Cet article date de plus de dix ans.

L'Iran en guerre contre la drogue: idéologie, pragmatisme et intérêts

Soumise à embargo, mise au ban de la communauté internationale, classée dans l’Axe du Mal sous le gouvernement Bush… La République Islamique d’Iran est pourtant régulièrement félicitée par l’ONU pour son rôle dans la guerre contre la drogue. Un paradoxe qui reflète le pragmatisme de Téhéran.
Article rédigé par zacharie boubli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un Iranien s'injecte de l'héroïne près d'un centre de désintoxication à Téhéran. (Reuters/Damir Sagolj)

En Iran, on ne badine pas avec la drogue : sur plus de 600 condamnations à mort prononcées chaque année, plus des trois quarts sont liées aux narcotiques. La possession de l’équivalent de 20 euros de drogue peut conduire un trafiquant iranien ou afghan à se balancer au bout d’un câble. Condamner à mort pour trafic de drogue est pourtant illégal en droit international. Le fouet fait partie des peines moindres, même si on n’y survit pas toujours...  
Car la drogue est bien évidemment haram (illicite en islam). La lutte contre la drogue est envisagée en termes religieux. On exécute les trafiquants pour moharebeh (soit «guerre à Dieu») ou Corruption terrestre.
 
Guerre à la drogue
Richard Nixon, père de la «Guerre contre la drogue» américaine, n’aurait pourtant pas été choqué par tant de sévérité. Il faut dire que la répression est à la hauteur de l’enjeu : l’Iran partage près de 1000 kilomètres de frontières avec l’Afghanistan, qui produit 90% de l’opium mondial. En pleine croissance depuis l’ère des talibans et des interventions occidentales, la culture du pavot afghan s’exporte pour plus d’un tiers via l’Iran en direction de la Turquie et de l’Europe.

Etroitement surveillée, la frontière irano-afghane est le théâtre d’une véritable guérilla contre les trafics menés par les seigneurs de guerre afghans. Près de 4000 douaniers iraniens y ont laissé la vie en 30 ans. Résultat : 80% des saisies mondiales sont effectuées en Iran (environ 550 tonnes en 2013).
 

Une partie seulement de l'opium saisi par les autorités iraniennes est détruite. (© AFP - Bahar Shoghi)

L’Iran accro
Le front est aussi intérieur. L’opium est présent de longue date en Iran et ses 3% d’addicts font du pays le plus accro du monde. Selon al-Monitor, citant des sources officielles, plus de la moitié des toxicomanes seraient…des fonctionnaires. Des sans-abris hâves aux hommes d’affaires stressés en passant par les familles d’accros, les profils sont variés.

La jeunesse iranienne (60% d’Iraniens ont moins de 30 ans) est frappée par un très fort taux de chômage, se voit interdire la plupart des distractions et connaît un fort taux de dépression. Dans ces circonstances, la drogue devient un plaisir coupable au même titre que les concerts clandestins ou les rendez-vous amoureux furtifs.

Concert clandestin d'Azadeh Ettehad (chant) et Nastaran Ghaffari (violon) du groupe Accolade dans une salle non-autorisée. (AFP - Vahid Salemi)

Les consommateurs d’opiacés bénéficient de prix très faibles pour des produits de qualité : le gramme d’héroïne, vendu autour de 60 euros en France, n’en coûte que 2 ou 3 à Téhéran. Certains toxicomanes arrivent à conserver un emploi et vivent des dizaines d’années avec leur addiction. 
 
La politique reprend le dessus
Le début des années 2000 voit les problèmes s’aggraver : plus de 10% de la population carcérale est atteinte du sida et l’éviction des talibans d’Afghanistan laisse libre cours aux seigneurs de guerre pour se financer par le trafic d’opium. Problème supplémentaire : les camps de réfugiés afghans en Iran créent chaque jour de nouveaux accros, jusque chez les enfants.
 
Devenu un partenaire indispensable de la stabilisation de l’Afghanistan, l’Iran a aussi adopté les politiques de réduction des risques que l’on retrouve en Occident : échanges de seringues, traitements de substitution à la méthadone… La loi iranienne, récemment réformée, ne punit désormais plus le simple usage de drogue, remplacé par une obligation de soin. Des soins que l’on peut obtenir dans des centres de désintoxication (généralement saturés).
 
Bien entendu, cet adoucissement apparent du traitement des toxicomanes soulève les mêmes questions qu’en Occident. Traitements de substitution et centres de désintoxication privés (environ 600, selon al-Monitor) génèrent de juteux marchés, dans un pays où mollahs et pasdarans contrôlent de plus en plus l’économie.
 
Et l’Iran ne se prive pas de rappeler à l’Europe que l’héroïne qu’il détruit était destinée à des veines européennes…

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.