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Iran : mystère autour de l'arrestation de la chercheuse Fariba Adelkhah sur fond de tensions diplomatiques

Cette universitaire de 60 ans est détenue en Iran. Le motif de son arrestation n'a pas été communiqué mais des médias locaux évoquent des accusations d'espionnage.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'anthropologue Fariba Adelkhah sur le plateau de franceinfo et France 24 dans l'émission "Le Monde dans tous ses états", en février 2019. (FRANCEINFO / FRANCE 24)

L'universitaire franco-iranienne Fariba Adelkhah devait rentrer en France le 25 juin dernier, mais elle n'est pas montée dans l'avion. De quoi alimenter les inquiétudes de ses proches, qui ont finalement appris son arrestation après des articles de la presse d'opposition iranienne. Cette interpellation a été confirmée par l'Autorité judiciaire iranienne, mardi 16 juillet, au lendemain d'un communiqué du Quai d'Orsay évoquant les démarches entreprises par Paris pour obtenir des informations "sur la situation" de la chercheuse et "un accès consulaire".

Si Dieu le veut, avec la poursuite de l'enquête et une fois que d'autres aspects de l'affaire auront été tirés au clair, nous donnerons des informations de façon plus transparente.

Un porte-parole de l'Autorité judiciaire iranienne

en conférence de presse

Cette Franco-Iranienne de 60 ans s'est connectée sur la messagerie WhatsApp le 5 juin dernier à 15 heures. Trois jours plus tard, son ami le politologue Jean-François Bayart tente de la joindre à nouveau, comme il le raconte à franceinfo.

Je lui ai écrit le 8 juin un e-mail auquel elle m'a répondu de manière un peu étrange le 12 juin. Dans ce message, elle me disait qu'elle n'avait pas de connexion internet parce qu'elle était dans le désert.

Jean-François Bayart

sur franceinfo

Mystère, donc, d'autant que la justice iranienne n'a pas précisé la date exacte de l'interpellation. Elle n'a pas non plus détaillé les motifs de cette arrestation, mais la presse locale évoque des accusations d'espionnage à l'encontre de cette chercheuse au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po-Paris, notamment connue pour ses travaux sur l'islam chiite. Le porte-parole du gouvernement iranien affirme qu'il n'a "aucune information à ce sujet" et ne pas savoir "qui l'a arrêtée ni pour quelle raison".

Le motif de l'arrestation est encore inconnu

Faut-il le croire ? Le site de défense des droits de l'homme Gozaar, basé aux Etats-Unis, précise que la chercheuse aurait été arrêtée par les Gardiens de la révolution islamique. Cette composante de l'armée répond aux ordres de l'ayatollah Ali Khamenei, explique Le Point, et ne dépend pas du gouvernement ou des services de renseignement. "La déclaration du porte-parole du gouvernement iranien semble confirmer que l'exécutif n'est pas à l'origine de l'arrestation", estime l'hebdomadaire.

Une autre interrogation réside dans le lieu de sa détention, qui n'a pas été confirmée de source officielle. Le site Gozaar affirme que Fariba Adelkhah aurait été placée à l'isolement dans la prison d'Evin, située dans le nord de Téhéran. Agée de 60 ans, la chercheuse ne serait pas maltraitée, explique Jean-François Bayart, mais la situation lui inspire tout de même la plus vive inquiétude : "On peut toujours craindre un accident chez une personne qui n'est pas non plus toute jeune."

Les conditions de détention à Evin sont très rudes de notoriété publique.

Jean-François Bayart

sur franceinfo

Pour ne rien arranger, l'Iran ne reconnaît pas la double nationalité de la chercheuse. Fariba Adelkhah est arrivée en 1977 en France pour ses études "et pas du tout comme immigrée politique", explique Jean-François Bayart à l'AFP. Selon lui, la chercheuse "a toute sa famille en Iran" et "a toujours refusé de condamner le régime de la République islamique, ce qui lui a valu d'être mal comprise de la diaspora et aussi de prendre des coups des deux côtés".

Fariba Adelkhah se rend souvent en Iran dans le cadre de ses travaux. Collaboratrice auprès de plusieurs revues scientifiques (Iranian Studies, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée...), elle a également rédigé de très nombreux ouvrages de référence sur l'islam, en particulier sur les relations des clergés chiites d'Iran, d'Afghanistan et d'Irak – deux autres pays où elle se rend régulièrement. Professeur à l'IHEID de Genève (Suisse), cet ami de trente ans précise encore à Libération que la Franco-Iranienne "a toujours veillé à publier ses recherches, ou au moins un abstract [résumé], en persan pour montrer qu’elle n’avait rien à cacher".

Un contexte diplomatique extrêmement tendu

Ces incertitudes sur le sort de Fariba Adelkhah semblent partagées par les autorités françaises, qui ont engagé des démarches pour obtenir des éclaircissements. "Quand elle n'est pas revenue, nous nous sommes mobilisés pour alerter le ministère des Affaires étrangères à Paris et l'ambassade de France à Téhéran, poursuit Jean-François Bayart. Les autorités nous ont demandé de la discrétion, ce que nous avons respecté et nous savons que des discussions politiques se sont nouées au plus haut niveau."

Mais avec la médiatisation de l'affaire, ce dossier hautement sensible est désormais sous le feu des projecteurs. "Ce qui s'est passé me préoccupe beaucoup, nous en sommes informés depuis plusieurs jours", a commenté lundi le président Emmanuel Macron face à la presse, au cours d'une visite en Serbie. "J'ai exprimé mon désaccord et demandé des clarifications au président Rohani." Malgré des demandes formulées par voie diplomatique, les autorités françaises n'ont toujours pas pu entrer en contact avec l'universitaire.

Cette interpellation intervient dans un contexte particulier. Les relations de l'Iran avec les pays occidentaux se sont récemment tendues en raison des sanctions américaines imposées à Téhéran, accusé de ne pas respecter les termes de l'accord sur le nucléaire iranien. Les pays européens, dont la France, qui a dépêché un émissaire sur place, s'emploient vainement à essayer de faire retomber la tension et lundi, l'Iran a encore appelé l'UE à prendre des mesures "pratiques, efficaces et responsables" pour sauver l'accord.

Le plus plausible, c'est que des éléments du régime aient estimé utile de s'emparer d'une chercheuse française pour peser sur les négociations avec Paris dans le cadre de la médiation française.

Jean-François Bayart

à franceinfo

Dans un communiqué, l'établissement Science Po et la Fondation nationale des sciences politiques jugent "inadmissible et révoltante" l'arrestation de Fariba Adelkhah. Ses présidents respectifs, Frédéric Mion et Olivier Duhamel, promettent de mettre "tout en œuvre pour que [leur] collègue Fariba soit libérée dans les plus brefs délais et les meilleures conditions".

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