 ; Alia Majed Al Mahdi, une activiste égyptienne, ou simplement une citoyenne journaliste anonyme.
Sans oublier Ali Ferzat, un caricaturiste syrien. (Janvier 2013 : arrestation de dix-sept journalistes iraniens, dessin issu de «Tout va bien !» de Mana Neyestani (ARTE Editions, Cà et Là))
du Caricaturistes Rights Network International, une organisation à but non-lucratif, basée aux Etats-Unis, qui cherche à protéger les droits de l'Homme et la liberté créatrice des dessinateurs éditoriaux.
Mana Neyestani fait partie de Cartooning for Peace, une association créée par Plantu pour relier les illustrateurs entre eux et faire connaître leur travail.
Il a reçu le prix international du Dessin de Presse, le 3 mai 2012, des mains de Kofi Annan. (Dessin de Steve Benson, Arizona Republic)
Partager : l’article sur les réseaux sociaux
Partagez sur whatsApp (nouvel onglet) (Nouvelle fenêtre)
Partagez sur facebook (nouvel onglet) (Nouvelle fenêtre)
Partagez par email (Nouvelle fenêtre)
Partagez (Nouvelle fenêtre)
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.