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Avec son «Taxi Téhéran», Jafar Panahi sème les autorités iraniennes

Unanimement salué comme une perle par la presse française et sur les réseaux sociaux, le dernier film du réalisateur iranien Jafar Panahi, Ours d’Or du festival de Berlin 2015, n’a jusque là suscité qu’une réaction officielle imperceptible. Téhéran s’est contenté de souligner qu’en primant un cinéaste interdit de travail dans son pays, la Berlinale confirmait sa réputation de festival politique.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Jafar Panahi interprète de son propre rôle dans «Taxi Téhéran». (Collection Christophel © Jafar Panahi Film Productions)

 
En évitant de faire des vagues autour de Taxi Téhéran, sorti clandestinement du pays, le régime a fait le choix de ne pas braquer un peu plus les projecteurs sur un film qui aborde, avec un sens perçant de l’humour, la cruelle absence de libertés dans le pays. Dépassant son maître Abbas Kiarostami (Le goût de la cerise, Ten) dans l’usage de la voiture comme lieu d’expression libre du septième art, Jafar Panahi s’est auto-portraitisé en chauffeur de taxi et a fait du pare-brise de son véhicule une lucarne sans concessions sur la société iranienne.
 
Un nombre d’exécutions capitales en pleine croissance
D’entrée de film, deux passagers de son taxi collectif s’affrontent au sujet de la peine de mort. Un homme, lui-même pas très fiable, prône à haute voix le châtiment suprême contre les voleurs tandis qu’une femme assise à l’arrière lui répond: «Tuer les gens ne sert à rien. Il faut régler les problèmes à la source.» Elle s’empresse même d’ajouter que «l’Iran est devenu le deuxième pays au monde, en nombre d’exécutions, après la Chine». Un bilan dépassé depuis, puisqu’Amnesty International l’a élevé au rang de recordman mondial en 2014 avec 289 exécutions officielles, sans compter «plusieurs centaines d’autres qui ont eu lieu sans être annoncées».

Hana Panahi, la nièce du réalisateur et graine de cinéaste. (Collection Christophel © Jafar Panahi Film Productions)

Une litanie d’interdits imposée au cinéma
Quelques passagers plus tard, Jafar Panahi toujours au volant de son taxi se charge de récupérer sa nièce à sa sortie de classe. Une jeune élève vêtue de manière très stricte mais pétillante de vivacité et préparant un film pour l’école. En cours de route, elle rappelle à son oncle les dogmes cinématographiques qu’on lui enseigne pour avoir une chance de concourir au festival du ministère de l’Education: «Eviter les contacts homme-femme, éviter la musique et les mensonges, éviter la représentation des prophètes des Imams et des saints et éviter de traiter de la noirceur des choses.» Une litanie d’interdits qui empêchent le plus souvent les réalisateurs de passer au travers des filets de la censure et d’être vus sur les écrans en Iran.
 
Nasrin Sotoudeh, avocate iranienne des droits de l'Homme (Collection Christophel © Jafar Panahi Film Productions)

Combat pour la liberté de filmer
Point d’orgue de cette course à travers Téhéran, le cinéaste-chauffeur embarque l’avocate iranienne des droits de l’Homme, Nasrin Sotoudeh, qui incarne très courageusement son propre rôle. Comme Jafar Panahi, elle a connu la redoutable prison d’Evin et comme lui, elle est interdite d’exercer sa profession. En voiture, un énorme bouquet de roses dans les bras, elle raconte qu’elle se rend auprès de Ghoncheh Ghavami, une Irano-Britannique emprisonnée pour avoir voulu assister à un match de volley-ball masculin. Elle dévoile également  la stratégie du régime consistant à entretenir les ambiguïtés «en nous laissant savoir que nous sommes surveillés» pour semer la peur et l’autocensure dans les esprits.

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