Irak : face à la progression djihadiste, l'inquiétude des chrétiens
"Les villes de Qaraqosh, Tal Kayf, Bartella et Karamlesh ont été vidées de leurs habitants et sont maintenant sous le contrôle des insurgés " a déclaré ce jeudi matin Mgr Joseph Thomas, l'archevêque chaldéen de Kirkouk et Souleimaniyeh. Une offensive qui menace directement les chrétiens. En 2003, avant la chute de Saddam Hussein, ils étaient plus d’un million. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 400.000. Leur survie en Irak est aujourd'hui en jeu.
Pour leur donner la parole, France Info est allé à la rencontre d’Ephrem Azar, un frère dominicain qui a quitté l'Irak il y a 25 ans. Il vit aujourd'hui en exil à Paris où il exerce en tant que psychothérapeute. Lui, avoue être très pessimiste quant à l'avenir de son peuple.
Ils "détruisent l’âme d’un peuple"
Ce petit monsieur au regard pétillant nous reçoit dans une pièce nichée sous les combles d'un immeuble cossu parisien. Un portrait du Christ domine un aménagement sommaire. En mars dernier, sa dernière visite de Qaraqosh, sa ville natale située à 30 km de Mossoul, a laissé à ce sexagénaire un goût amer et un sentiment d'impuissance. "J’ai les larmes aux yeux, parfois je pleure, c’est une angoisse assez terrible ", confie-t-il, "c’est incompréhensible, mais en même temps que puis-je faire face à ce fléau du fondamentalisme ? Ça dépasse toute les mesures de l’absurdité de l’être humain ", dit-il, résigné.
Cette fois, Ephrem Azar n'a pu rendre visite à ses amis musulmans, trop dangereux. Sa famille vit encore là-bas dans l'angoisse permanente. Il comprend le désir des plus jeunes de quitter le pays. "Ce n’est pas possible de leur redonner ni le moral, ni l’espoir de reconstruire leur vie ", avoue le frère dominicain.
Pour lui tout le peuple d’Irak est désormais traumatisé. Cet homme d'église est très inquiet quant à l'avenir des siens, "comment pouvez-vous accepter qu’un être humain n’appartienne plus à un pays, à une maison, ou à une ville ? ", s’interroge-t-il. Ce frère dominicain a aujourd'hui perdu tout espoir de se réinstaller un jour dans son pays. "Que la paix soit avec toi ", lance-t-il en araméen, en guise de conclusion.
Les chrétiens d’Orient en France craignent le pire
Direction Sarcelles où France Info a rencontré les Chaldéens, la plus importante communauté de chrétiens d’Orient. Ils célébraient une messe mercredi matin. Ils seraient 30.000 en France.
Dans un mouvement de balancier, un prêtre, diffuse de l'encens dans les allées fournies de l'église. Plusieurs centaines de personnes assistent en plein mois d'août à cette messe célébrée en araméen, la langue du Christ. Il y a là de vieilles femmes, la tête recouverte d'un voile, des hommes mais aussi des familles.
Ici on prie pour les chrétiens d'Irak persécutés. Le père Sabri Anar lit une prière du patriarche des Chaldéens. "Nous te demandons seigneur d'épargner nos vies, la paix est le fondement de toute vie ". Il avoue que "c'est la seule force qu’il ait ", celle de "prier " car il "ne peut pas faire mieux ".
Les larmes montent rapidement aux yeux de ce trentenaire. A côté de lui, Alicia, dont une belle chevelure brune entoure ses grands yeux verts, poursuit : "Ce sont mes cousins, mes frères, mes sœurs, ils se font persécuter mais personne ne les entend ".
Comme oubliés de tous
Des N comme Nazaréens sont apposés sur les murs des maisons des chrétiens à Mossoul dans le nord de l'Irak, et aux alentours. Leur choix : payer un impôt islamique, mourir ou fuir. Des familles entières sont donc chassées de leurs terres à mesure que progressent les brigades de l'Etat Islamique. Rad a eu sa tante au téléphone il y a deux jours. Elle lui a dit qu’elle et sa famille ne bougeraient pas tant que les djihadistes ne venaient pas. Elle n’a nulle part ailleurs où aller.
Une situation insupportable pour Rad qui a le sentiment que la communauté internationale abandonne ses frères. "Personne ne dit rien. Même pas une décision de l’Union européenne, rien ne bouge ", lâche-t-il.
La France a promis de débloquer 500.000 euros. Pour Antoni Yalap, président du comité de soutien aux chrétiens d'Irak, c'est d'une aide humanitaire qu’il faut envoyer auprès de la population. Il faut leur apporter "de l’eau, de l’électricité, des vivres, des médicaments et des couvertures car ces populations de déplacés vivent dans des conditions extrêmement difficiles ", explique-t-il.
Antoni veut croire à une issue positive. Le père Sibri Anar, comme beaucoup de fidèles ici, est beaucoup plus pessimiste sur le sort de ce peuple qui s’est installé en Mésopotamie il y a près de 7.000 ans. "On a l’impression que c’est une page qui est en train de se tourner dans l’histoire chaldéenne ", avoue le prêtre. Sans l’Irak, conclut-il tristement, "notre équilibre n’aura plus de fondation, ce sera une maison construite sur le sable. On n'aura plus de racines ".
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